Point de vue d’Irlande

Fintan Farrell

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Fintan Farrell, « Point de vue d’Irlande », Revue Quart Monde [Online], 181 | 2002/1, Online since 05 August 2002, connection on 05 October 2024. URL : https://www.revue-quartmonde.org/2302

Sans les secteurs associatifs et communautaires, le partenariat institutionnel se serait effondré... (Propos recueillis par Isabelle Williams)

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Fintan Farrell : Le nombre de personnes vivant dans l’extrême pauvreté diminue, en raison de la croissance économique. En même temps, l’écart entre les revenus se creuse. Le gouvernement peut, avec raison, parler de progrès ; il n’a pas su cependant profiter de la croissance pour assurer une meilleure redistribution des ressources. La population pauvre est aujourd’hui plus marginalisée car plus éloignée de ce qui est considéré comme la norme et des opportunités offertes par la situation économique actuelle. Un certain nombre de gens se trouvent très isolés, se sentent laissés pour compte et jugés responsables de leur situation.

Isabelle Williams : Quelles sont les avancées et les limites observées dans la lutte contre la pauvreté ?

L’émergence de réseaux nationaux contre la pauvreté, représentant les intérêts de ceux qui vivent la pauvreté et l’exclusion, a marqué une avancée certaine. En Irlande, la Stratégie nationale contre la pauvreté (NAPS) a été mise en place après le sommet mondial sur le développement social (Copenhague, 1995). Cela a permis un débat sur la pauvreté là où il n’avait jamais semblé prioritaire, notamment au niveau interministériel. La lutte contre la pauvreté s’est inscrite au niveau national, mais elle se concrétise lentement. Les membres du gouvernement qui se préoccupent de compétitivité économique ont toujours plus de poids que ceux qui se soucient de cohésion sociale. Avoir une stratégie nationale permet pourtant de redresser partiellement ce déséquilibre.

Le réseau associatif et communautaire a la responsabilité d’introduire dans le processus de cette stratégie les préoccupations quotidiennes de ceux qui vivent la pauvreté : leurs besoins et leurs avis doivent être à la base de nos programmes et de nos politiques. Cela exige de revenir aux principes du développement communautaire et de s’assurer que les plus défavorisés y sont impliqués à tous les niveaux.

Il est impossible de mettre toute notre énergie dans des négociations nationales. Ce type de négociations ne touche, par exemple, qu’à une infime partie des besoins des gens du voyage. Il faut nous engager avec ces derniers sur le terrain de la vie quotidienne : nous avons à comprendre comment ils luttent contre la discrimination, comment ils se battent pour obtenir des logements, ou encore pour scolariser leurs enfants dans des conditions leur donnant une vraie chance d’avenir.

Un autre défi est de pousser le gouvernement et les décideurs à traduire leurs discours en actes. Pour ceux qui connaissent la pauvreté et l’exclusion, seuls comptent les actes qui changent leur vie et leur offrent de nouvelles opportunités.

Les secteurs associatifs et communautaires se sont mis autour de la table avec le gouvernement. Comment cela a-t-il été possible ?

Ces secteurs ont eu des responsables capables de s’engager au plus haut niveau et d’y apporter une contribution. Par ailleurs, la pression s’est exercée sur le processus d’accord national, impliquant syndicats et patrons : face au grand nombre de chômeurs, de personnes âgées ou handicapées, de gens du voyage, de femmes sans espoir d’emploi, il devenait impensable qu’un plan national les ignore. Le partenariat se serait effondré s’il ne s’était élargi aux secteurs associatifs et communautaires. Ces partenaires doivent actuellement relever ce défi : entamer le débat pour mieux répartir les richesses et distribuer les revenus, pour mettre en place de meilleurs services publics, pour engager davantage les citoyens dans une société de participation. L’avenir du partenariat social national en dépend.

La nouvelle législation pour l’égalité ne marque-t-elle pas aussi un progrès ?

Elle est un succès pour l’engagement des organisations communautaires dans les politiques nationales. Elle protège contre les discriminations et l’inégalité, quel que soit le groupe d’appartenance. Cette loi permet à des personnes jusqu’ici exclues de croire qu’elles peuvent être parties intégrantes d’une société qui respectera leurs droits. Mais cette loi - c’est sa faiblesse - ne prend pas en compte la discrimination due à l’origine sociale et laisse donc de côté un groupe important de personnes. Une révision de la loi est en cours et le secteur associatif et communautaire travaille à remédier à cette lacune.

Quel a été l’apport du Réseau européen des associations de lutte contre la pauvreté (EAPN) que vous avez présidé ?

En quatre ans, nous sommes passés de l’idée d’une stratégie européenne de lutte contre la pauvreté et l’exclusion sociale à son adoption par les chefs d’Etat : c’est là une victoire importante. Nous partagions cette vision avec d’autres organisations européennes. Nous avions une stratégie très claire pour impliquer chacun des gouvernements en charge de la présidence européenne. Le fait que cette stratégie européenne existe maintenant aura un impact sur notre stratégie nationale de lutte contre la pauvreté. Les gouvernements, dont le gouvernement irlandais, devront se rencontrer pour faire le point sur ce qu’ils ont pu faire ou non et pourquoi. Cela créera un contexte plus favorable aux avancées et plus ouvert à l’échange d’expériences.

Je suis enthousiaste devant ces nouvelles perspectives pour lutter contre la pauvreté et l’exclusion. Mais nous devons rester réalistes, car il s’agit d’une très petite mobilisation face au poids des concurrences économiques. Néanmoins elle peut contribuer à rééquilibrer le projet de société qu’est l’Union européenne.

Dans le processus engagé, comment appréciez-vous la question de la participation de la population concernée ?

Selon les premières évaluations des plans nationaux, aucun pays n’a bien réussi la participation des personnes vivant la pauvreté et l’exclusion à l’élaboration de ces plans nationaux – alors que c’était là un objectif prioritaire. Ce constat va relancer le défi pour les deux années prochaines. Nous aurons besoin de cette période pour développer des modèles de participation. De nombreuses organisations en Europe dont ATD Quart Monde ont des expériences d’engagement des populations exclues. Nous devrions pouvoir bâtir des ponts entre ces expériences et le processus de la stratégie européenne contre la pauvreté. Il est nécessaire d’explorer des chemins pour que puissent être entendus ceux que nos organisations n’atteignent pas.

Nous nous sommes engagés avec la volonté d’essayer de réformer le projet de l’Union européenne. Nous voulions un modèle au service des êtres humains plutôt qu’au service de la grande entreprise, avec un plus grand équilibre entre l’économie et le social. En même temps l’Union européenne a influencé notre façon de lutter contre la pauvreté en Irlande et les programmes européens ont été une base pour penser des nouvelles pistes d’action.

L’approche en termes de Droits de l’homme renouvelle-t-elle la lutte contre la pauvreté ?

Le renouveau d’intérêt pour cette approche est dû à une nouvelle perception de l’indivisibilité des Droits de l’homme : les droits sociaux et économiques sont indivisibles des droits politiques et civils. Mary Robinson, comme Haut Commissaire aux Droits de l’homme des Nations unies, a contribué au renouvellement de cette pensée.

Avec la notion de droits, on s’éloigne de l’approche charitable de la pauvreté pour affirmer que, dans un monde d’abondance, il est possible de garantir à chacun ses droits fondamentaux. La question des Droits de l’homme remet les êtres humains au centre du débat politique. Cela donne beaucoup d’énergie à ceux qui défient le pouvoir des grands intérêts économiques. Les deux termes « droits » et « humains » créent le contexte pour une société où tous soient respectés.

Je pense que cette approche en termes de Droits de l’homme doit être liée à l’approche en termes de développement communautaire où l’on parle de droits collectifs, où l’on se bat pour que les gens aient accès à leurs droits et puissent s’engager à changer la société.

Fintan Farrell

Membre fondateur du Mouvement irlandais des gens du voyage dont il demeure conseiller politique, Fintan Farrell fait partie de la plate-forme communautaire qui a négocié le programme gouvernemental « Prospérité et Justice. » Président du Réseau européen des associations de lutte contre la pauvreté(EAPN), au niveau européen de 1996 à 2000, puis au niveau irlandais.

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