Un pays se mobilise

Elza Maria Pires Chambel

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Elza Maria Pires Chambel, « Un pays se mobilise », Revue Quart Monde [En ligne], 177 | 2001/1, mis en ligne le 01 septembre 2001, consulté le 19 mars 2024. URL : https://www.revue-quartmonde.org/1641

Le Portugal a été essentiellement un pays rural. Son entrée dans l'Union européenne a accompagné et accéléré une évolution économique et sociale qui a engendré de nombreuses mutations. Si celles-ci ont été bénéfiques pour une partie de sa population, elles ont aussi fragilisé les plus pauvres. Un programme national de lutte contre la pauvreté a été mis en œuvre. L'auteur en livre ici brièvement les orientations et les principes d'action. Extraits d'une contribution à la Conférence européenne sur l'exclusion sociale en milieu rural, Clermont-Ferrand 19-20 octobre 2000

Au Portugal, la pauvreté et l’exclusion sociale ont des traits spécifiques. Le pays vit une phase de transition entre une vieille pauvreté, plus traditionnelle, plus rurale, qui domine encore, et une exclusion sociale caractéristique des pays industrialisés à faible population rurale. Il y a certes une diminution des différences sociales, mais on assiste en même temps à l’apparition d’une catégorie de personnes qui tombent dans l’exclusion par manque de formation et de qualification.

Les situations de pauvreté sont la conséquence de plusieurs facteurs qui se renforcent : des facteurs mondiaux comme la globalisation1 et le développement de l’individualisme, des facteurs locaux comme le manque de travail dans certaines régions, enfin des facteurs personnels et familiaux qui accroissent la vulnérabilité (selon la dimension et le statut de la famille, l'état de santé, l’âge, le niveau d’éducation et de formation).

Les politiques de développement local peuvent enrayer ou accentuer le jeu de ces divers facteurs. Le programme national de lutte contre la pauvreté cherche, quant à lui, à éliminer les mécanismes générateurs de la pauvreté et de l’exclusion sociale : 210 projets ont été retenus dont 70 en milieu rural.

Premier défi : faire d'abord un diagnostic auquel participent des acteurs du secteur public et du secteur privé (associations, groupes informels, simples citoyens). Nous sommes convaincus qu'un changement substantiel ne peut se produire que si tous ceux qui sont impliqués dans la lutte contre la pauvreté se mettent ensemble. D’où la création, dans chaque lieu retenu, d’un conseil de partenaires, comprenant des représentants de communes ou d'associations de communes, des organisations non gouvernementales, des promoteurs de projet, des acteurs du monde économique. Ce conseil réfléchit, planifie et met en œuvre un programme. Il prévoit d'entrée de jeu les modalités de son évaluation.

Des actions multiples

Les situations d’exclusion sociale revêtent des caractères multiformes. Il faut donc développer une approche multidimensionnelle qui se préoccupe aussi bien de la subsistance des populations que de leur participation à la vie communautaire. D’où la volonté d’intégrer d'une part les domaines économiques et socioculturels, d'autre part les différents milieux sociaux avec leurs habitudes et leurs coutumes propres.

Ainsi, en milieu rural, nous avons réussi à développer de nouvelles dynamiques locales, en capitalisant des synergies, en revitalisant et renforçant des solidarités de voisinage. Celles-ci constituent un véritable réseau de protection sociale primaire, avec des services de proximité, l’organisation de groupes divers pour prévenir l’exclusion sociale liée en partie à la modernisation et protéger les personnes et les familles les plus menacées.

Ces dynamiques engendrent aussi bien des actions « sociales » que des créations d’équipements ou de services, des entreprises d'insertion, d’amélioration de l’habitat ou de développement économique.

Tout le monde est responsable de la lutte contre la pauvreté. Aussi on ne s'enferme pas dans des protocoles rigides. A côté de partenariats très structurés, nous encourageons l’intervention de partenaires informels, voire individuels, et favorisons en particulier la coopération intergénérationnelle qui est très importante en milieu rural. En appeler à la participation et à l’engagement de tous les intervenants, institutionnels ou informels, collectifs ou individuels, demande du temps. Il faut agir en conséquence si nous voulons que les énergies de tous puissent se révéler et être mobilisées.

Quelques exemples

A Arcos de Valdevez, l’activité artisanale constitue un fort potentiel local qu’il est urgent d’encourager et de préserver. Ce sont des savoir-faire traditionnels millénaires qui risquent de disparaître s’ils ne sont pas rapidement développés, car la main-d’œuvre est âgée. Sont concernés : tous les villages environnants, l’Institut de l’Emploi et du Recrutement professionnel, la région touristique de Alto Minho. Depuis août 98, on a agi sur les conditions qui permettent le développement et la promotion de cette activité. D'abord en organisant l’offre et en créant des circuits de commercialisation : points de vente où tous les artisans peuvent exposer leurs travaux, participation à des foires artisanales, système d’emballage pour la vente des articles. Puis en développant l’apprentissage pour la transmission des savoir-faire. A travers cette action, c’est tout un milieu qui s’est revitalisé.

De la même manière dans la même région, avec les mêmes partenaires auxquels s’est jointe l’organisation régionale de l’agriculture de Douro et Minho, un projet a soutenu la culture et la commercialisation de l’orange d’Ermelo, unique par ses caractéristiques, et la création d’un dessert servi dans les restaurants locaux. Cette action a permis de maintenir la culture de l’orange des 35 producteurs et a eu des retombées sur les 324 habitants du village.

Dans la région de Guimarães, plusieurs projets sont menés en direction d’adultes qui ne sont pas allés à l’école et de jeunes. Un centre de ressources éducatif et communautaire à la « Casa do Povo » de S. Torcato met à disposition des informations, du matériel multimédia, et mène des actions de formation pour permettre l’accès de tous au développement. A cela s’ajoutent des ateliers d’expression et l’« heure du conte ».

Autre projet mis en place : la « Foire de la Terre », initiative annuelle de promotion et de valorisation du monde rural qui constitue à la fois un espace d’échange d’expériences et d'informations (par exemple, sur l’élevage du bétail), un espace de commercialisation pour les artisans et les agriculteurs, un espace d'expression pour les associations culturelles et socioprofessionnelles, et une occasion de développer le tourisme et la restauration. La population rurale sans formation scolaire, qui pratique la pluriactivité familiale, est très concernée par cette manifestation, qui donne une image diversifiée et intégrée du monde rural, renforce l’identité locale et favorise la rencontre avec les jeunes générations.

1 Voir à ce sujet Mondialisation et pauvreté, Quart Monde n° 175.

1 Voir à ce sujet Mondialisation et pauvreté, Quart Monde n° 175.

Elza Maria Pires Chambel

Au Portugal, Elza Maria Pires Chambel est commissaire du programme de lutte contre la pauvreté pour la région Sud et préside à la direction des services sociaux du ministère de la Solidarité et de la sécurité sociale.

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