Pour en finir avec la violence faite aux enfants

Pascale Budin

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Pascale Budin, « Pour en finir avec la violence faite aux enfants », Revue Quart Monde [En ligne], 173 | 2000/1, mis en ligne le 01 septembre 2000, consulté le 18 avril 2024. URL : https://www.revue-quartmonde.org/2129

Le préambule de la Convention internationale relative aux droits de l’enfant fait deux constats qui ont une importance particulière pour le Mouvement ATD Quart Monde. Le premier insiste sur l’importance du rôle de la famille et le second reconnaît « qu’il y a dans tous les pays du monde des enfants qui vivent dans des conditions particulièrement difficiles, et qu’il est nécessaire d’accorder à ces enfants une attention particulière ». Mais qu’en est-il au creux de la réalité quotidienne ? Répondre à cette question, n’est-ce pas apprendre à voir la violence faite aux enfants dans son propre pays ?

La Convention internationale des droits de l’enfant, dont nous venons de fêter le dixième anniversaire, fut officiellement adoptée le 20 novembre 1989 par l’assemblée générale des Nations unies, puis ratifiée par la presque totalité des pays du monde (sauf la Somalie et les Etats-Unis)

Les droits établis dans cette Convention définissent des principes et des normes universels ayant pour but de garantir aux enfants « une aide et une assistance spéciales » du fait de leur fragilité. Un des points intéressants est que cette Convention a été le premier traité international sur les droits de l’homme, qui inclut à la fois les droits civils et politiques (liberté d’expression, d’opinion, ou d’information…), et les droits économiques, sociaux et culturels (droit à l’éducation, à la santé, à la culture et aux loisirs, droit à un niveau de vie suffisant, droit de vivre en famille...)

Le contrôle de l’application de la Convention est confié au Comité des droits de l’enfant, qui siège à Genève. Ce Comité composé de dix experts indépendants élus par les Etats, a pour mission « d’examiner les progrès accomplis par les Etats-parties dans l’exécution des obligations contractées ». Il se base pour ce faire sur l’examen des rapports que chaque Etat-partie doit soumettre une première fois deux ans après la ratification et ensuite tous les cinq ans.

Les ONG internationales ont joué un rôle fondamental dans la rédaction de la Convention, et elles ont continué, après l’adoption de ce texte, à coordonner leurs efforts pour veiller à sa mise en œuvre. Le groupe des ONG pour la Convention relative aux droits de l’enfant siège à Genève de façon permanente et est devenu un partenaire privilégié du Comité des droits de l’enfant. Il transmet des informations complétant les rapports des Etats et il contribue également à la diffusion et à l’utilisation des conclusions et recommandations du Comité après examen des rapports.

Le Mouvement ATD Quart Monde est présent dans ce groupe depuis son origine, avec pour objectif de faire entendre la voix des enfants vivant en situation de grande pauvreté et de leurs familles.

Pour susciter l’attention aux droits de l’enfant

Dans de nombreux pays se sont constituées des coalitions nationales d’ONG qui jouent, à l’échelon national, le même rôle que celui du groupe des ONG de Genève.

En Belgique, diverses organisations, dont DEI (Défense des Enfants International), la Ligue des droits de l’homme et ATD Quart Monde avaient déposé un rapport alternatif auprès du Comité des droits de l’enfant lors de l’examen du premier rapport de l’Etat belge, en 1995. Ces différentes organisations ont ensuite décidé de rassembler leurs forces au sein de la Coordination francophone des ONG pour les droits de l’enfant. Elle comporte aujourd’hui 6 autres membres : Amnesty International, l’OMEP (Organisation Mondiale pour l’Education Préscolaire), la Commission Justice et Paix, le Comité belge pour l’Unicef, la Ligue des Familles et le mouvement du Nid. Une coalition néerlandophone s’est constituée plus récemment, à l’initiative du Comité belge pour l’Unicef.

La coordination francophone s’est fixé deux objectifs majeurs. D’une part, elle veut veiller au respect par la Belgique de la mise en œuvre de la Convention et suivre le processus d’élaboration des rapports au Comité des droits de l’enfant ; d’autre part, elle entend développer des actions d’information, de sensibilisation et d’éducation aux droits de l’enfant, à la fois vers les enfants eux-mêmes et vers les adultes.

Elle n’a pas pour l’instant de statut juridique et fonctionne comme association de fait, grâce à la bonne volonté de ses membres, qui sont délégués par les différentes ONG pour les représenter et assurer le suivi de son travail. Elle n’a pas de local particulier et les réunions ont lieu à tour de rôle dans les locaux de chaque organisation, à un rythme variable selon la charge de travail et l’actualité. Le principal inconvénient de ce type de fonctionnement, qui permet par ailleurs une grande souplesse, est que la coordination n’a pas de source de financement permanente.

Contrairement à ce qui avait été recommandé par le Comité des droits de l’enfant lors de l’examen du premier rapport de la Belgique en 1995, il n’y a pas eu, de la part de l’Etat, de véritable volonté de collaboration avec les ONG pour la préparation du second rapport, qui devait être déposé en 1999. Mises devant le fait accompli, les ONG ont alors décidé de présenter une nouvelle fois leur propre rapport, dit  « rapport alternatif ». L’objectif étant de donner une image précise de la mise en pratique de la Convention dans le pays (alors que le rapport de l’Etat se situe plus au niveau d’un état des lieux juridique) et d’émettre des recommandations concrètes sur les améliorations à apporter.

Grâce à l’obtention d’un financement spécifique, une personne a pu être embauchée à mi-temps pour coordonner ce projet, qui a duré un an.

Aller au-delà du malheur médiatisé...

Mon implication dans la coordination a donc débuté en septembre 1998, au moment où celle-ci se lançait dans la préparation de ce rapport alternatif. Un des objectifs était de veiller à ce que la parole des plus pauvres y soit entendue, en partant notamment du Rapport général sur la Pauvreté.1 Certaines questions, peut-être moins médiatisées que les problèmes d’accueil des réfugiés ou d’abus sexuels, devaient avoir leur place dans le débat : par exemple, l’égalité d’accès à l’éducation ou aux soins de santé pour tous les enfants ou le respect de l’intégrité familiale.

Première étape : la récolte des informations en provenance du terrain, soit à partir de nos propres organisations, soit à partir de professionnels travaillant dans les domaines concernés et qui ont accepté de collaborer avec nous.

Le 20 novembre 1998, date anniversaire de la Convention, une soixantaine de personnes ont participé à des ateliers-débat autour de six thèmes : santé et niveau de vie ; éducation, culture et loisirs ; participation des enfants ; mineurs étrangers ; placement ; justice des mineurs. Membres d’associations, universitaires, professionnels de l’enseignement, de la santé, de la justice, etc.… ont pu apporter leur témoignage, poser des questions qui les préoccupent et dialoguer entre eux. Cette rencontre avait lieu dans les locaux d’un centre de formation sociale et nous avions invité les étudiants à se joindre aux différents ateliers. Une vingtaine d’entre eux y ont participé, majoritairement dans les ateliers « éducation, culture et loisirs »  et «justice des mineurs ».

La presse fut également une source non négligeable d’informations, que ce soit au travers de la presse quotidienne ou de publications spécialisées, pour autant que les informations données puissent être vérifiables et documentées.

Pour la phase suivante, la coordination avait choisi de confier la rédaction de chaque chapitre soit à un expert, soit à l’une des organisations membres, en fonction de leurs compétences particulières dans les domaines concernés. ATD Quart Monde a été plus particulièrement impliqué dans la rédaction du chapître santé de ce rapport.

Pour finir, il s’agissait de nous mettre d’accord, à neuf, sur le texte définitif, puis d’obtenir l’aval de nos organisations respectives. Pour ce faire, une dizaine de personnes engagées dans le Mouvement ATD Quart Monde et actives dans les différents domaines, m’ont aidée à relire chaque chapitre du rapport, puis à présenter un certain nombre de propositions de modifications.

Dans l’ensemble, les témoignages d’acteurs de terrain, les données récoltées ont permis à la coordination de présenter un rapport concret et documenté dans la plupart des domaines, à l’exception peut-être de celui de la culture et des loisirs. Ce constat m’apparaît comme le reflet d’un état d’esprit général d’une partie de la société, pour qui le droit à la culture n’est peut-être pas aussi fondamental que d’autres, qui répondent à des besoins plus palpables, comme celui de manger ou d’avoir un toit.

Le résultat de ce travail est un rapport d’une centaine de pages, publié en juin 19992 et transmis au Comité des droits de l’enfant à Genève. Les ONG y ont pointé une dizaine de priorités d’actions pour l’amélioration de l’application de la Convention des droits de l’enfant en Belgique.

Parmi celles-ci, on trouve d’abord des recommandations méthodologiques visant à faciliter le processus d’évaluation par la « mise en place d’un mécanisme permanent de collecte des données » et « l’élaboration d’un processus d’évaluation permanent en collaboration avec les ONG. »

Certaines recommandations d’ordre plus général font suite, comme « la nécessité de former davantage les enfants, jeunes adultes et professionnels au contenu et à la mise en œuvre de la Convention », ou « le lien entre la Convention des droits de l’enfant et le respect des Droits de l’homme, et particulièrement ceux qui garantissent les besoins économiques, sociaux et culturels des parents et familles ».

Enfin, viennent des recommandations plus ciblées sur certains thèmes retenus comme prioritaires par l’ensemble du groupe : la problématique des mineurs réfugiés, la nécessité de mise en place d’approches préventives dans les domaines de la santé, du placement des enfants ou du traitement de la délinquance juvénile.

Faire progresser tout un pays

Depuis la publication du rapport alternatif, et alors même que le rapport belge ne sera pas à l’ordre du jour du Comité avant deux ans, plusieurs éléments témoignent d’une évolution positive.

Des contacts ont eu lieu avec les représentants des différents gouvernements et parlements du pays, nouvellement élus, à la fois au niveau fédéral et communautaire. Même si aucun engagement concret n’a été pris pour le moment, la démarche en elle-même est intéressante ; elle constitue en effet une reconnaissance officielle de notre travail et de la coordination elle-même en tant qu’interlocuteur de l’Etat.

La Commission nationale des droits de l’enfant devrait être réactivée en associant davantage les ONG. et les experts universitaires à sa démarche d’évaluation et de suivi. Cette commission avait été créée par le gouvernement à la suite du premier rapport belge pour assurer le suivi et la coordination des politiques, et elle ne s’était réunie qu’une seule fois depuis lors.

Enfin, la coalition néerlandophone, qui est en train de s’organiser, a émis le souhait de travailler en partenariat avec la coordination francophone, ce qui devrait permettre d’avoir un poids plus important vis-à-vis des autorités.

La contribution du Mouvement ATD Quart Monde à ce projet aura permis, au même titre, je crois, que pour les autres organisations, un véritable échange. Un échange au niveau des idées et des expériences tout d’abord, dans lequel les familles du Quart Monde ont été présentes en tant qu’acteurs de la lutte contre la pauvreté, que ce soit à travers l’élaboration du Rapport général sur la Pauvreté, les travaux des différents réseaux et groupes de réflexion, ou ceux des Universités populaires Quart Monde.

Un échange aussi en termes de reconnaissance réciproque entre les différentes organisations qui a pu se prolonger dans des partenariats plus restreints.

La présence d’ATD Quart Monde dans ce groupe a permis la prise en compte de problèmes spécifiques liés à la pauvreté, que l’on n’attendrait peut-être pas dans le rapport d’un pays développé et socialement avancé (problèmes de santé, d’accès à l’éducation, de placements d’enfants pour raisons économiques…) Et sans doute aussi, ce Mouvement a-t-il contribué à faire reconnaître que « l’intérêt supérieur de l’enfant » est fortement lié à l’intérêt que l’on porte à sa famille et aux moyens qu’on lui donne pour assumer ses responsabilités.

Ma motivation personnelle, en acceptant cette mission de représentation, était avant tout de pouvoir transmettre cette idée, qui me fait agir depuis ma première rencontre avec des enfants défavorisés en bibliothèque de rue, il y a un peu plus de dix ans : tout homme, tout enfant porte en lui la même dignité ; tout homme, tout enfant est porteur d’une richesse, qui ne demande qu’à s’exprimer pour peu qu’on se donne les moyens de l’écouter et de lui faire confiance.

De cette expérience de travail en commun, je retiendrai trois points : la force du groupe, avec sa diversité de compétences et d’idées mais aussi la fragilité de chacun dans la confrontation de ses propres priorités avec celles des autres, et la nécessité d’un accord sur l’essentiel, si l’on veut avancer.

1 Rapport général sur la pauvreté, Fondation Roi Baudouin - ATD Quart Monde - Union des Villes et Communes, Belgique, 1995

2 Rapport des Organisations Non Gouvernementales destiné au Comité des droits de l'enfant, Belgique, 1999

1 Rapport général sur la pauvreté, Fondation Roi Baudouin - ATD Quart Monde - Union des Villes et Communes, Belgique, 1995

2 Rapport des Organisations Non Gouvernementales destiné au Comité des droits de l'enfant, Belgique, 1999

Pascale Budin

Economiste de formation, mariée et mère de cinq enfants, Pascale Budin est engagée dans le Mouvement ATD Quart Monde depuis 1989. Chargée de la représentation, puis déléguée régionale de ce Mouvement en Alsace jusqu’en 1997, elle a rejoint à Bruxelles l’équipe de la Maison Quart Monde en septembre 1998. Elle représente ATD Quart Monde au sein d’une coordination d’ONG pour les droits de l’enfant, en vue de l’élaboration d’un document d’évaluation sur la situation des enfants en Belgique.

CC BY-NC-ND