Lucie V. : La participation à ce séminaire d’action m’a permis de faire un grand pas en avant dans la prise de conscience du sens de la dynamique et de l’ancrage communautaire des projets. Quand on présente un projet à un financement, je comprends vraiment comment toutes les actions sont indissociables et nécessaires au projet global : à commencer par la présence des volontaires dans les quartiers de grande pauvreté qui sert la connaissance et la réciprocité d’engagement des acteurs du projet, tout comme les actions de rassemblement et de mobilisation qui forgent le lien communautaire sur lequel bâtir toute action – à la fois le lien de l’équipe ATD Quart Monde avec la communauté et le lien entre les membres de la communauté eux‑mêmes.
Les actions Bébés Bienvenus, la Pré-École et l’assurance santé qui sont les plus cadrées et quantifiables, et donc les plus facilement explicables et possibles à faire financer, sont de fait indissociables et s’appuient sur toutes les autres actions, des plus locales aux plus internationales, et de la relation la plus individuelle au rassemblement le plus large. C’est le contexte d’action et d’engagement local qui donne le sens à l’action, qui elle-même nourrit l’engagement régional-international, et vice versa. Donc même pour nos financeurs, le vécu du quotidien dans les actions locales doit être présenté comme indissociable du vécu des actions régionales qui s’appuient dessus.
J’ai également pu toucher du doigt comment l’inscription des aides personnelles et du cash transfert aux familles se justifie dans le financement, même si c’est de l’ordre de l’aide d’urgence plutôt que d’un projet de développement. Trois points sont à noter qui démontrent que c’est une démarche réfléchie pour contribuer à l’accès aux droits des personnes :
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elle approfondit la connaissance de l’absence ou de la violation des droits et du processus d’accès aux droits des familles,
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elle fait avancer les droits d’un petit nombre, mais qui sont les personnes les plus significatives de la communauté,
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c’est une démarche d’écoute et d’interaction qui approfondit la relation interpersonnelle et l’ancrage communautaire du projet.
La plus-value d’ATD Quart Monde, qui est difficilement quantifiable mais essentielle à transmettre, est l’enracinement dans la communauté et le renforcement des liens et solidarités communautaires. Ceux-ci permettent de concrétiser la priorité aux plus pauvres, et font de ces derniers des acteurs dans leur propre communauté et des partenaires dans la lutte contre la pauvreté. Si les temps individuels et collectifs de connaissance, tout comme les relations personnelles, les actions culturelles et les rassemblements sont essentiels, c’est parce qu’il faut beaucoup de temps pour bâtir un lien, la confiance, la compréhension mutuelle.
Savoir repérer et comprendre les gestes de solidarité, de lutte, les ambitions des familles et les valoriser, les soutenir, les ancrer dans un combat national et international : c’est ainsi qu’on peut trouver, toucher et renforcer les actions des plus pauvres, à partir de leur milieu et de leurs résistances. Ceci grâce au lien construit tout en finesse avec des familles considérées et valorisées comme actrices dans leur lutte contre la misère, et non pas seulement bénéficiaires d’un service.
Geneviève D-T. : Je suis reconnaissante d’avoir pu réfléchir avec les équipes d’action afin de faire reconnaitre ce qu’est un projet pilote et ce que porte d’unique le projet Savoir Santé Participation en Haïti à Port-au-Prince. Des principes relevant de la philosophie de l’action spécifique à ATD Quart Monde sont contre intuitifs et pourtant centraux et cruciaux pour s’assurer de la réussite du projet c’est-à-dire toucher toute la communauté en partant des plus pauvres. Ils doivent être au cœur du plaidoyer.
Le projet est né de la communauté. Alors que la communauté est particulièrement pauvre, et dépourvue d’accès aux droits fondamentaux, c’est tout de même en s’appuyant sur les forces de la communauté que le projet voit le jour. Les volontaires et l’équipe ont perçu dans leur compagnonnage quotidien avec les familles que l’avenir de leurs enfants, en commençant par leur survie, est une force mobilisable pour qu’ils osent espérer un autre avenir. Ils ont perçu que sortir de la honte que portaient les familles de voir leurs enfants souffrant de malnutrition était une clé. Les volontaires, par leur présence, ont représenté une possibilité de changement, car eux aussi refusaient cette honte et portaient donc un combat commun.
Alors que les membres de la communauté sont souvent perçus comme des personnes à aider, au contraire, dans ce projet ils sont acteurs. Les solidarités préexistantes dans la communauté ont été perçues et renforcées. Des agents de santé communautaire ont été formés à prodiguer des soins essentiels, ce qui s’est révélé très efficace par exemple pendant les épidémies de choléra.
Alors que la communauté est largement sous-dotée en équipement de santé, les volontaires et l’équipe ont fait le choix de trouver des partenaires de santé locaux et de les renforcer afin que le projet soit ancré dans la communauté. Les soins de première ligne sont couverts par la carte santé au centre de santé communautaire Saint-Michel, les examens complémentaires sont pourvus auprès de laboratoires et spécialistes présents dans le quartier. Le projet s’appuie sur les ressources du pays, si faibles soient elles, ce qui est là aussi contre intuitif et bien différent de la conception des soins de santé « verticaux » qui prennent en compte une pathologie spécifique avec des capitaux et une organisation non maitrisés par la communauté.
Alors que la participation dans les projets de développement est souvent très limitée, les familles ont participé à la conception du projet dans le dialogue avec l’équipe et les partenaires et ont finalement inventé et réalisé une carte santé. Elles ont été la cheville ouvrière du projet et y contribuent en permanence. Elles participent à des réunions d’évaluation, afin d’ajuster son fonctionnement, elles ont aussi décidé du montant contributif à l’abonnement de la carte santé qui est modeste mais qui leur donne la fierté, la maîtrise, et assoit leur droit.
Il s’agit finalement de la création d’un droit en action.