Comme une pyramide à construire

Militants Quart Monde de Rennes

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Militants Quart Monde de Rennes, « Comme une pyramide à construire », Revue Quart Monde [Online], 190 | 2004/2, Online since 05 November 2004, connection on 19 April 2024. URL : https://www.revue-quartmonde.org/1361

Des militants Quart Monde de Rennes et de sa région ont participé à la préparation du rapport du Conseil économique et social (C.E S)) : « L’Accès de tous aux droits de tous par la mobilisation de tous », soit par des enquêtes soit en recevant des membres du C.E.S. Denis Prost et Didier Robert leur ont demandé de dire ce qu’ils en ont retenu.(Voir page 5)

Table ronde avec des militants Quart Monde

Denis Prost : Pourquoi avez-vous accepté d’aider à la préparation du rapport du C.E.S ?

Christine Guillaume : J’ai déjà participé aux deux enquêtes d’évaluation de la loi d’orientation de 1998, en 2000 et 2002. Par ma participation à la préparation de ce rapport, je poursuivais ce travail. Je veux que cette loi aboutisse vraiment dans tous les domaines. Lorsque je participe ainsi, je parle aussi pour les personnes qui n’osent pas s’exprimer. J’en connais beaucoup qui n’ont pas la facilité de dire ce qu’elles pensent : ou bien elles le disent dans l’intimité à des gens qu’elles connaissent ou bien encore, elles vont se plaindre auprès des employés de la Caisse d’allocations familiales, par exemple, au lieu de se battre dans des lieux où elles peuvent défendre leurs droits. C’est ma manière d’aider les gens pauvres à mieux vivre. C’est pour ça que la loi m’intéresse.

Sylvie Odion : Moi, aussi, c’est toute mon histoire avec le Mouvement ATD Quart Monde depuis des années, d’abord sur le canton d’Antrain et maintenant à Rennes. Je m’investis auprès de plus pauvres que moi, en privé comme dans mon milieu professionnel.

Raymond Chevrier : Avec des prêtres ouvriers, je m’occupe des gens de la rue. J’ai participé aussi aux enquêtes. J’écoute les gens et j’apprends. J’apprends combien c’est dur pour des parents quand leurs enfants sont dans une famille d’accueil. J’apprends aussi ce qu’est la vie de ceux qui sont au chômage sans aucun droit. Ils n’arrivent pas à payer le loyer, l’électricité, l’eau.

Je pense aussi à ma famille. J’ai une sœur dans la région parisienne. Elle a été expulsée : elle n’avait pas payé son loyer. Elle n’était pas à la rue, elle couchait à l’hôtel, mais elle n’avait plus d’argent pour se nourrir, elle était amaigrie. En ce moment elle est en maison de repos. Moi je souhaite qu’elle refasse son chemin dans la vie, qu’elle ne retombe pas dans la galère. Alors, de participer, de faire comprendre toute cette vie, c’est ma façon de l’aider.

Denis Prost : Vous êtes allé à l’Assemblée nationale en 1998, quand la loi a été votée ?

Raymond Chevrier : Oui. Cela m’a fait chaud au cœur de voir ça. Voter, c’est s’engager, pour moi c’est comme écrire « lu et approuvé » avant de signer.

Guy Combot : Personnellement, j’ai participé à la préparation pour que les élus prennent conscience que les plus pauvres ont leur mot à dire.

Annette Petitot : Pour continuer ce que vient de dire Guy, les personnes en haut lieu ignorent souvent ce que certaines personnes endurent dans leur vie. A nous de le faire connaître, de le faire comprendre à ceux qui ont des responsabilités dans le pays.

Carole France : Moi j’ai accepté de recevoir une personnalité du C.E.S. parce que je voulais lui expliquer la vie des familles monoparentales.

Sylvie Odion : J’ai reçu chez moi deux membres du C.E.S. dont l’un ne connaissait pas trop ce qui se passait en milieu défavorisé. Il n’a pas réagi tout de suite. Mais, quand ils ont parlé pendant le repas après l’université populaire Quart Monde, je me suis dit : « C’est bon, il y a quelque chose qui est passé ». Il fallait attendre, il fallait le temps.

Guy Combot : À force de réunions, nous réussissons à amener des idées, des projets, mais il ne faut pas non plus que nous travaillons dans le vide, il faut que ça aboutisse à quelque chose.

Annette Petitot : Peut-être, mais nous ne pouvons pas dire : ça va aboutir tout de suite. Geneviève de Gaulle Anthonioz, elle a attendu combien de temps avant que la loi soit votée ? Il faut beaucoup de patience, il ne faut pas s’arrêter à la première défaite, sinon ce n’est pas la peine de travailler.

Denis Prost : Comment parlez-vous de ce rapport autour de vous ?

Sylvie Odion : Dans mon milieu professionnel j’ai un collègue syndicaliste CFDT. Comme j’ai vu que son syndicat avait voté, je lui ai prêté le rapport. Il l’a gardé deux mois, il a eu le temps de l’éplucher. Quand il me l’a rendu, il m’a dit : « Cela va aboutir à quoi ? » Sur le moment je n’ai pas su quoi lui dire. Aujourd’hui je lui répondrais : « C’est à vous de le faire avancer ! »

Guy Combot : Ce rapport, c’est un outil de travail. Il faut l’étudier, prendre des notes et ensuite en discuter. Comme ça, nous ne répondons pas dans le vide.

Sylvie Odion : Depuis que je suis allée à l’Assemblée au moment du vote de la loi contre les exclusions, je trouve qu’il y a des avancées, mais il reste des progrès à faire.

Christine Guillaume : L’évolution de la loi, et ce rapport, je les vois comme une pyramide. Nous avons commencé par des enquêtes, puis nous avons réussi un premier pas en allant au C.E.S qui a voté quelque chose. Nous savons très bien que nous ne pouvons pas aller plus haut pour l’instant. Il faut pousser pour que la pyramide monte. Je trouve qu’il y a plein de gens qui poussent, et plus on en parle plus ça va monter. Quand ce sera vraiment accepté, la pyramide sera construite.

Annette Petitot : Ce rapport, il exprime nos besoins, c’est un travail de groupe, c’est une prise de conscience pour les sociétés, c’est fait pour ça.

Christine Guillaume : Des conseillers sont venus nous rencontrer. Ils ont entendu de quoi nous leur parlions. Ils se sont fait leur point de vue. Ils en ont parlé dans leur assemblée, à leur manière. Ils n’ont pas eu la même vie que nous, ils ont quand même parlé de nos idées. Par exemple, j’ai parlé du travail et j’ai reconnu dans le rapport une petite phrase qui allait dans le même sens que ce que j’avais dit. Je n’ai pas parlé dans le vide, je me suis reconnue dans quelques lignes.

Didier Robert : Le rapport exprime nos besoins. Nous avons pris le temps de comprendre. Le texte a été changé par ceux qui devaient le voter. Nous devions dire si nous étions d’accord. C’est devenu leur regard et certaines de leurs propositions étaient meilleures que les nôtres.

Denis Prost : Quels conseils donner à quelqu’un qui fait partie d’une organisation représentée au C.E.S. et qui a voté le rapport, pour qu’il se mobilise ?

Christine Guillaume : Nous qui sommes de petites gens, quand nous voulons avoir un travail, nous devons nous former. Les politiciens ont fait de hautes études, mais ils ne connaissent pas la vie pour autant. S’ils prennent des responsabilités, ils doivent d’abord se former, faire un apprentissage pour comprendre les gens et ainsi ils feront de bonnes lois.

Catherine Troptard : Je voudrais savoir si nous pouvons faire connaître ce rapport, le distribuer dans les mairies, auprès des conseillers généraux. Je ne sais pas tellement lire, mais quand je prends le temps, je déchiffre et je comprends très bien. J’aimerais le porter au maire de ma commune et discuter avec lui. Il pourra ensuite en parler aux conseillers municipaux. Pour le conseil général et le conseil régional, c’est pareil.

Didier Robert : Je reviens sur l’idée de pyramide : elle n’est pas achevée. Il y a une différence entre ce rapport-là et une loi votée par les députés. Ceux qui l’ont voté, ce sont des syndicalistes, des chefs d’entreprises, des agriculteurs, ce ne sont pas des élus, ce n’est pas encore une loi. Mais ce qui est important, c’est qu’il y a des personnes qui ont des responsabilités qui l’ont soutenu. Cela nous concerne et il faut maintenant que ça aille plus loin.

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