Personne ne doit être laissé de côté

Cyprien Ugirumurera

p. 34-36

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Cyprien Ugirumurera, « Personne ne doit être laissé de côté », Revue Quart Monde, 268 | 2023/4, 34-36.

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Cyprien Ugirumurera, « Personne ne doit être laissé de côté », Revue Quart Monde [En ligne], 268 | 2023/4, mis en ligne le 01 juin 2024, consulté le 27 juillet 2024. URL : https://www.revue-quartmonde.org/11216

La majorité des habitants du Rwanda vit en région rurale. L’association APROJUMAP rejoint ces familles très pauvres pour faire face avec elles aux défis auxquels elles sont confrontées.

Le Rwanda est un pays situé en Afrique subsaharienne ayant une superficie de 26 338 km². De nouveaux chiffres recueillis lors du recensement général de la population et de l’habitat de 2022 montrent que la population du Rwanda est passée de 10,5 millions en 2012 à 13,246 millions en 2022. Ces statistiques montrent que la population du Rwanda a augmenté de 23 % au cours de cette période. Sur cette population totale, 48,5 % sont des hommes et 51,5 % sont des femmes.

Un pays majoritairement rural

Parmi eux, 72,1 % des Rwandais vivent dans les zones rurales, tandis que 27,9 % vivent dans les villes. Selon le recensement, le nombre de jeunes de moins de 30 ans a diminué, passant de 70,3 % en 2012 à 65,3 % en 2022 et il est prévu qu’en 2050 le nombre soit de 54,3 %. La population âgée de 16 à 64 ans est passée de 53,4 % en 2012 à 56,0 % en 2022 et devrait atteindre 61,4 % en 2050. Les données montrent que l’accès à l’électricité est plus haut dans le milieu urbain que dans le milieu rural, 84,6 % contre 51,3 % respectivement. La production essentiellement agricole reste insuffisante et entraîne une dégradation importante de l’environnement à la suite de sa surexploitation.

Le génocide perpétré contre les Tutsis en 1994 a laissé le pays exsangue. Environ un million des Tutsis ont péri. Les institutions et tout le tissu économique et social étaient à reconstruire entièrement.

Le Rwanda a mené entre 2002 et 2012 un difficile processus de réconciliation au travers du processus des gacaca (tribunaux populaires inspirés de la justice coutumière1). Deux millions de personnes ont été jugées, avec un taux de condamnation de 65 %.

Selon la Banque mondiale, le Rwanda a enregistré un taux de croissance annuel moyen de 7,5 % entre 2000 et 2018, grâce à l’amélioration de la gouvernance économique au cœur de la stratégie Vision 2020. La pauvreté et les inégalités ont également fortement baissé et le pays s’est classé à la première place de l’évaluation 2018 des politiques et institutions publiques en Afrique de la Banque mondiale. La croissance devrait être de 7,8 % en 2019, selon les projections du FMI.

Les indicateurs de la pauvreté en milieu rural

Au Rwanda, les indicateurs de la pauvreté dans le milieu rural incluent l’absence des vivres dans le ménage, la non-possession d’un logement ou un logement non conforme, un faible niveau d’éducation, des mauvaises conditions hygiéniques, un mauvais habillement, le non-respect des droits de la femme et de ceux de l’enfant, des problèmes d’accès aux facteurs de production, l’insuffisance des terres arables, le manque de moyens de se faire soigner, un faible niveau de confiance en soi et d’estime de soi, la mendicité et les traumatismes.

« Certains étaient complètement démunis, marginalisés et méprisés. Sans habits, sans abri, sans terre. Sans même posséder un outil pour louer leurs bras2. »

Confrontés à l’injustice, les plus pauvres se battent

Les personnes en situation de pauvreté sont confrontées à plusieurs injustices, notamment le non-accès à des services de base et de justice ou l’abandon scolaire de leurs enfants, et poussées à l’exode rural pour chercher les emplois qui sont quasiment non rémunérateurs. Elles sont confrontées à des nombreux défis entraînant des maladies de longue durée et des infections sexuellement transmissibles dont le VIH/SIDA sans oublier la mésestime ou le mépris de leurs voisins.

Pour faire face à ces situations de pauvreté extrême, elles mènent beaucoup de combats (location de leur force de travail, petit commerce, exode rural, adhésion aux associations d’épargne et de crédit, agriculture de subsistance,…). Certains de leurs combats ont des effets négatifs sur leur vie et leur santé (prostitution, mendicité...), dont la location des bras ou l’agriculture de subsistance en pratiquant les espèces de semences donnant des cultures de courte durée.

L’action de l’association APROJUMAP : rejoindre les plus pauvres

L’association APROJUMAP rejoint ces familles très pauvres pour faire face avec elles à ces divers défis auxquels elles sont confrontées. APROJUMAP, dans son action, s’inspire et se nourrit de l’expérience et de la philosophie du Mouvement ATD Quart Monde. Elle intervient d’abord pour promouvoir la solidarité entre ces familles en situation de pauvreté, leur accompagnement dans la fertilisation de leurs petits lopins de terre avec l’accès au petit bétail pour la production du fumier, la mise en place de différents fonds de roulement notamment la mutuelle de santé, la création d’activités génératrices de revenus, et la promotion de l’entraide mutuelle.

« Par le renforcement de leurs capacités, nous visons à les faire sortir de l’extrême pauvreté, mais aussi à leur redonner une place dans la société, à valoriser leurs compétences, à leur rendre leur dignité, à leur faire prendre conscience de leurs droits »3.

Une des bénéficiaires, Séraphine, dira qu’elle y « trouve (sa) force ». Une autre affirme : « Grâce au groupe, on ne se sent plus seule face à ses problèmes »4.

« J’ai abandonné l’école, non pas parce que je n’étais pas intelligent, mais pour pouvoir payer les frais d’inscription et le matériel scolaire de mon frère. J’ai cultivé, j’étais seul. C’était dur sans bétail. Cela me fatiguait et je n’arrivais pas à cultiver tous mes champs. Aujourd’hui tout a bien changé. APROJUMAP nous a introduits dans des actions de solidarité. Nous nous entraidons et cultivons nos champs en peu de temps. Ces actions de solidarité m’ont permis de planter du manioc, du sorgho, de la patate douce, du haricot. [...] Lors de la dernière récolte, j’ai obtenu 120 kg de haricot alors qu’avant je ne dépassais pas 57 kg. J’envisage même, dans les prochaines années, de retourner à l’école », nous dit Jean de Dieu N.5

Au fur et à mesure de notre accompagnement rapproché, la situation socio-économique des bénéficiaires s’est progressivement améliorée. La majorité des sans-abris trouvent des logements décents adaptés à leurs milieux, le taux de malnutrition de leurs enfants diminue, leurs enfants fréquentent des écoles, certains d’entre eux prennent part au leadership local. Ils achètent les cartes de mutuelle de santé pour permettre aux membres de leurs familles de se faire soigner, le patrimoine familial est géré d’une façon concertée, l’état d’estime et de confiance en soi s’améliore de telle sorte qu’ils osent exprimer leurs opinions dans les réunions communautaires.

« Nous avons besoin de temps pour les atteindre. En général, après quelques mois de participation, on voit le changement. Ces personnes ne sont plus les mêmes. Les familles les plus exclues sortent de l’isolement et se sentent progressivement des êtres humains comme les autres. Elles parviennent à se constituer une force pour pouvoir s’affirmer et montrer aux autres qu’elles existent. Il faut que les gens se mettent ensemble pour combattre la pauvreté. Il faut que les gens sachent que la réponse à leurs problèmes se trouve dans leurs semblables 6. »

En guise de conclusion, personne ne devrait être laissé de côté puisque chacun est susceptible de se développer quand il bénéficie d’un accompagnement holistique reposant principalement sur l’implication des bénéficiaires dans la recherche des solutions de leurs problèmes.

1 https://fr.wikipedia.org/wiki/Gacaca.

2 In Juste Terre, N° 127, avril 2016, bulletin de l’association Entraide et Fraternité.

3 Ibidem.

4 Ibidem.

5 Lettre aux amis du Monde, N° 98, décembre 2017.

6 Ibidem.

1 https://fr.wikipedia.org/wiki/Gacaca.

2 In Juste Terre, N° 127, avril 2016, bulletin de l’association Entraide et Fraternité.

3 Ibidem.

4 Ibidem.

5 Lettre aux amis du Monde, N° 98, décembre 2017.

6 Ibidem.

Cyprien Ugirumurera

Coordinateur de l’Association pour la promotion du jumelage et de l’amitié entre les peuples (APROJUMAP), agroéconomiste, spécialiste en développement rural, Cyprien Ugirumurera est le représentant du programme social et agricole « Réduire la Pauvreté et l’Exclusion 2022-2026 (REPES) » exécuté au Rwanda en partenariat avec l’ASBL Auto-Développement en Afrique (ADA), (programme DGD‑2022‑2026).

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