Les droits de l'homme et la pauvreté vus depuis l’Afrique

Halidou Ouédraogo

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Halidou Ouédraogo, « Les droits de l'homme et la pauvreté vus depuis l’Afrique », Revue Quart Monde [En ligne], 168 | 1998/4, mis en ligne le 05 juin 1999, consulté le 25 avril 2024. URL : https://www.revue-quartmonde.org/2824

Comment parler de droits de l'homme en Afrique sans parler du droit au développement ? Ce continent ne peut entrer dans le prochain siècle avec tous ses malheurs. Il doit avancer vers des États de droit. Loin des projets utopiques, l'auteur balise le chemin. Il a fait part de son analyse lors de l'université d'été des volontaires du Mouvement international ATD Quart Monde réunie aux Pays-Bas, en juillet dernier, Voici des extraits de sa communication.

Je voudrais me référer d'abord à deux décisions majeures prises au niveau des Nations unies. D'une part, à une déclaration sur le droit au développement (classifiée AG/41/128). Elle proclame que « le droit au développement est un droit humain inaliénable en vertu duquel toutes les personnes et tous les peuples ont le droit de participer, de contribuer à un développement économique, social, culturel, politique dans lequel tous les droits de l'homme et toutes les libertés fondamentales puissent être pleinement réalisés, et de bénéficier de ce développement ». En 1993, les résultats de la conférence de Vienne (« Tous les droits de l'homme pour tous ») ont d'ailleurs renforcé cette volonté de la raison commune de faire du droit au développement un droit fondamental et universel.

D'autre part, à la consécration en 1992 du 17 octobre comme Journée mondiale du refus de la misère, moment inspiré et acquis par le long et positif combat du père Joseph Wresinski.

Quant à la Charte africaine des droits de l'homme et des peuples (adoptée en 1981 et entrée en vigueur en 1986), elle développe abondamment les droits de solidarité. Ceux-ci sont construits autour des notions du droit des peuples à la libre disposition de leurs richesses et ressources naturelles et du droit collectif de solidarité. Cela renvoie à d'autres instruments juridiques de promotion et de protection des droits humains, tel le Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels (1966).

Il existe certes des critiques du droit de solidarité. Mais force est de constater que ces critiques, généralement formulées par des juristes du Nord, ne résistent pas à la réalité des faits qui défilent quotidiennement sous nos yeux. Les droits de solidarité sont ceux qui protègent encore de nos jours les valeurs essentielles de caractère global dues à la personne humaine : la dignité, la paix, la justice et le développement. Ces droits appartiennent aux populations, Il revient à la communauté internationale et aux Etats de les réaliser, bien entendu avec le concours de ces populations. [...]

Si nous voulons éviter le pire en cette fin de siècle, il nous faut briser le cercle infernal de la misère et de la pauvreté. L'impuissance du système social face à la pauvreté, tant au plan international qu'au plan local, semble indiquer cette voie. Il est urgent de résoudre les problèmes de la faim, de l’ignorance, de la maladie, de la peur qui minent les trois quarts de nos populations. Ces exigences sont reprises dans tous les instruments juridiques de protection des droits humains : il s'agit de les rendre effectives.

Le mal développement hypothèque les droits humains.

Le père Joseph Wresinski dit : « Là où des hommes sont condamnés à vivre dans la misère, les droits de l'homme sont violés. S'unir pour les faire respecter est un devoir sacré ».

Et Jean Paul II d'ajouter : « Si les droits de l'homme sont violés, cela est particulièrement douloureux. Du point de vue du progrès, cela représente un phénomène incompréhensible de lutte contre l'homme et ce fait ne peut en aucune façon s'accorder avec quelque programme que ce soit qui se définisse humaniste. En effet, quel programme social, économique, politique, culturel pourrait renoncer à cette définition ? ».

Tout doit être fait en effet pour résoudre les questions du développement qui ont pour noms : misère et extrême pauvreté, mortalité infantile, marginalisation des femmes et des personnes du 3è âge. Cela concerne en particulier l'éducation, la santé, l'alimentation.

La faim, la pauvreté, l'absence d'accès aux services de santé et d'éducation représentent des manquements graves aux droits élémentaires de tout être humain. Un des aspects fondamentaux de la notion du droit au développement est qu'il permet d'inclure des problèmes liés au développement dans une problématique globale des droits de l'homme et de la démocratie. Cette question est inscrite à l’agenda des pays africains.

Violation des droits : état des lieux

La plupart des pays africains sont en rupture économique, sociale et culturelle. Récessions, crises économiques, dettes et politique des institutions de Bretton Woods1 achèvent de déstructurer le continent.

D'une part, les gouvernements n'arrivent pas à faire face à l'élargissement de la misère et de la pauvreté. Le chômage prend des proportions alarmantes dans les secteurs formel et informel. Le mouvement migratoire des populations aggrave les situations.

« Les structures de l'économie internationale pèsent sur le devenir des États, sans trouver de contrepoids politique face à la globalisation des marchés (cf. en particulier, la transnationalisation des flux monétaires et financiers) et à la mondialisation des principaux défis du développement et de l'environnement. L'aire de souveraineté de l’Etat se rétrécit ».

D'autre part la croissance des populations demeure forte et l'espérance de vie, faible.

Le taux de mortalité maternelle et infantile est élevé : 500 000 femmes en 1988 ont perdu la vie suite à des complications lors de leur grossesse ou de leur accouchement. Le taux d'analphabétisme est élevé : 56 % pour les hommes et 37 % pour les femmes ( 26,5 % et 28,5 % en Afrique centrale ; 58 % et 31 % en Afrique occidentale). Par ailleurs l'accès à l'eau salubre reste hypothétique.

Le plus dramatique est que le continent connaît toujours la famine. Les populations n'ont pas le droit de manger à leur faim. La production alimentaire par personne baisse depuis dix ans. De nombreux pays ont des approvisionnements alimentaires insuffisants.

Lors du dernier sommet des chefs d'État de l'Organisation de l'Unité Africaine (OUA) tenu à Ouagadougou (Burkina Faso), les résultats des travaux du Comité directeur du fonds spécial d'assistance d'urgence pour la lutte contre la famine et la sécheresse en Afrique ont fait ressortir le caractère endémique de la misère et de la pauvreté.

De nombreux États en proie à la famine ont bénéficié de fonds de solidarité et de secours sous forme d'assistance humanitaire :

Madagascar : 154 226 $ EU ; Tanzanie: 21 265 $ EU ; Congo Démocratique : 13 529 $EU ; Togo: 206 $EU ; Comores: 4 324 $EU ; Congo: 26 559 $EU ; Angola: 10 226 $ EU ; Bénin: 11 338 $ EU ; Somalie : 19 412 $ EU ; Mozambique: 5 691 $ EU, Rwanda : 10 294 $ EU.

Des pays comme le Niger, le Tchad, la Guinée-Bissau, le Soudan, Djibouti ont également bénéficié de cette assistance Le Burkina Faso et le Cameroun sont demandeurs.

Au moment de la célébration du 50è anniversaire de la Déclaration universelle des droits de l'homme, de nombreux pays croulent encore sous la misère. Des millions d'êtres humains vivent dans le dénuement le plus total. C'est seulement dans les pays du Nord que la majorité de la population a été relativement libérée de la misère. La faim et la pauvreté marquent toujours le Sud. 1,4 milliard d'habitants des pays du Sud vit dans l'extrême pauvreté. Un autre milliard en est à la lisière [...]

Les États africains, membres de l'OUA, disent leur attachement aux libertés, aux droits de l'homme et des peuples contenus dans les instruments adoptés dans le cadre de l'Organisation des Nations unies. Ils sont convaincus que « les droits civils et politiques sont indissociables des droits économiques, sociaux et culturels tant dans leur conception que dans leur universalité ».

Or, dans presque tous les États africains, des mouvements de rue répondent aux falsifications électorales. Des révoltes ont lieu contre l'injustice et le fonctionnement de la justice. Partout, on demande le respect des libertés civiles et une réelle démocratie. La marginalisation de la plupart des déshérités et des exclus, tout spécialement des chômeurs et des jeunes, les laisse sans perspectives et les rend violents. Les populations démunies sont fréquemment tracassées par la police ou l'administration (déplacements du centre des villes vers les périphéries, expropriations, lourds impôts, défauts de soins). Ces violations sont couvertes par l'impunité.

Dans de telles conditions, les réformes sociales et économiques qui seraient susceptibles de promouvoir le développement humain et d'être acceptées sont vouées à l'échec.

Les femmes sont celles qui souffrent le plus des brimades politiques et économiques. Elles sont rarement impliquées dans les prises de décision. Elles sont confinées dans les campagnes et à la périphérie des villes. Elles travaillent presque 14 heures par jour et profitent rarement des richesses qu'elles produisent. Elles sont absentes des institutions (gouvernements, parlements et autres grands services.)

Les femmes sont toujours les victimes de pratiques rétrogrades : mariage précoce, mariage forcé, mutilation sexuelle, marginalisation due aux us et coutumes. Les lois et les constitutions les protègent mais seulement sur le plan formel. Elles ne connaissent pas leurs droits et sont astreintes à des devoirs exorbitants.

Construire la démocratie et éradiquer la pauvreté

L'Afrique ne doit pas entrer dans le XXIème siècle avec ses États d'exception, ses arriérations, ses violations de droits humains et ses fractures sociales. Le remède principal réside dans la sensibilisation et l'éducation des populations à leurs droits, à tous leurs droits. ONG, fractions de la société civile, gouvernements et partenaires doivent associer développement et droits de l'homme, droits de l'homme et démocratie. L'accent doit être mis sur les droits économiques. Un effort a été fait ces dernières années en ce sens, en particulier avec ces trois Conférences : sur le développement social à Copenhague, sur la population au Caire, sur l'habitat à Istanbul.

L'association droits de l’homme-démocratie-développement est le résultat des profonds changements qui marquent le monde.

En Afrique, une telle approche est inévitable, car, dans tous les Etats, le phénomène de pauvreté est réel et profond. Il faut gérer et traiter entièrement les droits de l'homme et impliquer tous les acteurs dans cette gestion. L'élargissement des espaces de liberté est capital.

Dans le cadre de l'Etat de droit, le développement peut être assuré et la pauvreté peut être réduite.

Le cadre de l'Etat de droit est simple, même si sa réalisation est complexe. L'Afrique doit accepter un certain nombre d'évolutions. Les oppositions doivent être dotées d'un statut légal, être crédibles et préparer l'alternance au pouvoir, en jouant franchement le jeu démocratique.

La magistrature doit être indépendante. La presse doit, être libre. La corruption et les détournements de deniers publics doivent être punis. Les lois doivent être respectées.

L'existence et le renforcement des droits de l'homme créent les conditions d'un développement durable. Au-delà des obligations de comportement et d'action prescrites par les dispositions des instruments juridiques internes et internationaux de défense des droits de l'homme, au-delà de la nécessité pressante pour l'Afrique d'en assurer le respect dans leur plénitude et dans leur universalité, des questions se posent à tous les acteurs du développement.

Comment œuvrer et pousser à l'effectivité et à la garantie de ces droits ? Comment faire percevoir ces notions de droits humains et de développement à travers des structures sociales en majorité traditionnelles, ayant leur logique propre, généralement marquées par des pratiques coutumières longtemps éprouvées.

Ces questions sont toujours d'actualité en Afrique. Manger à sa faim, se loger, s'éduquer, se soigner sont des préoccupations quotidiennes. La réalité sur le terrain a d'ailleurs amené les institutions internationales à mieux préciser la notion de développement.

Celui-ci doit prendre en compte la contribution de chaque personne pour le formuler et le réaliser. Le développement basé sur la croissance doit céder le pas a un développement qui favorise l'épanouissement des droits de l'homme et qui tienne compte de l'homme comme acteur principal. Dans une telle acception, les populations deviennent vraiment les acteurs du développement. Elles participent à la gestion de ses résultats à tous les niveaux et elles le créent à leur mesure. Elles tournent le dos à un développement qui se fait contre elles par le truchement de trusts qui les endettent. Le développement, pour venir à bout de la misère, doit prendre en compte tous les aspects de la vie [...]

Les droits de solidarité, ferment du développement économique

L'un des acquis majeurs de la Conférence mondiale des droits de l'homme à Vienne (juin 1993) c'est la reconnaissance du droit au développement comme un droit inaliénable.

Déjà la Charte des Nations unies (cf. article 56) avait invité les États à promouvoir, individuellement ou en coopération avec le système des Nations unies, le développement et le respect des droits de l'homme.

La Charte africaine des droits de l'homme et des peuples est encore plus explicite dans la mesure où elle recommande à tous les sujets du droit, y compris la communauté internationale, un devoir de solidarité. Elle enjoint aux Etats le devoir d'assister les familles, d'éliminer les discriminations à l'égard des femmes et de protéger les infirmes.

Le droit au développement est un droit de l'homme de troisième génération Dans un continent comme l'Afrique, l'explication et l'adoption du droit au développement constituent l'une des voies vers le progrès social. Il est admis par tous de nos jours, au Nord comme au Sud, que là où il y a l'extrême pauvreté, il n'y a pas respect des droits de l'homme. Le combat pour l'avènement des droits de l'homme, pour l'installation de la démocratie, prépare la voie au droit au développement et au développement tout court.

La pauvreté du sol dans le Sahel et la rareté des eaux de pluie n'empêchent pas les populations du Yatenga (nord du Burkina Faso) de privilégier les méthodes culturales ancestrales et la participation à la base pour protéger l'environnement et pour réussir des miracles économiques qui allègent les périodes de soudure. Par leur pratique, ces paysans libres contribuent au développement et protègent l'écosystème de leur milieu par des techniques de plus en plus vulgarisées dans cette partie occidentale du continent (élevage par stabulation, culture fourragère, construction de diguettes anti-érosives et de barrages de taille moyenne) [...].

Au Burkina Faso, depuis les élections législatives de mai 1992, la vigilance de populations aidant, le pays s'est remis au travail dans le cadre de l'État de droit naissant. Il existe d'autres pays de la sous-région qui s'engagent dans cette voie (Mali). Il faut seulement continuer à s'inscrire et à s'investir dans le vent du temps, levé un peu partout dans le monde, pour consolider les libertés et la démocratie, pour favoriser ainsi le développement des pays du Sud.

L'Afrique sub-saharienne constitue donc un laboratoire où les travaux de recherche sont à la fois laborieux et prometteurs.

1 Ville du New Hampshire (Etats-Unis) qui donna son nom aux accords qui y furent pris par 44 pays, en 1944. Ces accords instaurèrent un système
1 Ville du New Hampshire (Etats-Unis) qui donna son nom aux accords qui y furent pris par 44 pays, en 1944. Ces accords instaurèrent un système monétaire international favorisant le dollar.

Halidou Ouédraogo

Halidou Ouédraogo a exercé comme magistrat des responsabilités publiques dans son pays, le Burkina Faso. Il est co-fondateur et président du Mouvement burkinabé des droits de l'homme et des peuples et de l'Union interafricaine des droits de l'homme.

CC BY-NC-ND