Découverte du volontariat

Interview d’Antoine Lopez par Martine Hosselet‑Herbignat

Antoine Lopez

p. 12-16

Citer cet article

Référence papier

Antoine Lopez, « Découverte du volontariat », Revue Quart Monde, 269 | 2024/1, 12-16.

Référence électronique

Antoine Lopez, « Découverte du volontariat », Revue Quart Monde [En ligne], 269 | 2024/1, mis en ligne le 01 mars 2024, consulté le 29 avril 2024. URL : https://www.revue-quartmonde.org/11290

L’auteur détaille ici sa période de découverte du volontariat et du Mouvement ATD Quart Monde.

Martine Hosselet-Herbignat : Te rappelles-tu, dans ton histoire, d’événements qui auraient éveillé ton sens de l’injustice ?

Antoine Lopez : Être volontaire avec les plus pauvres fait qu’on apprend aussi beaucoup de choses sur soi. Les familles nous racontent leurs histoires, et nous on fait aussi ce travail-là de notre côté. Ça oblige à refaire le parcours de notre propre vie. Aussi loin que je me souvienne, je ne supportais pas l’injustice. Quand on est petit, ce sont des petites choses : à l’école, c’est toujours les mêmes qui se font réprimander. J’ai toujours la sensation de la douleur dans la poitrine quand je sentais que c’était vraiment injuste et que ça ne devait pas se passer comme ça… Il y a comme un cri intérieur. C’est quelque chose qui était là quand j’ai pris plus tard la décision de devenir volontaire, de faire quelque chose de ma vie.

M. H.-H. : Tu as d’abord fait des études de logistique ? Pour mettre tes compétences au service d’une ONG ?

A.L.  : Pas du tout ! J’ai fait des études de logistique pour faire l’école de sous-officiers de l’armée de terre à Saint-Maixent. Pendant mon bac pro logistique, j’avais fait mes stages au 8e RPIMA de Castres, régiment parachutiste infanterie de marine, et j’avais bien aimé. J’ai toujours bien aimé la discipline. J’aime bien mon pays et je me suis dit que ça pourrait être sympa de le servir de cette manière-là, mais pas comme simple soldat. Les études de logistique me permettaient de devenir technicien dans l’armée. Après le bac pro, j’ai fait le BTS parce qu’il me fallait bac+2 pour entrer à l’école de sous-officiers. Mais après, l’idée m’a quitté d’entrer dans l’armée. Je me suis réveillé, en me disant que faire la guerre n’était pas une bonne idée.

M. H.-H. : À partir du moment où tu as abandonné l’idée d’entrer dans l’armée, comment tes choix ont-ils évolué ?

A.L.  : J’ai pris une autre idée, celle de vivre le rêve américain ! J’avais une opportunité car le frère aîné de ma mère, et ma tante, étaient aux États-Unis et avaient un petit guesthouse de dix chambres, et ils pouvaient me recevoir. J’avais juste à payer le billet d’avion. J’étais logé, nourri, je devais travailler un peu avec eux, en attendant petit à petit de voir comment m’organiser.

Au fur et à mesure que le temps passait là-bas, je me sentais de moins en moins à ma place. Je me disais : toutes les discussions tournent autour de la voiture, de ce qu’ils font dans l’hôtel, les rénovations prévues, les vacances, ce qu’ils ont acheté,… que des discussions autour du matériel, de la consommation. Petit à petit, je me suis dit : je n’ai pas grandi dans ce monde-là, ça ne me plaît pas trop… En plus, les États-Unis, c’est très particulier ; j’étais sur une presqu’île, Key West, d’environ 20 000 habitants, qui décuplait sa population sur les périodes de festivals, de vacances pour les springbreak,… Tu as plein de monde, des bateaux de croisière, et tout tourne autour du commerce, du tourisme. Il y a beaucoup d’argent, ça consomme. Et en même temps je voyais la pauvreté sans avoir le regard que j’ai maintenant. J’observais déjà des choses parce que tous les matins, on allait faire entre 30 et 50 km de vélo avec mon oncle et un de ses amis, avant d’aller travailler. On passait toujours auprès d’un golf à côté duquel se trouvaient des SDF. Les balles sont chères, mais les joueurs ne se cassent pas la tête à aller les récupérer quand ils ont raté leur coup, et donc les SDF qui avaient des campements à proximité du golf avaient fait des trous dans le grillage pour récupérer les balles. Tous les matins, on passait et je les voyais. Mon oncle et son pote, je crois, ne les voyaient même pas… Tous les matins, je me disais : ramasser les balles c’est un peu comme un vrai métier, il y a quand même une sorte de fierté à faire ça. Et plus loin, quand je voyais comment leurs mobil homes étaient structurés, je comprenais que vivaient là toutes les personnes qui venaient faire les ménages, les poubelles dans Key West. Si tu travailles dans Key West, tu n’exerces pas des métiers qui te permettent d’y vivre, parce que c’est trop cher. Ils vivaient donc à la périphérie, dans ces mobil homes, un peu comme on peut voir dans les films américains, quoi ! Quand tu es au cœur de la ville, c’est que tu as de l’argent, sinon tu vis en dehors. On n’autorise à rentrer que ceux qui viennent y travailler et faire tourner les services. Ça ne m’intéressait pas de rester dans ce contexte.

Après, j’étais chez mes parents, j’avais 23 ans, on n’était plus sur le même rythme. Ils avaient pris l’habitude de se retrouver à deux. J’ai eu envie de pouvoir dire que j’avais fait autre chose que juste travailler pour gagner de l’argent et rouler en décapotable et consommer. J’ai eu envie d’avoir une réponse un peu plus sympathique à apporter… Par ego, pour pouvoir dire que j’ai fait des choses qui ont servi, qui ont été intéressantes, mais aussi parce que la vie ça doit sûrement être mieux quand tu fais des choses bien avec et pour les autres… J’avais donc envie de faire des choses qui vaillent le coup… Si je dois un jour répondre de mes actes, que j’aie quand même de bonnes réponses à apporter !

Petit à petit, l’humanitaire m’est venu en tête. Je suis bien né, avec des parents pas riches mais qui travaillaient tous les deux, qui m’ont donné tout ce qu’il fallait. J’ai pu faire des études, passer le permis ; ils m’ont payé un scooter, l’appartement. Ça a été plutôt facile de vivre dans cette famille-là. En grandissant, en voyant les injustices qui se passent dans la société, je me suis rendu compte que beaucoup n’avaient pas eu la même chance. Il y a quelque chose qui n’est pas normal. C’étaient mes réflexions de l’époque, et donc l’humanitaire pouvait donner du sens à ma vie.

J’ai commencé à chercher, pendant que je travaillais en intérim. J’allais sur internet ; la base de mes recherches, c’était de trouver un travail salarié, en CDI, pour avoir quand même la sécurité de l’emploi, mais pas pour gagner des mille et des cents. Au début je trouvais beaucoup de postes en rapport avec mes diplômes de logistique : tu gagnais 3 000 euros en commençant, mais tu étais à Paris et tu organisais la logistique de convois humanitaires. Tu n’allais jamais sur le terrain… Dire : je gagne 3 000 euros dans l’humanitaire, ce n’est pas simple ni logique à dire pour moi ! Ça ne faisait pas sens, je voulais faire des choses avec les gens. Et puis il y avait beaucoup d’annonces pour seulement un mois, trois mois, six mois,… J’ai beaucoup cherché. Et puis j’ai trouvé le site d’ATD Quart Monde sur internet. Je l’ai lu en long, en large, en travers, et je me suis dit : il y a quand même quelqu’un qui a pensé à une structure qui aide les plus pauvres, où tu as une rémunération, une sécurité, et qui cochait toutes les cases que je cherchais… Encore que 530 euros par mois quand je suis rentré, on ne peut pas dire que c’était beaucoup, mais il y avait la sécurité et toutes les autres choses. C’était tout expliqué sur le site. Quand je suis entré à ATD par la suite, certains étaient étonnés des conditions, mais je leur disais : va lire, c’est marqué ; il n’y a pas de secret.

Donc, j’ai appelé le numéro indiqué sur le site : responsable du recrutement, Brigitte Bourcier1. Elle m’a invité au premier week-end de découverte en novembre 2011. J’étais avec deux ou trois personnes qui se posaient la question du volontariat et quatre personnes qui avaient déjà commencé la découverte du volontariat. Le week-end s’est bien passé, à Champeaux2, à la campagne. C’était quand même un peu bizarre : Brigitte qui arrive en voiture à Paris, avec quatre jeunes, qui m’embarque, avec mon sac sur mes genoux. Les autres jeunes ne ressemblaient pas du tout à mes potes. Tout le monde avait l’air très différent. Les discussions se sont vite faites quand même, plutôt sympas, mais j’étais quand même largué dans plein de discussions parce que je n’avais jamais fait d’associatif avant, rien avec les personnes en difficultés dans quelque structure que ce soit. Je ne suis pas passé par la case solidarité un peu classique. Je me suis dit : je suis quand même un peu chez les fous… Déjà le lieu : ces grandes bâtisses de Champeaux, mi-novembre,… mais en même temps, on s’organisait, on faisait à manger, il y avait des discussions, on rigolait, on buvait un coup,… On prenait du temps avec Brigitte pour parler plus précisément, pour expliquer le volontariat, ATD Quart Monde,… Ensuite, elle m’a fait revenir en janvier 2012 pour le grand colloque « La misère est violence, rompre le silence, chercher la paix » qui avait lieu à Paris, avec plus de cent personnes, de tous les pays du monde, avec des militants3, des alliés4, des volontaires5. On était tout un groupe de jeunes en découverte du volontariat ou qui, comme moi, se posaient la question de l’entrée dans le volontariat. On était là pour faire la cuisine, préparer les pauses, servir les repas,… car les participants étaient vraiment en mode sérieux : ça se finissait à l’Unesco, où ils allaient prendre la parole au bout des dix jours de rencontre. Nous, on était là pour faciliter leur vie. C’était vraiment intéressant car tout en préparant, on avait les haut-parleurs branchés dans la salle de conférence, donc pendant que tu mettais la table ou que tu préparais les repas, tu écoutais ce qui se disait, tu comprenais sans comprendre parce que forcément tu ne connais pas le pays, le contexte des gens qui parlent, mais forcément tu entends. Et après tu peux parler avec les gens aux pauses ou quand tu manges avec eux. Et ça, c’était quand même fort. À la fin des quinze jours, Brigitte m’avait invité à manger chez elle avec Benoit Fabiani son époux, volontaire lui aussi, pour faire le point. C’est là que je lui ai dit : « C’est bon, je n’ai pas envie d’attendre la rentrée de septembre pour entrer dans le volontariat. »

Il y avait une sorte de cursus classique à suivre pour entrer dans le volontariat : trois week-ends de découverte, puis entrée en septembre et mobilisation du 17 octobre6… Moi je lui ai dit : « Ce que je viens de vivre là, la rencontre avec les gens pendant ce colloque, c’est la dernière banderille ! Tu m’as mis à mort !... Alors, tu me trouves une mission, je me sens d’essayer sans attendre septembre. » Ce n’est pas que j’avais des doutes d’essayer avant ça, mais j’étais mi-figue, mi-raisin après le premier week-end de découverte. Alors que dans cette session, là, la rencontre avec les militants du monde entier, ça a été un accélérateur.

Je me souviens qu’à cette époque je ne distinguais pas un militant, d’un allié ou d’un volontaire. Je parlais de la même façon avec tout le monde. Alors que maintenant, avec l’expérience, je vois que c’est quelqu’un qui est issu de la grande pauvreté, dans sa manière de se présenter, sa manière de parler. Je vais faire attention, être précautionneux, ne pas faire des blagues que je ferais avec quelqu’un d’autre avec qui je sais qu’on a les mêmes références. Il pourrait mal le prendre. Une petite blague où tu crois que tu es drôle, et non tu ne l’es pas, et ça touche quelque chose, parce que la vie des gens est compliquée.

M. H.-H. : Tu as donc découvert l’univers des gens pauvres…

A.L.  : Puis le lundi 12 mars j’ai commencé à travailler à la grande maison7 à Méry-sur-Oise avec Froukje et Karol8, et j’habitais au Manoir où vivaient des volontaires permanents. Cela a été mes six premiers mois. C’était une très bonne première mission. J’arrivais d’un village de 600 habitants, donc je n’étais pas dépaysé. Mais c’était calme, il y avait de la verdure, c’était bien. Les autres en découverte du volontariat étaient rue Bergère à Paris9, ils me disaient : oh, tu es à la maison de retraite10 là…

Pendant six mois, on avait des sessions à accueillir pratiquement toutes les semaines, entre 15 et 90 personnes. Tu fais à manger pour tout ce monde-là, puis tu manges avec eux, alliés, militants, volontaires, professionnels, pendant les sessions de croisement des savoirs. En six mois, j’ai rencontré plus de monde que pendant les 24 premières années de ma vie ! Et toutes ces cultures différentes… Tu fais des fêtes, des repas… J’ai adoré ces six premiers mois de transition entre ma campagne et l’entrée dans le volontariat. J’avais l’impression de connaître cent fois plus de choses que les autres jeunes en découverte du volontariat, sur le plan international. Les autres ne connaissaient pas les anciens : Daniel Fayard, Gabrielle Erpicum, Bernadette Cornuau, Gérard Bureau, Xavier Godinot… Pour moi, c’était impensable qu’ils ne connaissent pas les boss, les anciens. Moi j’appréciais de les connaître. C’est la base : pour savoir où on va, il faut savoir d’où on vient ! J’ai toujours trouvé intéressant de pouvoir discuter avec ces volontaires-là qui te racontent l’histoire, des anecdotes sur le père Joseph.

Quand tu es jeune volontaire, tu as une manière de parler un peu libre. Les plus anciens racontaient souvent les mêmes histoires, mais au bout d’un moment tu te rends compte que c’est ce qui les a formés. Tu sais assez vite que ce sont des histoires sincères, en vérité, qui aident à avancer quand tu es toi-même ensuite dans des situations similaires. On se transmet, à travers nos histoires avec les familles, des manières de faire attention pour ne pas revivre les mêmes difficultés, pour être vigilant quant aux situations très dures et complexes qui peuvent nous toucher… Il faut parler avec les anciens, qui sont passés par là, et ne pas se dire : bah, c’est bon !

On peut se dire que les anciens chantent toujours la même rengaine, mais leurs histoires te permettent de ne pas t’écrouler le soir dans ton canapé en te disant : qu’est-ce que c’était dur aujourd’hui, je craque psychologiquement !

1 Volontaire permanente du Mouvement ATD Quart Monde pendant plus de 40 ans, Brigitte Bourcier est décédée en septembre 2020.

2 Centre européen de rencontre et de formation d’ATD Quart Monde, en Seine-et-Marne. Depuis 1973, ce lieu a accueilli des milliers de jeunes pour des

3 Militant : Personne ayant connu ou vivant encore dans la grande pauvreté et participant aux combats du Mouvement.

4 Allié : Personne qui, sans nécessairement avoir vécu la grande pauvreté elle-même et sans renoncer à son emploi, s’investit dans les combats du 

5 Personne engagée permanente, à plein temps et à long terme dans le Mouvement, percevant une indemnité modeste permettant une vie simple. Ces trois

6 17 octobre : Journée mondiale du refus de la misère. Née de l’initiative de Joseph Wresinski, fondateur d’ATD Quart Monde, et de plusieurs milliers

7 Lieu d’hôtellerie du Centre international, comportant 80 chambres pour les personnes venues du monde entier afin de participer à des sessions ou des

8 Voir son article en p. 38. https://www.revue-quartmonde.org/11302

9 Au cœur de Paris, ancien Centre national du Mouvement ATD Quart Monde France, ayant déménagé à Montreuil en 2014.

10 Allusion au fait qu’à Méry-sur-Oise vivent également des volontaires permanents plus âgés, à la retraite.

1 Volontaire permanente du Mouvement ATD Quart Monde pendant plus de 40 ans, Brigitte Bourcier est décédée en septembre 2020.

2 Centre européen de rencontre et de formation d’ATD Quart Monde, en Seine-et-Marne. Depuis 1973, ce lieu a accueilli des milliers de jeunes pour des chantiers, des sessions de formation, des préparations de voyages d’étude, des rassemblements européens. Il a été vendu en 2023. Voir https://www.atd-quartmonde.fr/une-page-se-tourne-pour-le-centre-de-rencontre-et-de-formation-de-champeaux/

3 Militant : Personne ayant connu ou vivant encore dans la grande pauvreté et participant aux combats du Mouvement.

4 Allié : Personne qui, sans nécessairement avoir vécu la grande pauvreté elle-même et sans renoncer à son emploi, s’investit dans les combats du Mouvement.

5 Personne engagée permanente, à plein temps et à long terme dans le Mouvement, percevant une indemnité modeste permettant une vie simple. Ces trois catégories définissent les spécificités des engagements dans le Mouvement.

6 17 octobre : Journée mondiale du refus de la misère. Née de l’initiative de Joseph Wresinski, fondateur d’ATD Quart Monde, et de plusieurs milliers de personnes de tous milieux qui se sont rassemblées sur le parvis des Droits de l’Homme à Paris en 1987, cette journée est officiellement reconnue par les Nations Unies depuis 1992. Elle est l’occasion de donner la parole aux personnes directement concernées par la pauvreté sur les conditions indignes qu’elles vivent, sur leurs résistances quotidiennes et leurs aspirations. Elle mobilise citoyens, associations et responsables publics partout dans le monde.

7 Lieu d’hôtellerie du Centre international, comportant 80 chambres pour les personnes venues du monde entier afin de participer à des sessions ou des rassemblements.

8 Voir son article en p. 38. https://www.revue-quartmonde.org/11302

9 Au cœur de Paris, ancien Centre national du Mouvement ATD Quart Monde France, ayant déménagé à Montreuil en 2014.

10 Allusion au fait qu’à Méry-sur-Oise vivent également des volontaires permanents plus âgés, à la retraite.

Antoine Lopez

Né dans le Sud-Ouest de la France, Antoine Lopez a fait des études de logistique. Après une période de découverte, il devient volontaire en 2012, et exerce des responsabilités à Colmar (Alsace), au Burkina Faso, dans l’entreprise TAE (Noisy-le-Grand, en Île-de-France), et est actuellement dans l’équipe de Marseille depuis septembre 2023.

CC BY-NC-ND