L’écriture de la vie

Jacqueline Chabaud

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Jacqueline Chabaud, « L’écriture de la vie », Revue Quart Monde [En ligne], 188 | 2003/4, mis en ligne le 05 mai 2004, consulté le 18 avril 2024. URL : https://www.revue-quartmonde.org/2066

Apprendre à dire, à raconter, à écrire, à exprimer, - les faits quotidiens mais aussi ses rêves, ses désirs, ses pensées, ses joies et ses peines - n’est-ce pas ouvrir le chemin de sa liberté ?

Pareil apprentissage n’est cependant pas donné à tout le monde. « Comment arriver à susciter chez un clochard, chez une famille marginalisée un sens de leur histoire, eux qui ne savent parfois pas redire ce qui s’est passé une heure avant ? Pour pouvoir retenir ce qui s’est passé une heure avant ou la veille, il faut une sacrée liberté d’esprit, une certaine maîtrise de son temps. » Cette interrogation ancienne du père Joseph Wresinski constitue le cœur de ce numéro. Elle provoque quotidiennement les militants d’Atd Quart Monde, acharnés à recueillir la vie d’un peuple aux prises avec la misère, obstinés à soutenir les personnes qui témoignent de leur propre refus de l’injustice et de celui de leur peuple. Elle explique la création des éditions Quart Monde et des Journées du Livre contre la misère.

En effet, il ne s’agit pas ici de « faire de sa vie une histoire » selon le titre d’un livre d’Alex Lainé, mais de bâtir l’histoire d’un peuple. Dans leur avant-propos, les auteurs de l’album Ensemble présenté dans ces pages l’écrivent clairement : « Ce qui nous pousse à présenter ce livre, c’est peut-être avant tout l’envie de changer le regard des autres, l’envie de ne plus avoir à rougir de notre histoire, du lieu où l’on est né(...) Dire que nous vivons les mêmes rêves, les mêmes inquiétudes et les mêmes soucis que tout le monde : pour le travail, la famille et l’avenir de nos enfants ». Les Belles familles, (selon le titre de l’ouvrage de Jean Louis Saporito)1, et les quelques fragments de vie rassemblés dans ce dossier ne disent pas autre chose.

A leur manière, ces fragments invitent le lecteur au partage de cette humanité qui nous est pleinement commune. Comme l’y invite aussi Arlette Farge dans la préface de son livre Le bracelet de parchemin. L’écrit sur soi au XVIIIéme siècle2  : « Le griffonné morceau de parchemin, le bracelet, le petit crayon au fond de la poche, la tablette, le dessin si étrange ont échappé à notre attention (...). Bien sûr ce n’est sans doute pas grand-chose aux yeux du Savoir que cet éparpillement informe de traces écrites de soi sur les corps défunts. Mais à l’évidence, c’est en ne les apercevant pas que nous construisons sans cesse une culture de nantis, décalée et fermée, sûre d’elle et jamais atteinte par le désir de l’autre, si démuni soit-il. Car l’écrit est une forme de désir. Et c’est bien de cela que nous parlerons ci. Pour le remettre à l’aune de la connaissance, pour l’introduire comme moteur de l’action, énonciation sociale et politique ».

1 Ed. Les arènes, 2002.
2 Ed. Bayard, 2003. Voir aussi Quart Monde n° 174.
1 Ed. Les arènes, 2002.
2 Ed. Bayard, 2003. Voir aussi Quart Monde n° 174.

Jacqueline Chabaud

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