Rendre un village accueillant

Bernard et Colette Berthet

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Bernard et Colette Berthet, « Rendre un village accueillant », Revue Quart Monde [En ligne], 177 | 2001/1, mis en ligne le 05 août 2001, consulté le 29 mars 2024. URL : https://www.revue-quartmonde.org/1626

Des familles en grande pauvreté fuient la ville et viennent se réfugier à la campagne, espérant peut-être y trouver une vie meilleure. Leur intégration est un échec s’il n’y a pas une préparation préalable et une médiation en cas de conflits. Les auteurs relatent leur expérience d’accueil et d’accompagnement d’une famille venue de la région parisienne.

Index de mots-clés

Monde rural, Citoyenneté, Solidarité

Nous habitons un village de 400 habitants. La majorité d'entre eux sont d’origine paysanne, mais ne vivent plus du travail de la terre. Ils gardent cependant une mentalité liée au monde rural, en particulier quant à la valeur accordée au travail : quelqu’un de courageux, c’est quelqu’un de travailleur. Deux lotissements se sont greffés sur le pourtour du village. L’intégration de ces nouveaux résidants provoque quelques frictions : ils ne posent pas de problèmes mais n’ont pas la même mentalité que les villageois du « cru » ! Par ailleurs il est relativement facile de trouver du travail grâce à une entreprise multinationale toute proche. Voilà le contexte de notre village.

Monsieur et Madame Carrot, venus une fois en vacances dans une maison familiale, avaient alors manifesté le désir d’habiter la région. ATD Quart Monde, qui anime cette maison, nous a demandé de chercher un logement pour eux. Nous savions bien qu’il ne s’agirait pas seulement de chercher un logement. Comment allions-nous leur permettre de trouver leur place dans ce milieu rural ?

Connaissant la mentalité rurale et sachant un peu ce que vivaient des familles très pauvres en milieu urbain, nous entr’apercevions les malentendus qui pourraient surgir. Nous avons essayé de trouver des moyens pour les prévenir ou du moins pour ne pas les laisser s’installer.

La première étape fut donc d’abord de trouver un logement. Au bout de six à sept mois, nous en avons trouvé un de type F4, un peu humide mais avec un loyer acceptable. Ce logement était attenant à la ferme du propriétaire. Lorsque nous avons eu la certitude que M. et Mme Carrot étaient prêts à venir, nous avons parlé de leur arrivée dans le village. Nous avons retenu le logement au mois de mars. Même s’ils désiraient venir, la décision fut difficile à prendre : ils sont arrivés au mois de juillet. Avec quelques amis, nous avons emménagé la maison. La pauvreté révélée par leur mobilier fut déjà un premier choc pour nous.

Les enfants travaillaient bien

Nous savions l’importance pour eux de se sentir accueillis et d’avoir des repères. Nous les avons introduits auprès du maire. C’était tellement nouveau pour eux d’avoir des relations de proximité avec un maire, qui, dans une grande ville, reste quelqu’un d’inaccessible. Puis des contacts furent pris avec des enseignants, des parents d’élèves, l'épicière, des voisins, des amis, le curé... Ils ne seraient pas d’eux-mêmes aller leur parler. Nous les avons guidés pour qu’ils sachent dans quelle ferme acheter leurs œufs. Nous leur avons fait connaître un retraité qui pouvait apprendre à M. Carrot à couper son bois pour le chauffage. Les habitants étaient prêts à accueillir cette famille qui avait besoin de se refaire des forces.

Les questions sont arrivées au bout de cinq ou six mois : pourquoi M. Carrot n’allait-il pas couper du bois tous les jours ? Un tel effort physique était au-dessus de ses forces. Second problème : le jardin inclus dans la location. Les voisins n’ont pas compris que celui-ci n’ait pas été bêché à l’automne. C’était inconcevable pour eux de laisser une terre inculte. Au printemps, M. Carrot avait bien donné quelques coups de bêche, planté quelques pieds de tomates, des choux, des radis... mais quand on n’a pas la fibre, ça a du mal à pousser.

La fermière, propriétaire, est venue montrer à Mme Carrot comment s’y prendre, prodiguant force conseils. Celle-ci a senti comme un poids très lourd ce regard posé sur tous ses gestes. Les conseils ne suffisent pas pour transformer une réalité, créer des habitudes.

M. Carrot voulait travailler. Ensemble, nous avons cherché et nous avons trouvé des travaux saisonniers de courte durée (aide à l'arrachage des betteraves sucrières, maïs, bois...). Mais tous ces travaux demandaient une résistance physique qu’il était loin d’avoir. Aussi, au bout d’un certain temps, a-t-il renoncé. Il a alors été considéré comme peu courageux. Par notre intermédiaire, il a obtenu une place d’homme d’entretien dans un laboratoire : cela correspondait mieux à ce qu’il pouvait faire et il s’y est maintenu.

Sachant combien la réussite scolaire était primordiale, nous nous sommes investis auprès de l’association des parents d’élèves et auprès de l’institutrice qui était aussi directrice d’école. Ainsi, les enfants de 11, 9 et 3 ans ont été bien entourés. Encouragés, ils travaillaient bien et faisaient des progrès.

Nous étions en relation pratiquement quotidienne avec cette famille, désamorçant le moindre début de conflit : nous l’avions fait venir et aux yeux du village, nous étions donc responsables. Un jour, l’un des enfants avait ouvert les clapiers des 40 lapins de la fermière voisine !

Le point noir, c’était quand même le logement qui se révélait vraiment humide : tout moisissait. De plus, il était difficile d’être en permanence sous le regard des propriétaires. A la demande de M. et Mme Carrot et avec eux, nous nous sommes mis en quête d’un nouveau logement que nous avons trouvé dans un village voisin. Ce logement était très agréable : une maison individuelle dans un lotissement. La famille a emménagé à Noël. Même si l’institutrice a introduit la famille auprès de la nouvelle équipe enseignante, les relations n’ont pas eu la même qualité. La maman, montrant les cahiers propres et bien tenus d’avant Noël et ceux d’après Noël couverts de rouge et de mentions « mal », nous disait : « Mais, enfin, mes enfants n’ont quand même pas changé comme ça, si vite ! » Les enfants se sont en fait bientôt retrouvés sur une voie de garage.

A la découverte de tous les habitants

Si elle est satisfaite de son nouveau logement, la famille regrette le réseau des relations établies dans le premier village. N'étant pas implantés nous-mêmes dans ce nouveau lieu, nous ne pouvions pas l’introduire comme nous l'avions fait auparavant. Ce fut très difficile pour elle d’établir des relations simples avec tout le monde.

Cependant nous pouvons dire que son installation en monde rural a été en grande partie réussie sur le plan du travail puisque M. Carrot a gardé son emploi. Il s’est aussi investi dans une association.

M. et Mme Carrot nous ont introduits à leur tour auprès de familles très pauvres avec lesquelles ils entraient en relation très facilement et se sentaient à l'aise. Ils nous les ont fait connaître et nous ont ainsi révélé une réalité de notre région. Lorsqu’il y a trois ans, une assistante sociale nous a demandé d’aller rencontrer une famille qui vivait dans des conditions très dures, M. et Mme Carrot nous ont accompagnés. Il y a eu des atomes crochus entre eux, et nous avons cheminé ensemble avec cette famille qui, depuis décembre, habite enfin un pavillon décent.

Bien sûr, il n’y a pas de miracle. Le cheminement est parfois difficile, lourd, fait de malentendus ou d’incompréhensions mutuelles. Nous aurions aimé un partage plus grand avec des personnes engagées comme nous dans un tel compagnonnage.

« Depuis dix ans, nous sommes à la campagne »

Nous avons vécu quinze ans en ville. Depuis dix ans, nous sommes à la campagne. Nous avons d'abord habité dans un village où  nous n’étions pas connus, mais on nous attendait, Bernard Berthet (voir ci-dessus) avait préparé le chemin. Les gens nous disaient bonjour, nous invitaient à prendre le café, le maire nous parlait... nous n'étions pas habitués à ça.

En 1993, nous nous sommes installés dans un bourg de 1000 habitants à quelques kilomètres. Là, on n'aime pas les pauvres, le maire disait : on ne leur a pas demandé de venir, ils n'ont qu'à faire leur jardin et se débrouiller.

Quand mon mari a trouvé du travail – précise Mme Carrot – j'entendais dire : « C'est la femme du Clos (lieu-dit), son mari travaille encore ? » Et M. Carrot interroge : « Depuis que je travaille, les gens me respectent davantage. Est-ce qu'il faut du travail pour être intégré ? En ville, tu es noyé dans la masse, on ne connaît pas ta situation, la pauvreté, on ne la voit pas. A mon avis, on s'en sort mieux dans un village. Nous avons toujours trouvé du bois gratuitement pour le chauffage.

Ici les amis, ça dure. Maintenant nous faisons partie du conseil de solidarité pour expliquer ce que nous avons vécu, nous représentons les autres. » 

Bernard et Colette Berthet

Retraités, mais non sans activités ni relations, Colette et Bernard Berthet habitent dans un village du Jura français dont ils sont originaires.

CC BY-NC-ND