Les questions de départ pour les deux réunions de préparation étaient : « Quelles sont nos peurs et nos difficultés pour aller voir un médecin, un dentiste ou un autre professionnel de la santé ? », et : « Quelles propositions pouvons-nous faire pour améliorer nos relations avec les professionnels de la santé ? ».
Cet article reprend les quatre points les plus importants issus des réflexions de la préparation et de la première UPQM en interne. Ils ont été présentés lors de la seconde UPQM en présence des invités, Dr Yolande Wagener, membre et bénévole auprès de Médecins du Monde Luxembourg et Mr Georges Clees, chargé de communication de la représentation des patients ASBL2.
Difficultés financières
Les frais de santé sont élevés. La peur de ne pas pouvoir financer les frais des honoraires médicaux et les médicaments prescrits empêche certains militants de consulter un médecin, alors qu’ils en auraient besoin. Les parents donnent la priorité à la santé des enfants, iront consulter un pédiatre en cas de besoin et n’iront plus consulter pour eux.
Étant donné que le principe du tiers-payant n’est toujours pas généralisé au Luxembourg, les patients doivent avancer les frais de consultation. Certaines consultations de spécialistes, p. ex. du cardiologue, sont trop chères quand il faut avancer l’argent. Le coût de certains médicaments, pourtant vitaux, n’est pas pris en charge à 100 % par la caisse de maladie. La part-patient peut représenter une part importante dans le budget.
La planification d’opérations entraîne toute une série de coûts avant l’hospitalisation : radiologie, consultations auprès des spécialistes, anesthésiste,…
« Les yeux et la bouche coûtent cher. » Les frais pour les prothèses dentaires et les lunettes sont les plus élevés et difficiles à financer. Une militante s’est arrangée avec sa dentiste pour payer ses prothèses en plusieurs mensualités. Les personnes restent dépendantes du bon vouloir et de la confiance des prestataires. Une dame craint d’être moins remboursée, parce qu’elle n’est pas allée tous les ans chez le dentiste pour un contrôle, par manque d’argent. La prise en charge pour les prothèses est en effet réduite pour les personnes qui ne peuvent pas justifier de contrôles annuels.
La consultation du podologue n’est pas remboursée, la part-patient des semelles est élevée. Les frais de pédicure, pourtant inévitables à partir d’un certain âge, ne sont pas du tout pris en charge ! La part-patient des frais de kinésithérapie représente également une somme considérable.
Plusieurs de nos militants sont sous régime de tutelle ou de curatelle. Censé faciliter la gestion financière quotidienne cela peut néanmoins engendrer des difficultés supplémentaires : certaines personnes sont gênées de devoir expliquer au médecin qu’elles doivent envoyer la facture à leur tuteur. D’autres paient leurs frais d’honoraires avec leur argent de poche et ne touchent pas le remboursement, qui arrive sur le compte géré par le tuteur. Il est important d’entretenir une bonne relation avec son tuteur. Or, cette relation varie fortement, selon la disponibilité, l’empathie et l’engagement du tuteur.
Le témoignage d’une militante, sous gestion financière auprès d’un service d’aide sociale :
« Je ne peux pas payer le médecin. Les médecins me demandent si j’ai assez d’argent pour payer la consultation avant de m’ausculter. Certains médecins refusent de me recevoir parce que j’ai une gestion financière. J’ai payé le généraliste avec mon argent de poche. »
Une autre militante a fait une triste expérience qui hélas n’est certainement pas un fait isolé :
« Mon médecin généraliste est parti en retraite. Je me suis rendue récemment chez un autre médecin. Comme je n’avais pas d’argent pour payer la consultation de suite, la secrétaire ne m’a pas remis l’ordonnance. Je n’ai pas osé y retourner. On perd la confiance envers eux. Je suis ensuite retournée au cabinet du médecin accompagnée par mon infirmière du réseau d’aide et de soins à domicile. Une bonne semaine s’était écoulée. Si elle n’avait pas été là, je n’aurais pas osé, avec ma peur. À présent, j’ai trouvé un autre médecin qui m’écoute attentivement et qui est flexible quant au paiement. Cette confiance donne du courage. »
Le fait de toujours devoir expliquer ses problèmes de santé à d’autres personnes, notamment aux assistantes sociales, en amont, pour recevoir une aide financière pour pouvoir ensuite se rendre chez le médecin est délicat et pénible, et s’accompagne de la peur de ne pas recevoir ce dont on a besoin. « Je dois toujours parler d’abord avec l’assistante sociale et la curatrice, c’est affreux. »
D’autres personnes en précarité demandent l’aide de la famille pour payer les frais.
Au Luxembourg, les Offices sociaux3 peuvent accorder le tiers payant social4. Or, les critères d’octroi varient d’un Office social à un autre. En outre, certains médecins refusent ces patients parce que la caisse de maladie est lente à les payer. « Hier, je suis allée chez un dentiste, car j’avais une forte rage de dent. Lorsque je lui ai montré l’attestation du tiers payant social, il m’a dit que je devais payer la consultation directement. » Il est important que les bénéficiaires du TPS signalent ces situations à leur assistant social, afin que celui-ci puisse sensibiliser le médecin.
Nous pensons que la santé est un droit qui devrait être garanti à tous. Il faudrait généraliser le tiers payant, actualiser la nomenclature des actes prestés par les médecins-dentistes, afin d’éviter des prix bien plus élevés que les tarifs définis par les caisses de maladie et revoir la part-patient pour les médicaments vitaux.
Difficultés pratiques liées à l’infrastructure : le temps d’attente, les déplacements,…
Lorsqu’on est malade, il faut souvent attendre plusieurs jours pour avoir rdv chez un généraliste. Faute d’un rdv chez un généraliste, les gens se rendent aux urgences, où le temps d’attente risque d’être très long.
Un militant raconte son expérience positive concernant son médecin de famille, qui l’a reçu sans rdv :
« Ma médecin généraliste est très gentille. J’avais une très forte migraine et suis allé à son cabinet médical sans téléphoner au préalable. La secrétaire m’avait d’abord recommandé de rentrer chez moi et de prendre rdv par téléphone. Je lui ai répondu que je risquais de m’effondrer à tout moment. Elle m’a alors dit d’aller m’assoir en salle d’attente, où j’ai patienté un petit peu, puis la médecin m’a examiné et m’a prescrit d’autres médicaments. Le lendemain, la douleur avait bien diminué. Maintenant, je vais mieux. »
Les médecins de famille font de moins en moins de visites à domicile.
« Mon médecin de famille ne fait pas de visites à domicile, il me dit de ‘monter’ jusqu’à son cabinet. Je ne peux pas quand je suis alitée ou que j’ai des vertiges. Je n’ai personne pour me conduire. Devrais-je y ramper ? Par après, mon médecin me demande pourquoi je n’y suis pas allée. Si je ne peux pas me lever, si je m’évanouis, qui téléphone à ma place ? Le Saint‑Esprit ? »
Prendre un rendez-vous auprès d’un médecin spécialiste est difficile. Prendre un rdv en ligne semble plus facile que de devoir joindre un secrétariat par téléphone. Or beaucoup de personnes n’ont pas accès à Internet ou ne savent pas s’en servir. Les administrations devraient davantage prendre ces difficultés en considération.
« J’ai été invitée au programme mammographie. Depuis plusieurs jours, j’essaie de prendre un rdv par téléphone, sans succès. On m’a conseillé de le faire via Internet, or je n’ai pas d’accès. C’est grave. Comment faire si on n’a pas d’accès Internet ? »
La population du Grand-duché croît, mais il n’y a plus assez de médecins, des généralistes manquent partout. Les bons psychiatres partent tous en pension.
En cas de manque de transports en commun de proximité, certaines personnes ne peuvent plus se rendre seules chez le médecin. Elles ont besoin d’être accompagnées et deviennent dépendantes des personnes de leur entourage. Un transport local gratuit vers les cabinets médicaux, tel qu’il existe déjà dans certaines communes, devrait être instauré partout dans le pays.
Relation avec le médecin / le soignant / le prestataire de santé
L’importance d’une relation de confiance avec son médecin de famille a été maintes fois soulignée. «J’ai un excellent contact avec mon médecin généraliste, que je consulte depuis de longues années et que je tutoie même. Je peux tout lui confier. Lorsque je vais mal, je vais chez lui, juste pour parler. Il prend le temps de tout m’expliquer, notamment les effets des médicaments et me montre au besoin des choses sur son ordinateur. »
Un médecin à l’écoute met le patient en confiance. Beaucoup de personnes ont peur de ne pas être prises au sérieux, de ne pas être écoutées. Elles auraient besoin de plus d’explications et d’informations au sujet des maladies et des médicaments. « Les médecins prescrivent les médicaments sans donner d’explications, ils ne se prennent pas le temps. Souvent c’est juste 15 minutes : T’as compris, soit t’as pas compris. »
Ce témoignage souligne l’importance de la communication du médecin : « Avant l’intervention chirurgicale du genou, le médecin m’a tout bien expliqué sur son ordinateur. Cela m’a ôté beaucoup de peur et m’a donné le courage d’y aller. »
S’y ajoute la barrière linguistique5 à laquelle les militants qui ne maîtrisent pas le français se heurtent souvent déjà au secrétariat. Cela se complique si le médecin ne parle que le français et qu’ils ne comprennent presque rien durant la consultation.
Certaines personnes trouvent des arrangements avec leur médecin de confiance pour le financement des prestations : « Une dame est suivie par son généraliste, qui est un ami et qui ne facture pas les consultations. Le vétérinaire la connaît aussi, il attend, elle paye dès qu’elle a de l’argent. »
Les personnes en situation de précarité sont dépendantes de la bonne volonté d’un médecin/vétérinaire/pharmacien bienveillant, et doivent trouver de nouveaux arrangements lorsque ceux-ci partent en retraite. Le départ en retraite d’un médecin de confiance pose problème : « Une militante dont le généraliste – qui veillait à ne pas lui prescrire de médicaments dont la part-patient est élevée – est parti en retraite, ne sait pas chez quel médecin aller, ni comment celui-ci pourra avoir accès à son dossier médical. » Les personnes risquent de devoir recommencer une anamnèse auprès d’un nouveau médecin, de refaire des analyses et examens.
Nous trouvons important que les médecins adoptent un langage facile, prennent le temps d’écouter, d’expliquer et de mettre les patients à l’aise. Ils devraient considérer la personne dans sa globalité et ne pas se limiter à la partie du corps concernée. Ils devraient s’assurer que le patient a tout bien compris et réexpliquer au besoin.
Freins psychologiques : peur, honte…
De nombreux militants ne se font pas suivre régulièrement, sautent les contrôles, de peur que le médecin détecte une maladie : « Le médecin te trouve autre chose que ce que tu as déjà. » D’autres ont peur de consulter suite à de mauvaises expériences. De plus, certaines personnes sont gênées de poser certaines questions, ou hésitent à recontacter le médecin pour demander leurs résultats d’examen ou d’analyses.
Plusieurs militantes, qui ont fait l’expérience de mammographies douloureuses (et du personnel manquant de tact et de délicatesse), disent ne plus participer à ce programme de dépistage, idem pour des coloscopies ou autres examens pénibles. Sont aussi omniprésentes la peur d’une éventuelle intervention chirurgicale et la peur du dentiste suite à des expériences douloureuses. Celle-ci risque d’entraîner un cercle vicieux : plus on attend, plus le prochain traitement pourrait s’avérer complexe.
Malheureusement, lors de certaines consultations médicales, les patients ne peuvent pas se faire accompagner. Or, c’est un droit. Le patient doit pouvoir être accompagné par un proche ou un professionnel encadrant, ce qui lui donne plus d’assurance, lorsqu’il a peur de ne pas tout comprendre ou tout retenir parce qu’il est nerveux, ou ne comprend pas bien le français.
Suites et réactions aux deux UPQM
Les invités, très à l’écoute, ont montré beaucoup d’intérêt. La Docteure Wagener s’est dite choquée et gênée par l’attitude de certains de ses confrères et a félicité les militants pour leur courage d’exprimer leurs expériences. Monsieur Clees a pu donner des réponses très concrètes à certains aspects abordés (mémoires d’honoraire, transfert de dossiers en cas de départs en retraite de médecins…) et a proposé de faire appel à son ASBL qui informe et conseille les patients dans des cas concrets. Tous les deux nous ont assuré leur soutien à l’avenir.
Le rapport final des deux UPQM6 a été ajouté à la Prise de position envoyée aux nouveaux Ministres. Malheureusement les réactions des Ministères sont restées assez vagues et sans suites concrètes. Le rapport a en outre été envoyé à la sécurité sociale et au collège médical, pour diffusion aux médecins. Là aussi il y a eu une quasi absence de réaction.
La participation aux UPQM a eu des répercussions positives pour certains militants, qui disent oser demander plus d’informations, insister pour se faire accompagner, se défendre auprès des secrétariats médicaux, avoir repris rdv pour une mammographie…
Lors des réunions de préparation pour les UPQM sur la santé, les participants avaient souvent abordé la santé mentale. Mais comme ce sujet nous semblait trop vaste, nous avons décidé de lui consacrer l’UPQM de décembre 2023, intitulée Comment préserver sa santé mentale ? Lors de cette UPQM, nous avons choisi de mettre l’accent sur les ressources qui sommeillent en chacun de nous et nous aident à sortir renforcés des épreuves douloureuses de la vie.