Après avoir été volontaire permanent pendant un peu plus de cinq années, j’ai fait le choix de quitter le volontariat car j’ai réalisé que ce cadre ne correspondait pas à ce que j’étais capable de vivre. J’avais besoin à la fois d’une plus grande indépendance et d’un cadre plus structuré au niveau des tâches et des missions à accomplir. Six années plus tard, je considère que cette expérience a été une véritable chance pour moi, et je la regarde comme une passerelle qui m’a permis de repartir autrement dans la vie.
La validation des acquis de l’expérience
Je suis entré dans le volontariat en 2011, à l’âge de 26 ans, en étant titulaire d’un baccalauréat technologique. Je n’avais pas fait d’études après l’obtention de mon baccalauréat en 2004 et avais travaillé pendant plusieurs années comme caissier et guichetier. Je n’avais pas vraiment de métier et avais tenté de reprendre mes études en apprentissage en 2005 et en 2007 mais je n’avais pas réussi à terminer ces formations en alternance. J’étais animé par le désir de vivre autrement, autre chose, en particulier sur le plan professionnel, mais aussi humain. J’ai longtemps cherché quoi faire, mais je n’arrivais pas à trouver de possibilité de faire un autre emploi que celui de caissier. J’ai alors pensé au service civique et ai écrit une lettre à ATD Quart Monde. Plusieurs mois plus tard, j’ai reçu une réponse, et j’ai ensuite intégré le volontariat en Île-de-France, puis aux Philippines.
J’ai souvent entendu que le père Joseph Wresinski se souciait beaucoup des personnes qui avaient rejoint le volontariat sans avoir terminé des études et sans posséder une formation ou un métier. Il craignait que n’ayant pas de possibilités professionnelles autres, elles se retrouvent prisonnières du volontariat, sans avoir la liberté de le quitter. Lorsque j’ai commencé à envisager un tel choix, je sentais bien que je ne souhaitais pas retourner faire le caissier et rentrer en France. Je vivais à Manille depuis plus de deux ans, j’y avais également rencontré mon ancien compagnon et nous avions pour projet de déménager dans la ville de Cebu, seconde ville de l’archipel philippin. J’ai pris le temps de la réflexion, la prime de fin de volontariat de solidarité internationale me permettant de ne pas travailler pendant plusieurs mois.
Je suis rentré quelque temps en France et je me suis renseigné. Le conseiller Pôle Emploi m’a orienté vers une VAE et j’ai pu obtenir un financement. J’ai déposé ma demande de recevabilité pour obtenir un diplôme d’État de la Jeunesse, de l’Éducation Populaire et du Sport (DEJEPS) mention animation sociale. Comme ce diplôme est de niveau bac + 2, je ne croyais pas être capable de l’obtenir par équivalence mais le conseiller Pôle Emploi m’a convaincu d’essayer, en me proposant un financement de 700 €. J’ai donc contacté un accompagnant VAE, une personne remarquable, qui m’a aidé et guidé.
À travers ma VAE, j’ai réalisé à quel point j’avais acquis des compétences professionnelles nouvelles grâce au volontariat, que j’ai dû formaliser à travers le récit de mon expérience de volontaire. En étant volontaire, j’ai eu la possibilité de travailler avec des adultes, des jeunes et des enfants. J’ai aussi eu la possibilité de travailler à Noisy-le-Grand qui est une structure accréditée centre d’hébergement et de réinsertion sociale (CHRS), ou auprès de familles habitant dans un cimetière public aux Philippines. J’ai également eu la possibilité d’avoir des missions à plusieurs niveaux de responsabilités : directement avec des personnes en situation de grande pauvreté, au cœur des quartiers, mais aussi en coordonnant des projets, en recherchant des fonds, en participant à la formation des bénévoles, ou encore en étant engagé dans des actions de plaidoyer politique autour du thème de la discrimination pour cause de pauvreté.
Pour obtenir un diplôme en VAE, il fallait justifier en 2018 d’avoir travaillé plus de trois ans avec des publics différents, dans des contextes différents, dans l’animation socioculturelle et dans le champ de l’éducation populaire, et à différents niveaux de responsabilité. Pour cela, j’ai dû écrire six fiches : les deux premières devaient témoigner de mon expérience directe avec les personnes en situation de grande pauvreté. J’y ai fait figurer mon expérience à l’Université populaire Quart Monde avec des jeunes en Île-de-France et ma participation aux activités pour les enfants dans le cimetière de Manille. Les deux fiches suivantes devaient témoigner de mes compétences en gestion de projet : j’y ai fait figurer mon expérience de coordination du Festival des savoirs à Manille, en insistant sur les aspects de la communication et de la recherche de fonds, et mon expérience d’encadrement de deux stagiaires de master 2 lorsque j’étais en France. Enfin, les deux dernières fiches devaient témoigner de mes compétences en lien avec le projet global de la structure : j’y ai fait figurer ma participation à une recherche-action menée sur le thème de la discrimination pour cause de pauvreté, et mon expérience de préparation du 17 octobre, Journée mondiale du refus de la misère.
Toutes ces expériences ont convaincu le jury que j’avais effectivement travaillé dans des contextes différents, avec des publics différents, et à différents niveaux de responsabilité et j’ai obtenu la totalité du diplôme en VAE, avec l’avis motivé suivant du jury :
« Dossier bien structuré, d’une lecture facile. Le candidat décrit et analyse ses expériences autour des publics auxquels il redonne vie et dignité. Il est capable de mobiliser ces publics en extrême pauvreté pour changer les choses collectivement. Références très fortes à l’éducation populaire et aux démarches participatives et émancipatrices dans des contextes et des situations d’extrême pauvreté. Dimension coordination dans la structure porteuse (ATD Quart Monde) peu mise en évidence. Une dimension d’animation sociale dans une volonté de mise en application de méthodes émancipatrices et participatives fortes dans des contextes très difficiles. Avis favorable. »1
Faire cette VAE m’a vraiment permis de réaliser à quel point le volontariat était une expérience riche professionnellement, et m’a poussé à oser reprendre les études par la suite.
La reprise d’études
En 2018, je cherchais donc à reprendre mes études mais je vivais toujours à Cebu. J’ai donc cherché une licence en ligne, car je pouvais postuler directement en troisième année de licence grâce à l’obtention de mon DEJEPS. J’ai trouvé par hasard une licence en sciences de l’éducation en ligne à l’Université Paris 8, et j’ai postulé.
Reprendre mes études a été une révélation pour moi, même si cela n’a pas toujours été évident. En 2018, j’étais en première année de licence et j’étais également inscrit à une formation de neuf mois, organisée par le Centre international d’études pédagogiques (CIEP), en didactique des langues. Comme je vivais à Cebu, je devais chercher un emploi et je n’avais pas vraiment d’option : soit je devenais formateur en français langue étrangère, soit j’allais devoir travailler dans un call-center. J’ai donc pris sur moi en cumulant deux formations et des heures de cours que je donnais à l’Alliance française de Cebu. Après ma licence, j’ai été admis en master, toujours en ligne, et toujours en sciences de l’éducation.
Il s’agissait d’un master de recherche. Lors de ma première année de master, je travaillais à temps plein comme formateur en français langue étrangère à Cebu, et je suis rentré sur Manille avant la pandémie. J’ai fait ma recherche de master 2 sur le confinement à Manille et le traitement militaire de la pandémie et je travaillais à temps plein, de nuit, dans un call-center. Aujourd’hui, je me demande comment j’ai pu réussir à dormir si peu pendant ces années, mais je crois que c’était parce que précisément je ne voulais plus me retrouver prisonnier ou dépendant du volontariat ou d’un emploi. Je vivais dans la hantise de ne pas être libre et d’être obligé de devoir subir une situation professionnelle, et je crois que c’est ce qui m’a permis de tenir le coup physiquement. Par ailleurs, les cours du master étaient passionnants, et j’ai appris énormément de choses.
J’ai découvert qu’ATD Quart Monde était connu dans l’université, et parfois mentionné et pris en exemple dans certains des séminaires. J’ai donc pu partager avec mes enseignant·e·s et mes camarades la richesse de ce que j’avais appris à travers cette expérience de volontariat. J’avais réalisé à travers la VAE que j’avais acquis des compétences, mais la reprise d’études m’a fait réaliser qu’au-delà des compétences, j’ai aussi acquis des savoirs, sur le monde, sur moi-même. Par exemple, je suis très souvent amené à parler avec des travailleurs et travailleuses sociaux, et je suis conscient des difficultés auxquelles ces personnes sont susceptibles de faire face dans le cadre de leur profession. Il m’est arrivé de partager avec eux et elles mes expériences, ou encore des textes écrits par le père Joseph Wresinski comme « Culture et grande pauvreté », ou encore des extraits du rapport Wresinski, en particulier sur la distinction entre précarité économique et sociale et grande pauvreté. J’arrivais à remettre en perspective ce que j’avais appris de cette expérience du volontariat avec des concepts plus théoriques, et c’est ce qui m’a fait réaliser que mes apprentissages dépassaient l’acquisition de connaissances.
Essayer, encore et encore
Aujourd’hui, j’ai décidé de continuer en thèse et je pense que mon expérience de volontariat a aussi joué en ma faveur. Lors de l’audition pour l’obtention des contrats doctoraux, j’ai fait cas de mon expérience de volontariat à ATD et je pense que cela a valorisé ma candidature. J’ai pu obtenir une bourse pour trois années pour financer intégralement ma thèse. C’est dans ce sens-là que je vois l’expérience du volontariat comme un tremplin, car je suis arrivé sans trop d’études ni métier qui me convenait, et on m’a donné des responsabilités, la possibilité de partager mes idées et d’apprendre. Je crois que c’est assez exceptionnel dans la société contemporaine, de donner la chance à celles et ceux qui n’en ont pas, et ATD Quart Monde le fait. Et cela aussi c’est un de mes apprentissages forts : ne pas croire que tout est perdu, essayer, encore et encore, en attendant que quelque chose se passe.
Ma reprise d’études m’a également fait progresser dans des discussions plus théoriques autour de la grande pauvreté, et même si je suis parfois en désaccord avec certaines insistances qui me semblent trop déterministes (comme si tout était un peu joué d’avance) dans le discours du mouvement ATD Quart Monde, cela ne ternit pas mon attachement intellectuel mais aussi matériel (dans le sens du travail) que je porte à ce mouvement. Je suis aujourd’hui bénévole à ATD Manille, en essayant d’aider là où je le peux.
Pour conclure, je dirais que cette expérience du volontariat m’a permis de gagner à la fois des compétences, mais aussi des connaissances, une plus grande assurance et une force intérieure. Même si cette expérience est loin d’avoir été parfaite, si c’était à refaire, je le referais.