Greta-Marie Becker. “Germaine Acogny, l’essence de la danse

Documentaire, 2025

Bella Lehmann Berdugo

p. 46-47

Référence(s) :

Greta-Marie Becker, Germaine Acogny, l’essence de la danse, documentaire, 2025, Allemagne/France/Sénégal, 88 min, VO française. Shellacfilms.com

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Bella Lehmann Berdugo, « Greta-Marie Becker. “Germaine Acogny, l’essence de la danse” », Revue Quart Monde, 275 | 2025/3, 46-47.

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Bella Lehmann Berdugo, « Greta-Marie Becker. “Germaine Acogny, l’essence de la danse” », Revue Quart Monde [En ligne], 275 | 2025/3, mis en ligne le 01 septembre 2025, consulté le 03 septembre 2025. URL : https://www.revue-quartmonde.org/11745

Nous entrons de plain-pied dans une séance de cours orchestrée par Germaine Acogny, 80 ans, haute stature. Sous une immense « tente » tapissée de sable, la danseuse impressionne par sa souplesse, sa vigueur, la précision du mouvement, par son regard affûté, la concentration du visage, parfois illuminé d’un large sourire, par son énergie charismatique. Ici on joue avec la musique, on s’invente à partir des consignes et – comme la maîtresse des lieux – on danse « contre l’arrogance ». Et ça se voit. D’emblée sa vision anti conventionnelle, apparaît : « Nous travaillons aux changements de regard. Par ma danse je touche l’autre au plus profond de son être. » Les techniques européennes classiques, les apports traditionnels d’Afrique sont revisités pour faire émerger le contemporain africain d’une façon inédite, loin du folklore. C’est la Méthode Acogny.

On est pieds nus, ancré dans le sable, auquel chacun a ajouté une poignée du sable de son pays. Quand on est bien enraciné, on peut aller à la rencontre de l’autre. Il ne faut pas oublier la mobilité du bassin qui permet la résonnance depuis les pieds, elle court sur toute la colonne vertébrale, « serpent de vie » dit Maman Germaine, s’exprimant en formules imagées, quasi poétiques.

Il y a bien sûr le corps revisité par Germaine, sa culture mais pas forcément le corps noir tel qu’on l’a beaucoup regardé depuis l’Occident. « Votre buste c’est le soleil, vos fesses la lune, votre pubis les étoiles : tout votre corps contient le Cosmos. » Il y a aussi la dimension sacrée, prégnante, insufflée par Germaine : ici pas de miroir ; le danseur ou la danseuse est invité à donner à voir son âme avant son corps. 

Germaine demande aux élèves venus de tout le continent africain, parfois d’Europe, de se rencontrer en profondeur, de s’harmoniser. « Je vous ai donné des fleurs, à vous d’en faire un bouquet. »

En 2004, à Toubab Dialaw, village de pêcheurs face à l’océan aux environs de Dakar, Germaine Acogny fonde avec Helmut Vogt, son mari passionné de danse, l’École des Sables, centre de formation à la danse africaine contemporaine. « Les Noirs qui viennent ici ne peuvent pas se payer des cours chez les Blancs. »

Le centre de formation s’inspire de Mudra Afrique, première école panafricaine cocréée avec Maurice Béjart, qu’elle a rencontré grâce Léopold Sédar Senghor alors président de la République du Sénégal. Après son départ, elle rejoint Béjart à Bruxelles, voyage dans le monde entier avec ses chorégraphies.

De nombreuses séquences4 non chronologiques montrent Germaine jeune ou moins jeune s’exprimer sur les traditions, sur le colonialisme, sur ses aspirations profondes. Des extraits de ses créations tout au long de sa vie illustrent ses thèmes de prédilection. On verra notamment un groupe de danseurs très expressifs, évoluant en extérieur à côté d’une station d’essence, sous le regard des passants. L’art s’invite au quotidien, il interpelle.

Passionnée de dialogue interculturel et de pédagogie, Germaine a transmis sa technique originale à son fils ainsi qu’à deux danseuses pour lui succéder ; on les voit s’exprimer. Elle peut se consacrer à des projets plus personnels à la lisière du mime, de la tragédie, de la vidéo. Extrait d’un ballet autobiographique où s’exprime en mots, en gestes, son engagement de femme.

Une autre séquence emblématique à Venise où elle a reçu un prix. Elle dépose sur la tombe de Stravinsky un cigare et une coupe de champagne, elle apparaît ici pleine d’humour, humaine, simple, aimant la vie, loin d’une idole.

En filigrane se dessine un couple attachant, très complémentaire, d’un certain âge. Vogt gère avec passion tout le centre.

Signe des temps, des pelleteuses de mauvais augure retournent les terrains alentours. Pipe au bec, Germaine Acogny les considère avec détermination et hardiesse. En wolof on a coutume de dire que « la sueur de quelqu’un ne se perd pas. »

4 Greta-Marie Becker, Germaine Acogny, l’essence de la danse, documentaire, 2025, Allemagne/France/Sénégal, 88 min, VO française. Shellacfilms.com

4 Greta-Marie Becker, Germaine Acogny, l’essence de la danse, documentaire, 2025, Allemagne/France/Sénégal, 88 min, VO française. Shellacfilms.com

Bella Lehmann Berdugo

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