Contribuer aux indicateurs de pauvreté

Associations partenaires du Rapport général sur la pauvreté en Belgique

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Associations partenaires du Rapport général sur la pauvreté en Belgique, « Contribuer aux indicateurs de pauvreté », Revue Quart Monde [Online], 176 | 2000/4, Online since 05 June 2001, connection on 13 October 2024. URL : https://www.revue-quartmonde.org/2225

Les indicateurs de pauvreté habituellement utilisés peuvent rendre les plus pauvres invisibles dans les statistiques, contribuer à les faire taire et les déposséder de leur propre savoir. Les associations signataires soulignent la nécessité d’autres façons de faire (Voir aussi l’article de Françoise Coré « A la recherche d’indicateurs de pauvreté partagés » dans notre précédent numéro).

Index de mots-clés

Indicateurs, Statistiques

Les indicateurs utilisés couramment pour mesurer la pauvreté souffrent de nombreuses insuffisances reconnues par les chercheurs et les statisticiens eux-mêmes. Le rapport Despouy1 résume bien quatre raisons principales qui expliquent l’insuffisance des données sur la pauvreté et l’extrême pauvreté.

En premier lieu, les personnes les plus pauvres ne sont pas atteintes pour l’élaboration des statistiques, alors même qu'elles constituent le « noyau dur » du problème. Si on prend l'indicateur le plus courant, celui du revenu, les sources des données régulières sur les revenus individuels - enquêtes et statistiques fiscales - n'atteignent en général pas les plus pauvres. S'agissant des enquêtes sur le budget des ménages, l'échantillon est tiré à partir de fichiers dans lesquels ne figurent pas les personnes en institution, ou sans domicile, ni les résidents permanents en camping, etc. Ainsi, à la fin du mois de janvier 2000, à l’occasion d’une opération de régularisation, la Belgique a découvert plus de 50 000 immigrés sans papiers, présents dans le pays depuis parfois fort longtemps, qui échappaient à toute statistique.

En second lieu, les paramètres utilisés ne sont pas adaptés aux populations les plus pauvres. Les indicateurs qui en découlent reflètent le plus souvent la norme de ce qui est socialement le plus répandu ou jugé acceptable, plutôt que les besoins et les aspirations réels de ceux qui vivent la pauvreté. Les indicateurs ne rendent pas bien compte de la pauvreté comme phénomène multidimensionnel, affectant tous les domaines de la vie. Souvent, le rôle de la cellule familiale comme foyer de résistance à la misère est mal pris en compte, ainsi que les efforts des personnes dans leur lutte quotidienne contre la pauvreté.

Le manque d’intérêt et de considération à l’égard le la population la plus pauvre explique autant son absence des statistiques que les difficultés techniques. Il n’est pas acceptable qu’on ne cherche pas à comptabiliser, dans les enquêtes sur la pauvreté en Belgique, les personnes en institution, sans abri, ou les résidents permanents en camping, au motif que cela serait trop compliqué et coûterait trop cher. Il est insupportable que des personnes brûlées vives dans leurs cabanes, ou mortes de froid dans les rues des grandes villes, ne soient pas recensées dans les enquêtes sur la pauvreté, et que leur souffrance soit totalement ignorée ! Le manque d'exhaustivité de ces enquêtes sème le doute sur leur scientificité, et porte atteinte à l’égale dignité de tous les citoyens.

Enfin, les données statistiques peuvent être manipulées, pour des raison politiques ou économiques, comme on le voit, par exemple, pour les chiffres sur le chômage, mais aussi pour d'autres raisons. Ainsi, les chiffres officiels montraient une prétendue diminution des placements d’enfants en région flamande en 1994 ; des chercheurs ont montré qu’en réalité certaines catégories de jeunes avaient été retirées des statistiques.

Pour toutes ces raisons, la demande politique d’indicateurs de pauvreté devrait conduire à mettre effectivement en œuvre les recommandations du Sommet mondial sur le développement social, qui demande aux Etats « d’améliorer la fiabilité, la validité, l’utilité et la diffusion des statistiques sur le développement social » (paragraphe 16e) et « d’élaborer des méthodes permettant de mesurer toutes les formes de pauvreté, en particulier la pauvreté absolue » (paragraphe 25).

Des indicateurs qui font taire

Un autre grand danger des indicateurs de pauvreté est de contribuer à faire taire les populations les plus défavorisées. Ce peut être un objectif explicite des politiques sécuritaires qui cherchent à établir une cartographie précise des « zones à risque », pour en renforcer le contrôle policier et le contrôle social.

Les associations soulignent la rareté des indicateurs mettant en évidence la résistance des pauvres et leurs luttes pour sortir de la pauvreté. De même, les indicateurs expriment rarement la pauvreté en termes de violation des droits de l’homme.

Plus généralement, l’établissement de batteries d’indicateurs censés rendre compte de la pauvreté peut renforcer le pouvoir d’une bureaucratie, s’appuyant sur un savoir technique et statistique pour prétendre lutter contre la pauvreté sans dialoguer et s’associer avec les populations pauvres.

La connaissance des pauvres

Même les enquêtes qualitatives menées auprès des populations défavorisées pour leur donner la parole n’échappent pas à ce piège : elles permettent à des « experts » d’élaborer à partir du discours des pauvres un savoir sur lequel ceux-ci n’ont plus aucun contrôle. Les populations pauvres apportent des informations, mais ne sont jamais associées à l’interprétation des données, ni à leur utilisation : en ce sens, elles sont dépossédées de leur propre savoir, ce qui contribue à leur exclusion sociale. Tel organisme international veut rassembler les témoignages de milliers de personnes pauvres à travers le monde. Comment s’y prend-il ? En se tournant vers les instituts de recherche ou les consultants des pays riches, qui s’adressent à des universitaires des pays pauvres : ceux-ci s’adressent à des associations de terrain de leur pays, qui vont interroger leurs membres. A chaque niveau, les intervenants sont payés, largement en haut de la hiérarchie, puis de moins en moins, jusqu'à arriver aux personnes les plus pauvres qui ne reçoivent rien. En termes financiers, ce processus ressemble à une exploitation de la connaissance des pauvres par les nantis. En termes de changement social, on voit mal quel pouvoir supplémentaire les populations défavorisées acquièrent sur leur propre vie dans ce processus, même si leurs paroles, triées, puis largement reproduites et diffusées, constituent en elles-mêmes une contestation du désordre établi. Ces « paroles de pauvres » constituent une arme à double tranchant : le risque existe qu’elles soient détournées pour légitimer la fonction des organismes qui les ont recueillies. Mais les associations peuvent en faire un autre usage ...

Parvenir à un consensus

Alors qu'un consensus de plus en plus large se dégage sur une nouvelle appréhension de la pauvreté en termes de violation des droits de l’homme, et sur la nécessité de « conférer aux pauvres davantage de pouvoir », comme l’affirme le dernier rapport de la Banque mondiale, cela n'a pas entraîné jusqu'à présent un renouvellement des méthodes de recherche et des façons de « mesurer » la pauvreté. Le principe d’une approche « participative » associant les populations pauvres est affirmé dans de nombreux textes, mais il reste souvent un vœu pieux, ou mis en œuvre de façon très incomplète. Les rencontres organisées par le Service de lutte contre la pauvreté, la précarité et l'exclusion sociale sur les indicateurs de pauvreté ont montré que ce sujet prête à de nombreuses controverses entre chercheurs et militants associatifs, tant sur la nature de la pauvreté que sur les moyens de la mesurer. Les « experts » et ceux qui vivent la pauvreté sont si éloignés les uns des autres que leurs perceptions respectives divergent ou même sont opposées. Il n’y a pas, à l’heure actuelle, de langage commun sur ce sujet. Or la notion même d’indicateurs suppose un large consensus sur leur validité ; les indicateurs de pauvreté, d’évaluation de la lutte contre la pauvreté et d’accès aux droits de l’homme pourraient être des instruments de transparence importants pour nourrir le débat démocratique...

Les associations ont souligné la nécessité que les « experts » reconnus ne soient pas les seuls à être rémunérés pour la connaissance qu'ils produisent. Dans une « société de la connaissance » où les savoirs représentent une ressource aussi importante que le capital ou le travail, les associations qui donnent la parole aux personnes en situation de pauvreté doivent aussi recevoir des moyens afin de pouvoir par exemple les rétribuer pour leur contribution...

1 Rapport final sur les droits de l'homme et l'extrême pauvreté, rédigé pour la Commission des droits de l'homme du Conseil économique et social des
1 Rapport final sur les droits de l'homme et l'extrême pauvreté, rédigé pour la Commission des droits de l'homme du Conseil économique et social des Nations unies (juin 1996)

Associations partenaires du Rapport général sur la pauvreté en Belgique

Ce texte présente un extrait d’une déclaration adoptée en juin 2000 par les associations partenaires du Rapport général sur la Pauvreté (RGP) en Belgique, soit : Beweging van Mensen met Laag Inkomen en Kinderen, Centrum Kauwenberg, DAK Antwerpen, De Cirkel, De Keeting, Forum Social Mettet, Front Commun des SDF Wallonie Bruxelles Flandre, La Ruelle, Promotion communautaire - Le Pivot du Maelbeek, Lutte Solidarités Travail, Mouvement ATD Quart Monde / Beweging ATD Vierde Wereld, Protestants Sociaal Centrum Antwerpen, Recht-Op Antwerpen, Solidarités Nouvelles Wallonie, Vlaams Forum Armoedebestrijding, Wotepa.

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