Résolution du 2 juillet 2008

Conseil de l’Europe

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Conseil de l’Europe, « Résolution du 2 juillet 2008 », Revue Quart Monde [En ligne], 207 | 2008/3, mis en ligne le 05 mars 2009, consulté le 18 avril 2024. URL : https://www.revue-quartmonde.org/2382

Réclamation d’ATD Quart Monde

Réclamation n° 33/2006 par le Mouvement international ATD Quart Monde contre la France

Le Comité des Ministres,

Vu l’article 9 du Protocole additionnel à la Charte sociale européenne prévoyant un système de réclamations collectives,

Considérant la réclamation présentée le 26 janvier 2006 par Mouvement international ATD Quart Monde contre la France,

Vu le rapport qui lui a été transmis par le Comité européen des Droits sociaux, dans lequel ce Comité a conclu,

(I) à l’unanimité qu’il y a violation de l’article 31§2 de la Charte révisée en raison des procédures d’expulsion et de leur mise en œuvre ;

Aux termes de l’article 31§2 de la Charte révisée, les Parties doivent mettre en place des procédures pour limiter les risques d’expulsion. La protection juridique des personnes visées par une menace d’expulsion doit notamment comporter une obligation de concertation avec les intéressés dont les objectifs sont les suivants : recherche de solutions alternatives à l’expulsion, et fixation d’un délai de préavis raisonnable avant la date de l’expulsion. Certains éléments du système français en matière d’expulsions, notamment le fait qu’il faille attendre deux mois après la notification de l’avis officiel d’expulsion pour pouvoir procéder à cette dernière, ou encore la suspension des expulsions en période hivernale, sont conformes aux principes directeurs posés par la Charte. Néanmoins, le système français n’apporte pas, ni en droit ni en fait, les garanties exigées, en particulier pour le relogement. La loi du 29 juillet 1998 contre l’exclusion ne garantit en rien qu’un individu expulsé sera relogé. Aussi, eu égard au nombre élevé d’arrêtés d’expulsion prononcés en France chaque année, et compte tenu du risque de voir l’expulsion aboutir à des situations de précarité, l’absence de garanties quant aux possibilités d’obtenir un relogement stable et accessible avant la date de l’expulsion est contraire à l'article 31§2. Il n’a pas été possible d’apprécier la contribution que peuvent apporter les commissions spécialisées dans la prévention des expulsions, instituées par la loi n° 2006-872 du 13 juillet 2006 portant engagement national pour le logement, étant donné que la loi a été votée il y a peu.

(II) à l’unanimité qu’il y a violation de l’article 31§3 :

a) en raison de l’insuffisance manifeste de l’offre de logements d’un coût accessible aux personnes les plus pauvres ;

Au regard de l’article 31§3, il incombe aux Parties de prendre des mesures appropriées pour favoriser la construction de logements sociaux. En 2005, le parc de logements sociaux construits en France était manifestement insuffisant. Depuis lors, le gouvernement a pris un certain nombre de mesures destinées à améliorer la situation. Toutefois, même si toutes les mesures envisagées étaient menées à bien, c’est-à-dire si 591 000 logements sociaux étaient réalisés d’ici 2009, on observerait toujours un déséquilibre considérable par rapport au nombre de demandes de logements sociaux.

Aucun mécanisme d’intervention clair n’a en outre été mis en place pour veiller à ce que l’offre de logements sociaux aux plus défavorisés soit prioritaire, et l’évaluation des besoins des plus défavorisés n’a pas été intégrée dans le programme de logements sociaux. La situation constitue par conséquent une violation de l’article 31§3.

b) en raison des modalités d’attribution des logements sociaux aux personnes les plus pauvres et de l’insuffisance des voies de recours en cas de délais d’attribution trop longs ;

L’article 31§3 fait obligation aux Parties de proposer une offre suffisante de logements d’un coût abordable. Le système d'attribution des logements sociaux locatifs fonctionne mal en France. La procédure d’attribution ne garantit pas suffisamment d'équité et de transparence car le logement social n’est pas réservé aux foyers les plus pauvres. Le concept de « mixité sociale », tel que prévu par la loi de 1998 contre l’exclusion, qui sert fréquemment de fondement au refus de l’octroi d’un logement social, conduit souvent à des résultats discrétionnaires, ce qui exclut les pauvres de l’accès au logement social. La principale difficulté vient de la définition peu claire de ce concept dans la loi et, en particulier, du manque de toute ligne directrice sur sa mise en œuvre en pratique. De plus, bien que la loi donne compétence aux préfets d’allouer un certain contingent de logements sociaux aux personnes considérées par la loi comme étant dans une situation prioritaire, il n’apparaît pas que cette procédure soit appliquée de manière significative en pratique.

Le système de recours juridique pour les personnes à qui sont refusés des logements sociaux présente aussi des défaillances ; ainsi, les commissions de médiation prévues par la loi de 1988, qui sont chargées d’examiner les demandes en attente depuis une durée exceptionnellement longue, n’ont été créées que dans une minorité de communes. Par conséquent, les dysfonctionnements du système d’attribution de logements sociaux ainsi que des voies de recours y relatives constituent une violation de l’article 31§3 de la Charte révisée.

(III) à l’unanimité qu’il y a violation de l’article 31 combiné à l’article E de la Charte révisée en raison de la mise en œuvre insuffisante de la législation relative aux aires d’accueil pour les Gens du voyage ;

Pour ce qui est du logement des Gens du voyage, les collectivités locales et l’Etat n’ont, pendant fort longtemps, pas pris suffisamment en compte les besoins spécifiques de cette communauté. Ceci étant, un texte de loi concernant les aires d’accueil destinées aux Gens du voyage a été adopté en 2 000 (loi n° 2000-614 du 5 juillet 2 000 relative à l’accueil et à l’habitat des Gens du voyage). Ce texte contraint les communes de plus de 5 000 habitants à se doter d’un plan prévoyant l’implantation d’aires permanentes d’accueil pour les Gens du voyage. Néanmoins, la loi n’a été suivie d’effet que dans une minorité des communes visées. Le gouvernement concède que la mise en œuvre des schémas départementaux pour l’accueil des Gens du voyage a pris du retard et estime qu’il manque environ 41 800 places. Le retard pris dans la mise en œuvre de la loi précitée a pour conséquence regrettable d’exposer les Gens du voyage à l’occupation illégale de sites et à des expulsions au titre de la loi de 2 003 pour la sécurité intérieure. Aussi la mise en œuvre insuffisante de la législation relative aux aires d’accueil pour les Gens du voyage constitue-t-elle une violation de l’article 31§3 de la Charte révisée combiné à l’article E.

(IV) par 11 voix contre 2 qu’il n’est pas nécessaire d’examiner la réclamation au regard de l’article 16 seul ou combiné avec l’article E de la Charte révisée ;

(V) par 11 voix contre 2 qu’il y a violation de l’article 30 de la Charte révisée en raison du manque d’approche coordonnée pour promouvoir l’accès effectif au logement des personnes se trouvant ou risquant de se trouver en situation d’exclusion sociale ou de pauvreté ;

Le fait de vivre en situation de pauvreté et d’exclusion sociale porte atteinte à la dignité de l’être humain. L’article 30 de la Charte sociale européenne exige des Parties contractantes qu’ils adoptent une approche globale et coordonnée, laquelle doit consister en un cadre analytique, en un ensemble de priorités et de mesures correspondantes en vue de prévenir et de supprimer les obstacles qui entravent l’accès aux droits sociaux fondamentaux. Il faut aussi qu’il existe des mécanismes de contrôle impliquant tous les acteurs concernés, y compris des représentants de la société civile et des individus touchés par la pauvreté et l’exclusion. Cette ligne de conduite doit relier et intégrer les politiques de manière cohérente, en allant au-delà d’une approche purement sectorielle ou catégorielle.

Les mesures prises à cette fin doivent favoriser l’accès aux droits sociaux fondamentaux, notamment en termes d’emploi, de logement, de formation, d’éducation, de culture et d’assistance sociale et médicale et lever les obstacles qui l'entravent.

Elles doivent s’attacher à renforcer l’accès aux droits sociaux, leur contrôle et le respect de leur application, à améliorer les procédures entourant les prestations et services ainsi que leur gestion, à fournir une meilleure information sur les droits sociaux et les prestations et services y afférents, à supprimer les barrières psychologiques et socioculturelles qui entravent l’accès aux droits et, au besoin, à cibler très précisément les groupes et régions les plus vulnérables.

L'un des principaux éléments de la stratégie globale de lutte contre la pauvreté et l’exclusion sociale doit être la mise à disposition de ressources suffisantes, qui doivent être affectées aux objectifs de la stratégie.

Enfin, il faut que les mesures répondent qualitativement et quantitativement à la nature et à l’ampleur de la pauvreté et de l’exclusion sociale dans le pays concerné.

Il résulte des conclusions du Comité au titre de l’article 31 que la politique de logements en faveur des personnes les plus pauvres est insuffisante. Par conséquent, celui-ci constate l’absence d’une approche coordonnée pour promouvoir l’accès effectif au logement des personnes se trouvant ou risquant de se trouver en situation d’exclusion sociale ou de pauvreté.

(VI) par 9 voix contre 4 qu’il y a violation de l’article 30 combiné avec l’article E de la Charte révisée ;

Le Comité considère, pour les mêmes raisons, que la situation constitue aussi une violation de l’article 30 de la Charte révisée combiné avec l’article E.

Vu les informations communiquées par la délégation de la France lors de la 1026e réunion des Délégués des Ministres,

1. Prend note de la déclaration du gouvernement défendeur indiquant que la France a, avant même l’adoption du rapport susvisé le 5 décembre 2007, pris des mesures destinées à mettre la situation en conformité avec la Charte révisée dont elle s’engage à assurer le suivi en tenant compte dudit rapport, en particulier par la mise en œuvre de la loi du 5 mars 2007 instituant un droit au logement opposable (voir l’annexe à la présente résolution) :

- qui instaure un recours effectif en cas de non attribution de logements sociaux aux personnes les plus prioritaires ;

- qui a donné lieu à une ordonnance du juge des référés du tribunal administratif de Paris en date du 20 mai 2008, par laquelle, pour la première fois, une mère de famille vivant en centre d’hébergement avec deux enfants a obtenu la suspension d’une décision d’une commission de médiation qui avait jugé sa demande de logement social ni « prioritaire » ni « urgente » ;

- et qui prévoit une importante programmation budgétaire afin de protéger de l’exclusion les publics prioritaires les plus faibles parmi lesquels les sans-abri et les personnes expulsées de bonne foi.

2. Attend de la France qu’elle justifie, lors de la présentation du prochain rapport relatif aux dispositions pertinentes de la Charte sociale européenne révisée, d’une mise en œuvre des mesures annoncées, et qu’elle tienne le Comité des Ministres informé régulièrement de tout progrès réalisé.

1 CM/ResChS(2008)7.
1 CM/ResChS(2008)7.

CC BY-NC-ND