L'action de la Coordination d'ONG pour la dignité humaine

Elena Flores et Victor Solé

Citer cet article

Référence électronique

Elena Flores et Victor Solé, « L'action de la Coordination d'ONG pour la dignité humaine », Revue Quart Monde [En ligne], 175 | 2000/3, mis en ligne le 05 mars 2001, consulté le 25 avril 2024. URL : https://www.revue-quartmonde.org/2201

Depuis 1993, cinq ONG en Belgique se sont regroupées au sein d’une «Coordination pour la dignité humaine », qui agit pour que les autorités publiques prennent le respect des droits de l’homme comme mesure de leur action. Ses interlocuteurs privilégiés sont les représentants de la Belgique au Fonds monétaire international et à la Banque mondiale.

A la veille de la conférence de l'ONU à Vienne sur les droits de l'homme (1993), Amnesty international, Justice et Paix, la Ligue pour la défense des droits de l'homme, OXFAM Solidarité et ATD Quart Monde se sont concertés et ont décidé de se donner une plate-forme commune pour avoir plus de poids et de crédibilité face aux autorités publiques. C'est la naissance en Belgique de la Coordination des ONG pour la dignité humaine.

Pour ces organisations, comme pour beaucoup d'autres, les droits de l'homme ne sont pas seulement ceux qui ont été proclamés par la Déclaration universelle, explicités, précisés, élargis par le pacte relatif aux droits civils et politiques et par le pacte relatif aux droits économiques, sociaux et culturels. Ce sont aussi le droit au développement (proclamé en 1986), les droits des femmes et ceux de l'enfant, ou les conventions fondamentales de l'Organisation internationale du Travail (OIT).

Tous ces droits sont actuellement reconnus par la plupart des Etats au sein de l'ONU. Ce sont des droits universels, donc dûs à tous. Les Etats s'en reconnaissent responsables, c'est-à-dire qu'ils acceptent de les promouvoir et de les défendre partout et pour tous. Même si dans la réalité nous sommes encore loin du but, nous savons au moins à quoi aspire la communauté internationale. Et tous les organes de la société sont tenus de collaborer au respect de l'ensemble des droits de l'homme.

Pour les cinq ONG citées ci-dessus, la présentation d'une plate-forme commune pour la conférence de Vienne a été l'occasion de rappeler que les droits de l'homme sont indivisibles et interdépendants. Par exemple, on ne fera pas avancer le droit à l'éducation si des enfants ne peuvent manger à leur faim, accéder à la santé, voire vivre en famille. Egalement, le droit de vote ne sera pas effectif sans liberté de la presse et alphabétisation. Mais cette indivisibilité et cette interdépendance sont encore contestées, dans les discours parfois, dans les faits souvent.

Beaucoup d'ONG travaillent, selon leur spécificité propre, pour le respect des droits de l'homme. Mais chacune d'entre elles ne pourra promouvoir les droits qu'elle défend que si les droits soutenus et promus par les autres ONG sont également mieux respectés.

Les étapes d'une mobilisation

En 1993, la Coordination des ONG pour la dignité humaine a demandé non seulement que l'universalité et l'interdépendance de tous les droits soient solennellement réaffirmées, mais aussi que soit nommé par l'ONU un commissaire aux droits de l'homme, afin qu'une personne de très haut niveau international puisse avoir cette préoccupation, cette responsabilité, cette mission comme objectif permanent. Dans d'autres pays et par d'autres organisations, des demandes similaires furent formulées et la conférence de Vienne les entérina.

En 1995, la Banque mondiale et le Fonds monétaire international (les Institutions financières internationales -IFI) célébraient leur cinquantenaire. La Coordination a saisi cette occasion pour les interroger quant à l'impact de leurs politiques sur les droits de l'homme. Nous y avons été incités en constatant que les IFI présentaient un bilan très positif de leurs politiques tandis qu'une très large partie de l'opinion publique n'en voyait que les effets négatifs, comme l'augmentation de la pauvreté résultant des Programmes d'ajustement structurel (PAS).

Nous avons étudié, notamment à partir d'une lecture critique de rapports existants, l'impact de ces Programmes sur l'ensemble des droits humains, chacune de nos organisations se sentant particulièrement concernée par certains d'entre eux. Les PAS. sont des programmes de prêts, définis par le Fonds monétaire international (FMI) depuis 1986, pour les pays à bas revenu. Ces programmes consistent en la mise à disposition de facilités financières avec la condition que les pays bénéficiaires acceptent de mettre en place une série de mesures : réduction de l'inflation, diminution de l'endettement aussi bien du budget de l'Etat (diminution des dépenses gouvernementales) que de la dette extérieure, mise en place d'une économie de marché, etc. Nous avons constaté des résultats extrêmement préoccupants. Quelques exemples :

- en Indonésie, l'austérité et les taux d'intérêt élevés ont accru le chômage et la pauvreté, provoqué une augmentation du prix du combustible et de la nourriture, engendré des émeutes dirigées contre la minorité chinoise.

- au Nigeria, des manifestations contre les PAS. ont été réprimées en 1988/89.

- en Côte d'Ivoire, étudiants et ouvriers ont exigé l'arrêt des PAS et la démission du président de la République.

- des événements semblables se sont déroulés à Casablanca il y a quelques années, au Ghana en 1995, ou encore en Jordanie avec les « émeutes du pain » (juillet 1996).

- en Somalie (jusqu'aux années 1970) comme au Rwanda (jusqu'à la fin des années 1980) il y avait une autosuffisance alimentaire. Mais le FMI est intervenu : dévaluation, commercialisation de l'eau, privatisation des services vétérinaires en Somalie où la population vivait de l'élevage, chute du prix du café au Rwanda, anéantissement de l'auto-approvisionnement (les produits locaux ne pouvant plus soutenir la concurrence des produits agricoles importés ou des produits de l'aide alimentaire).

Bref, pratiquement partout, les PAS. ont plongé toute une population dans la misère et exacerbé les tensions internes. Malgré les objectifs positifs affichés, trop souvent l'action des IFI semble avoir accru la pauvreté et violé des droits humains.

En 1998, à l'occasion du cinquantième anniversaire de la Déclaration universelle des droits de l’homme, la Coordination a organisé un colloque sur les IFI. Y ont été examinés les aspects juridiques et économiques des politiques de ces institutions et leurs conséquences eu égard au respect des droits de l'homme. Ce colloque a suscité l'intérêt non seulement des universitaires mais aussi des autorités politiques et des IFI elles-mêmes. Les conclusions ont mis en évidence que ces dernières ne peuvent pas se soustraire aux obligations découlant de la Déclaration universelle, alors que leurs politiques ont eu jusqu'à présent des effets négatifs sur le respect des droits de l'homme.

Des logiques inconciliables ?

Or ces organisations financières, pourtant liées au système des Nations unies se refusent encore à prendre explicitement comme référence la Déclaration universelle. A la suite de ce colloque, la Coordination a écrit au FMI et à la Banque mondiale en leur demandant de reconnaître officiellement le respect de la Déclaration universelle comme but final de leur action et comme critère d'évaluation de leurs politiques. Un fonctionnaire du FMI nous a répondu au nom de Michel Camdessus1, en estimant impensable « qu'il soit juridiquement possible d'imposer au FMI des obligations supplémentaires, découlant de multiples accords et traités internationaux qui s'ajouteraient à ses propres statuts ». La Banque mondiale dans sa réponse précise : « En effet, il ne peut y avoir réalisation des droits de l'homme sans réduction de la pauvreté. Mais la Banque ne peut intervenir dans tous les aspects des droits de l'homme. Organisation de développement économique, la Banque est soumise à ses propres statuts qui exigent que ses décisions soient prises en fonction de considérations d'ordre économique (au sens large, qui comprend le domaine social). Or les droits de l'homme et en particulier la Déclaration universelle, englobent un champ d'action beaucoup plus vaste que les statuts de la Banque, puisqu'ils incluent les droits civils et politiques, domaines dans lesquels les statuts de la Banque lui interdisent de s'immiscer. Les actions de la Banque mondiale pour réduire la pauvreté sont donc complémentaires, mais distinctes des actions dans le même sens fondées sur les droits de l'homme ».

Néanmoins ces institutions semblent depuis peu faire un réel effort de recherche pour davantage prendre au sérieux la lutte contre la pauvreté comme en témoignent la récente enquête de la Banque mondiale et un nouveau programme de réduction de la pauvreté. Reste à savoir si cette ouverture se traduira par de nouvelles pratiques sur le terrain. Ne convient-il pas de donner la priorité à une action avec les pauvres car eux seuls connaissent réellement leurs besoins et leurs possibilités ?

Nous sommes persuadés que reconnaître les droits des personnes humaines au bien-être, comme le dit la Déclaration, doit être le but ultime de toute action économique et financière, et donc des politiques des IFI.

Les IFI seules responsables ?

Ce serait trop facile. Leur conseil d'administration, qui est leur autorité politique, est composé par nos Etats, en majorité riches et occidentaux. Ce sont donc à nos ministres, à nos parlements, à nos fonctionnaires responsables de notre politique dans ces organismes qu'il nous faut nous adresser en premier lieu, et aussi aux universités d'où sortent nos cadres dirigeants et le personnel des IFI.

C'est pour cela que notre Coordination continue son action tant auprès de nos autorités responsables qu'auprès des IFI. Il faut imposer à tous le respect de la Déclaration universelle.

Au quotidien, la Coordination rassemble les connaissances et les expériences des diverses organisations membres afin d'être en mesure de prendre position par rapport aux différentes politiques des IFI. Nous suivons les discussions concernant les programmes à appliquer à des pays spécifiques et aussi les approches globales comme, par exemple, les dernières propositions de la Banque mondiale et du FMI concernant la lutte contre la pauvreté.

Nous avons essayé depuis le début de mettre en place un dialogue avec le principal ministère concerné (le ministère des Finances) et avec les représentants de la Belgique au FMI et à la Banque mondiale. Lorsque ces derniers passent à Bruxelles, nous avons une discussion avec eux et avec des représentants du ministère des Finances, sur la base d'un ordre du jour préparé à l'avance. Le Centre national pour la coopération au développement (CNCD) participe avec nous à ces rencontres. La Coordination des ONG pour la dignité humaine veut que les autorités publiques soient conscientes des effets réels des programmes et des actions des IFI et qu'elles connaissent aussi le point de vue des populations concernées. Nous voulons qu'elles changent leur regard, leur façon de travailler, leurs objectifs. Nous voulons en somme qu'elles prennent le respect des droits de l'homme comme référence de leurs politiques et comme mesure de leur action.

Nous sommes convaincus de l'utilité d'une telle mobilisation. Même si les résultats en sont limités et pas très visibles, des portes s'ouvrent. Certes il y a encore du chemin à faire. C'est pourquoi nous lançons ici un appel pour que ce genre de démarche se mette en place dans le plus grand nombre possible de pays.

1 Alors directeur général du Fonds monétaire international.
1 Alors directeur général du Fonds monétaire international.

Elena Flores

Victor Solé

Elena Flores, économiste, travaille à la Commission Européenne. Elle anime un groupe dans le cadre de l'Université populaire Quart Monde de Bruxelles et représente ATD Quart Monde à la Coordination des Organisations non gouvernementales (ONG) pour la dignité humaine. Victor Solé est un des fondateurs d'Amnesty International en Belgique francophone qu'il a présidé durant de nombreuses années. Il est actuellement responsable de sa commission Economie et Droits humains qu'il représente à la Coordination.

CC BY-NC-ND