Le droit de vivre, tout simplement

Liliane Garin, Martine Dierickx et Stan Leyers

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Liliane Garin, Martine Dierickx et Stan Leyers, « Le droit de vivre, tout simplement », Revue Quart Monde [En ligne], 172 | 1999/4, mis en ligne le 05 juin 2000, consulté le 24 avril 2024. URL : https://www.revue-quartmonde.org/2670

Lors d’une table ronde, des participants ont présenté l’expérience, les pensées et les rêves recueillis dans les travaux de préparation. Refus des sous-statuts, accès à l’emploi, droit à la culture... voilà l’essentiel.

Liliane Garin : « On continue de considérer les plus défavorisés comme des bouche-trous »

L’an 2000 approche et il y a toujours des pauvres. Nous ne voyons pas la pauvreté s’arrêter. On nous fait miroiter l’allocation universelle, l’augmentation des minima sociaux, mais on n’entend pas beaucoup parler de supprimer la pauvreté et la grande misère. On ne stoppera pas la misère si on continue à considérer les plus défavorisés comme des bouche-trous, si on ne leur donne que des petits boulots précaires et sous-payés, où ils ne peuvent même pas atteindre le nombre de jours voulus pour avoir droit aux allocations de chômage.

Je connais un jeune de 26 ans qui a travaillé dans un snack, pour vendre des sandwiches. Après cinq mois, la société l’a licencié et remplacé par un autre jeune, pour ne pas avoir à payer d’indemnités de licenciement ni de congés payés. L’entreprise engage un autre jeune et le précédent retourne à la case de départ.

Je connais une jeune fille de 24 ans qui depuis quatre années est engagée comme ouvrière dans une grande surface, en contrat à durée déterminée. Son contrat commence en octobre et s’arrête chaque année le 30 juin. Le patron dit que les jobs d’étudiant lui coûtent moins cher.

Nos jeunes en insertion sociale et professionnelle ont l’impression de perdre leur temps dans des formations inadaptées, qui ne les mènent à rien. Dans les entreprises de formation par le travail les jeunes sont parfois mal encadrés et livrés à eux-mêmes. Il faut qu’ils puissent avoir des formations plus adaptées avec des formateurs qualifiés et reconnus qui les encouragent au lieu de les exclure et qui les aident à aller jusqu’à une vraie qualification et un vrai boulot.

Je connais un jeune qui, pendant 14 mois, a travaillé huit heures par jour dans une entreprise de formation par le travail. Il gagnait 4.000 FB par mois. Dans ces entreprises ces jeunes ne sont pas reconnus comme travailleurs et n’ont pas droit au salaire minimum garanti. Ils ont le sentiment d’être exploités. A la fin de la formation ils peuvent s’inscrire comme demandeurs d’emploi, mais n’ont pas droit aux allocations de chômage. Les employeurs préfèrent embaucher des chômeurs indemnisés qui donnent droit à des primes d’embauche pour l’entreprise.

Dans certains travaux on oblige les travailleurs à prendre un statut de faux indépendant, pour ne pas avoir à les embaucher comme salariés. On voit cela pour des emplois de livreur, de gardien dans les parkings, ou de distributeur de publicité dans les boîtes aux lettres. Comme ces travailleurs n’ont pas les moyens de payer les cotisations de sécurité sociale, ils perdent tous leurs droits. Ce qui est grave, c’est que ces emplois maintiennent les gens dans la pauvreté. Comme les pauvres n’ont pas d’autres choix, ils sont bien obligés d’accepter.

Nous demandons que tous ces sous-emplois deviennent de vrais emplois, qui donnent les mêmes droits qu’aux autres travailleurs, avec la même couverture sociale. Mais nous ne pouvons pas y arriver tout seuls. Pour y arriver, nous demandons le soutien des partenaires sociaux, qui ont le pouvoir de faire changer la réglementation.

Martine Dierickx : « Que les enfants des riches et des pauvres fréquentent les mêmes écoles »

Dans notre groupe d’étude, nous nous sommes demandé ce qui était le plus important pour sortir de la pauvreté.

Un père de famille nous disait que le plus dur pour lui, c’est de ne pas avoir de parents et d’avoir été placé, tout comme son frère, dans un orphelinat. A l’école on les laissait dans leur coin. Toute leur vie ils en ont subi les conséquences. Quand on ne sait ni lire ni écrire, on a peu de contacts avec les autres, on a honte et on se cache. Et quand des enfants sont placés, ce qui est souvent le cas chez les familles pauvres, il est très difficile aussi d’entretenir des contacts. « Je ne le souhaite à personne », nous a-t-il dit.

Une femme belge, connue par quelqu’un de notre groupe, n’a été à l’école que six mois. Elle non plus n’a appris ni à lire ni à écrire. Elle nous a raconté qu’elle n’a jamais trouvé les mots pour se défendre face à l’assistante sociale ou au juge, en sorte que ses six enfants ont été placés. Chaque fois, elle faisait une dépression. Elle a aujourd’hui 44 ans. Sa santé est complètement détériorée et elle est obligée de prendre des calmants.

Une autre femme a été obligée de redoubler chaque année jusqu’en quatrième primaire, puis a été placée en enseignement spécial, sans parvenir à pouvoir lire et écrire. Ce n’est qu’à l'âge de seize ans que des instituteurs se sont intéressés à elle. Mais, pendant presque deux ans, elle n'a pu persévérer pour cause de maladie. Après quoi, elle a suivi durant cinq ans une formation de base pour adultes. C’est là qu’elle a prouvé ce dont elle était capable. Aujourd’hui elle sait lire, mais écrire reste difficile. Il est très important que les enfants ne soient pas rejetés à l’école à cause de la pauvreté ou pour toutes autres raisons.

Nous avons un rêve. Qu’aucun enfant ne soit obligé de vivre ce que nous avons vécu. Que les enfants qui ne peuvent pas suivre soient mis au premier rang dans les classes et non à l'arrière. Notre rêve est que les enfants des riches et des pauvres aillent à la même école, qu’ils deviennent amis. Qu’ensemble ils apprennent à lire et à écrire, pour pouvoir vivre ensemble plus tard, qu’ils héritent de la fierté de leurs parents, et que l’abolition du chômage contribue au bonheur des familles.

Stan Leyers : « Nous demandons des itinéraires personnalisés vers le savoir et l’emploi »

Dans le cadre de notre groupe d’étude, j’ai été chargé d’interroger des personnes à faible qualification parmi les plus démunies, dont quelques sans-abri, sur leur vécu en situation de chômage.

L’un d’entre eux m'a dit : « Le fossé entre nous et la société est tellement grand, la distance tellement énorme qu’un voyage vers la lune ou vers Mars semble plus facile que de raccrocher à la société ».

On parle beaucoup de « l’utilité » des chômeurs, mais comment peut-on les insérer en partant de leur situation, de leurs possibilités, de leurs aspirations ? Nous pensons que leur accès au marché du travail n’est possible qu’en développant avec eux :

- une formation adéquate, d’une durée suffisamment longue qui fasse valoir leurs connaissances et leurs expériences ;

- des itinéraires personnalisés vers des emplois sérieux et durables ;

- des contrats de travail qui offrent une protection légale et assurent un revenu décent.

Nous demandons aux accompagnateurs des parcours d’insertion et aux employeurs de veiller à ce que ces trajets ne mènent pas vers des sous-statuts de travailleurs de deuxième rang, comme c’est souvent le cas aujourd’hui. Ainsi des chances d’insertion et de perspectives d’avenir sérieuses pourront être développées. Pour que cesse l’injustice sociale, ces trajets d’insertion doivent mener vers les mêmes droits que ceux dont jouissent les travailleurs sur le marché du travail.

Cela va demander un gros effort et un gros investissement (son coût financier sera quand même moins lourd que le maintien de la situation actuelle), mais cela assurera plus de chances de réussite, donnera aux entreprises plus de sécurité de rendement à long terme et, surtout, cela donnera une plus-value à la société. Soyons ainsi des partenaires pour vaincre la pauvreté.

CC BY-NC-ND