Le droit de participer

Daniel Fayard

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Daniel Fayard, « Le droit de participer », Revue Quart Monde [En ligne], 176 | 2000/4, mis en ligne le 05 juin 2001, consulté le 29 mars 2024. URL : https://www.revue-quartmonde.org/2214

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Participation

Il fut un temps où les pauvres étaient enfermés, envoyés aux galères, voire pendus parce qu'inutiles au monde. Que des associations ou des citoyens prônent aujourd'hui un partenariat avec eux constitue a contrario une véritable révolution copernicienne. Mais une tendance persiste à vouloir criminaliser la pauvreté, comme en témoigne par exemple l'augmentation récente de la population carcérale dans certains pays1. Notre société veut-elle vraiment que les pauvres « participent » dans les différents domaines de la vie sociale, y compris dans une activité productrice ? Certains n'hésiteraient pas à les contraindre à une participation forcée, comme l'attestent parfois des débats autour du workfare, de l'activation des allocations sociales. Mais leur libre participation, est-on prêt à la rechercher activement ?

En principe, du moins dans nos sociétés occidentales, chacun est libre de participer à des activités ou à des groupes de son choix. Il peut également se prévaloir des droits fondamentaux reconnus à tous et avoir part aux bénéfices du développement de sa communauté d'appartenance.

Cependant le degré d'implication dans la vie sociale varie beaucoup selon les individus. On sait que la participation active au sein d'une association, d'un syndicat, d'un parti politique ou d'une Eglise n'est pas le fait d'une majorité. Participer est certes un acte de liberté et de responsabilité individuelles, mais la vitalité d'une communauté se mesure au nombre de personnes qui accèdent à des réseaux, à des biens et à des droits.

Dès lors, se soucier de la participation des absents c’est rechercher une solidarité plus effective, une justice plus équitable, une fraternité plus cordiale. Si les divers regroupements de citoyens cherchent à atteindre un public plus large, force est de constater que nous rejoignons plus spontanément ceux que nous connaissons déjà ou ceux dont la pensée et l'action ont un sens à nos yeux. Chacun est plutôt attiré par ses pairs ou par des acteurs sociaux reconnus. On comprendra aisément que ceux qui ont le moins de relations, dont la pensée est insoupçonnée et l'action invisible, risquent fort de n'être rejoints par personne. Eux-mêmes ne sont pas assez armés pour se faire admettre dans le champ des interactions sociales.

Ainsi apparaît la nécessité de médiations ayant précisément pour objectif de permettre à un plus grand nombre d'exercer ce droit de participer. On peut toutefois convenir de cette nécessité au risque de se méprendre sur les conditions à réaliser pour qu'une telle participation soit rendue possible pour tous, spécialement pour les plus pauvres. En réalité, leur « empêchement », attesté par leur absence, ne tiendrait-il pas pour une bonne part à l'insuffisance d'une volonté commune non seulement de les associer à nos recherches, à nos combats, à nos efforts mais plus encore de rejoindre les leurs, de nous faire leurs partenaires et de mobiliser les moyens humains et matériels qui leur sont nécessaires ?

Ce dossier de Quart Monde illustre divers chemins explorés pour l'exercice de ce « droit de participer » que revendiquent les plus pauvres de nos concitoyens et qui a pour corollaire la conscience partagée que leur exclusion ou leur absence est un énorme gâchis, un déni de démocratie, une raison de l'impuissance de nos sociétés à éradiquer la misère.

Il s'ouvre sur une invitation à relire une interpellation du père Joseph Wresinski, qui a joué un rôle déterminant pour réveiller cette conscience civique.

Prolongeant la réflexion engagée dans notre précédent numéro  (Mondialisation et pauvreté), Paul Grosjean nous introduit à la pensée d'Amartya Sen, prix Nobel d'économie. Revisitant le concept même de développement, celui-ci nous rappelle opportunément qu'il doit qualifier une évolution accroissant chez tous la liberté de participer.

Entreprendre une lutte contre la pauvreté et l'exclusion sociale présuppose une bonne connaissance des réalités vécues. Marie-Thérèse Join-Lambert nous dit comment elle évalue la contribution des associations engagées sur ce terrain à l'élaboration de la connaissance dont tous les acteurs sociaux ont besoin. En écho, les associations partenaires du Rapport général sur la pauvreté (Belgique) revendiquent dans une déclaration commune le droit des pauvres à participer à la définition des indicateurs de pauvreté.

Les personnes les plus directement concernées par la lutte contre la pauvreté et l'exclusion sociale doivent pouvoir se forger une opinion, élaborer des propositions, être consultées par les autorités responsables. Jean-Michel Belorgey fait le point sur les avancées de la démocratie participative au regard des plus pauvres. En écho, des membres du Mouvement ATD Quart Monde et des universitaires qui ont participé au programme Quart Monde/Université font part de leurs réflexions communes sur les questions relatives à la citoyenneté et à la représentation.

Tout citoyen peut s'engager dans la vie associative ou syndicale, fut-il sans qualification, comme en témoigne Annie Fifre pour le personnel de service d'un hôpital, ou même sans statut particulier comme Brigitte Mathieu et Robert Le Bihan, des militants d'ATD Quart Monde qui ont contribué à un récent rapport commandé par le Fonds national pour le développement de la vie associative (FNDVA)2. Katherine Evans nous relate une mobilisation originale en Grande Bretagne où des personnes très pauvres ont pu participer à des débats avec des responsables politiques. Accordant une priorité au fait de demander leur avis aux gens les plus démunis, Hervé Bischerour et Catherine Renault vont à leur rencontre pour recueillir leur évaluation de la loi d'orientation française relative à la lutte contre les exclusions. Mais cette participation active, quand elle est le fait de personnes jusqu'alors exclues, ne peut s'effectuer sans soutien. Les propos des uns et des autres en précisent la nature. Lucien Duquesne pour sa part redit les enjeux et les conditions d'un partenariat avec les très pauvres.

1 Cf. Loïc Waquant Les prisons de la misère. Raison d'agir, (novembre 1999)
2 Les conditions d'un engagement citoyen de personnes issues de milieux très défavorisés (mai 2000)
1 Cf. Loïc Waquant Les prisons de la misère. Raison d'agir, (novembre 1999)
2 Les conditions d'un engagement citoyen de personnes issues de milieux très défavorisés (mai 2000)

Daniel Fayard

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