Appréhensions pour 1985

Jules Klanfer

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Jules Klanfer, « Appréhensions pour 1985 », Revue Quart Monde [Online], 155 | 1995/3, Online since 01 March 1996, connection on 12 December 2024. URL : https://www.revue-quartmonde.org/2942

Le texte qui suit de Jules Klanfer a été publié dans le numéro de février 1966 de la revue Esprit, soit un peu plus d’un an avant la disparition de son auteur, le 16 juillet 1967. Il s’agit d’un commentaire d’une brochure éditée par la Documentation française, sous le titre « Réflexions pour 1985 ». Cette brochure reprenait les travaux du « Groupe 85 », constitué à la fin de 1962, pour éclairer les orientations générales du Vème Plan, en se livrant à une réflexion prospective sur l’évolution de la société française dans les vingt années à venir.

Relire ce texte en 1995, soit trente ans après sa parution initiale, est un exercice particulièrement éclairant, pour une génération qui, depuis quelques années, semble découvrir la « fracture sociale ». Au regard des avertissements de Jules Klanfer, il devient impossible d’oser encore parler de découverte.. Il devient impossible de dire : « Nous ne savions pas, nous n’avions pas été prévenus ». Les auteurs de la brochure commentée par Jules Klanfer l’écrivaient eux-mêmes : « Il importe de souligner que la société de 1985 ne sera pas une société de l’opulence. Il est probable que des secteurs entiers de la population – comme aux Etats-Unis d’Amérique aujourd’hui – vivront en marge de la société, laissés en arrière dans leur niveau de vie, handicapés dans leurs moyens et facultés ». Et Jules Klanfer de poser la question : « Accepterons-nous la pauvreté comme le destin normal de plusieurs millions des nôtres, vieux, infirmes, hommes et femmes dans la force de l’âge mais inadaptés à la vie moderne, enfants des taudis urbains et ruraux ? ». Dès cette époque, commentant les efforts du gouvernement des Etats-Unis qui, à travers l’Economic Opportunity Act, s’efforçait de combattre la pauvreté, il écrivait : « Il est douteux que la masse des miséreux pourra être entièrement intégrée dans une économie qui, malgré son immense puissance, ne croît pas à une allure suffisante pour absorber à la fois l’afflux des jeunes sur le marché du travail et la main-d’œuvre excédentaire. »

Nous savions dès 1965. Nous étions avertis par l’existence même d’une population laissée pour compte que le père Joseph Wresinski nous avait révélée. Nous savons aujourd’hui, comme celui-ci l’écrivait en 1987 que « l’égalité des hommes n’avance pas ainsi par un combat pour l’économie, mais qu’elle n’avance que par un combat pour l’égalité. Tout comme la réduction de la pauvreté n’avance pas par un combat pour la richesse, mais par une lutte contre la pauvreté. » Nous savons avec lui que « tabler sur la modernisation continue de la production signifie s’accommoder du chômage et de l’inutilité des travailleurs les moins qualifiés et de leur exil dans une Europe à part, celle de l’assistance ». Au moment où se met en place la nouvelle révolution fondée sur les technologies de la communication et de l’information, les appréhensions de Jules Klanfer en 1965 doivent nous rappeler que cette révolution ne sera pas différente des autres : si les mutations qu’elle implique se réalisent sans les plus pauvres, elles ne les serviront pas. N’est-ce pas, en d’autres termes, ce que disait le vice-président des Etats-Unis, Albert Gore, devant le National Press Club en 1994 : « Si nous permettons à l’autoroute de la communication de laisser de côté les secteurs les plus démunis de la société, même pendant une période transitoire, nous découvrirons que ceux qui sont « riches » en information seront encore plus riches, et que les pauvres seront encore plus pauvres sans aucune garantie pour chacun d’être, un jour, connecté au réseau ».

Nous savions en 1965. Nous savons en 1995. Entendrons-nous les avertissements qui nous viennent de celles et ceux qui vivent dans la grande pauvreté, véritables vigies pour nous préserver du naufrage ?

Nous remercions la revue Esprit pour son aimable autorisation de reproduire ici l’intégralité de cet article.

Jean Tonglet

En marge de la société

L’optimisme triomphal des Réflexions pour 1985, cette grandiose prospective qui nous prédit pour le jour où les nouveau-nés d’aujourd’hui entreront dans l’âge adulte un niveau de vie multiplié par deux et demi, n’a pas entraîné ni dissipé toutes les appréhensions pour 1985.

Nous ne parlerons même pas des récessions, celle par exemple que nous vivions en 1965, qui risquent de réduire considérablement le taux moyen de croissance : en admettant que celui-ci se trouve réduit de 5 % à 4 %, l’indice de la production en 1985, par rapport à 1960, serait ramené de 340 à 270, l’élévation du niveau de vie de 2,5 à 2 ; disposer en 1985 de quatre cinquièmes seulement des richesses escomptées, cela signifie qu’il faudrait renoncer à quelques progrès essentiels en sacrifiant soit l’école, soir l’hôpital, ou encore le logement , ou la route. Sur le papier, on pourrait concevoir une diminution à peu près uniforme de tous les progrès prévus ; dans la réalité, cet abandon de quelques objectifs des quatre ou cinq prochains Plans se traduirait par une lutte sans merci où succomberaient les plus faibles, les malades, les vieux, les mal-logés, les inadaptés. Ou encore telle catégorie dont l’existence n’apparaîtra que dans dix ou quinze ans ; qui s’est alarmé en 1950, en 1955, des bidonvilles, des taudis, de la masse des immigrés pauvres ?

En admettant que les objectifs de croissance soient intégralement atteints, il reste un problème que les auteurs des Réflexions abordent en quelques lignes : « Il importe de souligner que la société de 1985 ne sera pas une société de l’opulence. Il est probable que des secteurs entiers de la population – comme aux USA aujourd’hui – vivront en marge de la société, laissés en arrière dans leur niveau de vie, handicapés dans leurs moyens et facultés » (p. 67).

Cette incidente « comme aux USA aujourd’hui » est proprement effarante. Parce que les Etats-Unis nous ont devancés de deux décennies sur les chemins du progrès technique et économique, devrons-nous les suivre dans leurs défaillances, accepter comme une fatalité ce que les meilleurs économistes et sociologues américains dénoncent comme absurdité ? Certes, nos planificateurs ont entendu le cri d’alarme lancé dès 1958 par J.K Galbraith1, qui mit en garde ses concitoyens contre les effets d’une expansion de la consommation privée tournant au gaspillage et au culte du gadget, en négligeant de parti pris les investissements collectifs.

Ont-ils pris conscience des travaux plus récents, surtout de la Conférence on Economic Progress (organisme privé qui groupe les grands chefs du syndicalisme américain et quelques économistes et sociologues de premier plan) ? Connaissent-ils le vigoureux avertissement du Suédois Gunnar Myrdal qui démontrait en 1962 qu’aux Etats-Unis les effets conjoints d’une insuffisante et irrégulière croissance et d’un progrès technologique appliqué à l’aveugle acculent des millions de travailleurs à la marge de la vie sociale, engendrent le « cercle vicieux » par lequel le pauvre et ses enfants, mal logés, sous-instruits, bientôt atteints dans leur santé, s’enfoncent dans un état d’inadaptation et de marginalité sociale, constituant une nombreuse sous-population d’exclus sociaux ?2

La Conférence on Economic Progress a élaboré et publié un programme très complet, dans le but de liquider la pauvreté vers 1975 ; dix ans plus tard, en France, accepterons-nous celle-ci comme le destin normal de plusieurs millions des nôtres, vieux, infirmes, hommes et femmes dans la force de l’âge mais inadaptés à la vie moderne, enfants des taudis urbains et ruraux ?3

Les nouvelles techniques de production créent un besoin accru de spécialistes mais réduisent considérablement les emplois pour la main-d’œuvre non qualifiée, ou qualifiée dans des fonctions désormais inutiles. Ces travailleurs éjectés de la vie professionnelle sombrent dans le sous-prolétariat. Aux victimes du progrès industriel s’ajoutent celles de la mécanisation agricole, petits fermiers ou ouvriers agricoles végétant dans la misère au fond des vallées écartées, ou obligés de chercher un travail dans les villes. Les uns comme les autres n’ont à offrir que la force de leurs bras ou des compétences dépassées par l’évolution technique. Ecartés des emplois rémunérateurs, ils sont réduits à des travaux d’occasion, vivant dans des taudis ou des bidonvilles, exposés sans défense à tous les aléas de la vie. Le chômage, la maladie signifient pour eux l’abandon total car les lois sociales – et à plus forte raison les conventions collectives et la protection syndicale – ne jouent pas pour ces marginaux.

Parmi eux, les Noirs, les personnes âgées, les immigrants ayant échoué, ceux enfin qui n’ont pas bénéficié d’une instruction scolaire complète sont nombreux mais, d’après un autre observateur de ce milieu, Michael Harrington, la majorité des miséreux sont des Américains de naissance, de race blanche, et âgés de moins de 65 ans.1

Pour intégrer dans l’économie américaine ces millions d’êtres déchus, deux conditions semblent indispensables à Gunnar Myrdal : une expansion économique importante et ininterrompue permettant de créer des emplois nouveaux, et un effort d’éducation, de scolarisation, de formation professionnelle en faveur des miséreux.

Myrdal a présenté ses idées sous forme de conférences à des universités américaines, puis rédigé son livre, à l’époque où le président Kennedy préparait son programme de lutte contre la pauvreté. Les projets du président lui semblèrent très nettement insuffisants par rapport à l’ampleur du problème et surtout en considération du fait qu’ils s’attaquaient bien à l’aspect humain du problème mais non aux données économiques qui en constituent le fond.

Entre temps, le successeur de Kennedy a fait voter par un congrès subitement obéissant la Loi de lutte contre la Pauvreté, dite Economic Opportunity Act, à peu près dans la forme et dans les limites conçues par son prédécesseur. Un milliard de dollars seront consacrés à la création de centres d’apprentissage, à la réalisation de travaux publics, au « développement communautaire » des zones de misères urbaines et rurales, à l’aide aux agriculteurs et aux petits indépendants.

On peut espérer que l’effet direct et plus encore la stimulation créée par la loi contribueront à résorber en partie la pauvreté américaine mais il est douteux que la masse des miséreux pourra être entièrement intégrée dans une économie qui, malgré son immense puissance, ne croît pas à une allure suffisante pour absorber à la fois l’afflux des jeunes sur le marché du travail, et la main d’œuvre excédentaire.

Cette dernière est difficile à évaluer. Pendant longtemps, on pensait que les statistiques américaines du chômage tendaient à inclure des catégories qui, d’après les définitions habituelles en Europe, ne compteraient pas comme chômeurs. Or, Gunnar Myrdal pense que c’est le contraire qui est vrai, que le nombre réel des travailleurs inemployés dépasse le chiffre officiel d’environ quatre millions. Compte tenu du sous-emploi des travailleurs occasionnels, les chômeurs totaux ou partiels seraient environ six millions, soit 9 % de la main- d’œuvre.

Ce chômage massif devient rapidement du chômage structurel. Après quelques années d’inoccupation ou de travail de misère, la maladie, l’alcoolisme, la vie des taudis transforment l’ouvrier non employé ou sous-employé en ouvrier non employable. La déchéance professionnelle et la déchéance sociale vont de pair. Et, ce qui aggrave singulièrement le problème, les enfants des exclus héritent de l’exclusion sociale des parents. L’ambiance familiale, la nécessité de gagner de l’argent au plus vite, font que ces enfants ne peuvent acquérir une formation générale et une qualification professionnelle. Bientôt le désespoir et le poids de toutes les déchéances les font descendre dès leur jeunesse au niveau humain de leur milieu d’origine. Les tentations de la délinquance juvénile guettent cette jeunesse, celles de la prostitution les filles du milieu sous-prolétarien. Myrdal parle de « cercle vicieux », Harrington de « culture de la pauvreté », terme qui a fait fortune en Amérique depuis le succès de l’ouvrage d’Oscar Lewis : The Children of Sanchez5.

Si l’on ajoute aux chômeurs les autres catégories de pauvres – fermiers et ouvriers agricoles plus pauvres parfois, même lorsqu’ils travaillent, que les miséreux des villes, vieillards non secourus, malades physiques et mentaux, délinquants, alcooliques – on peut certainement doubler le chiffre. Compte tenu des femmes et des enfants des chefs de famille pauvres, on évalue le nombre total de la population sous-prolétarienne, selon les définitions, à 16 % du peuple américain, ce qui ferait 30 millions d’individus, à 25 ou même à 36 %. Les évaluations les plus élevées incluent des personnes qui se seraient pas considérées comme « pauvres » en Europe mais qui ne peuvent pas bénéficier pleinement des bienfaits de l’opulence et risquent donc de sombrer dans la marginalité, leur intégration sociale étant compromise par un niveau de vie nettement inférieur à ce que l’on considère comme « normal » autour d’eux.

La pauvreté en France

La division du peuple américain en « deux nations », les riches et les pauvres, est certainement trop sommaire. Les statistiques basées sur le revenu familial que cite Gunnar Myrdal ne reflètent pas toujours le degré réel de pauvreté, ni surtout celui de la marginalité des pauvres, de leur degré d’exclusion de la culture et de la vie nationale. Il conviendrait de tenir compte du genre de vie, des structures familiales, de l’habitat, du degré d’instruction, de l’état de santé, qui déterminent autant et plus que le revenu l’intégration ou l’exclusion sociales.

En France, une telle division de la nation en riches et en pauvres serait encore plus sommaire et inadéquate. Le niveau de vie et le genre de vie dépendent évidemment du revenu, mais aussi de toute une série d’autres facteurs. Ce sont en partie ceux que nous venons de mentionner pour les Etats-Unis, d’autre part des circonstances matérielles telle que la possession d’un logement, ou la chance d’avoir un appartement à loyer modéré, les relations qu’une personne peut avoir et qui peuvent lui faciliter toutes les situations de la vie.

Toute une série de dichotomies peuvent s’appliquer aux Français et permettent des distinctions, des classifications, des divisions en une moitié supérieure et une moitié inférieure sans qu’il soit légitime pour autant de parler de deux nations.

Une des distinctions à faire concerne la région dans laquelle vit un individu. La France compte des provinces pauvres et des zones riches. L’Ouest, le Sud-Ouest, le Centre sont dans l’ensemble défavorisés ; le Nord, l’Est, le Sud-Est, la région parisienne favorisés.

Une autre dichotomie peut être établie entre urbains et ruraux. Environ 40 % des Français vivent encore dans des localités « rurales », c’est-à-dire comptant moins de 2 000 habitants agglomérés au chef-lieu. En 1985, ils ne seront plus que 20 %.

L’instruction dont les individus ont bénéficié permet des divisions selon divers critères. Les titulaires de diplômes universitaires ou supérieurs, parfois aussi les bacheliers aiment à distinguer entre « primaires » et ceux qu’à défaut d’un terme approprié on ne peut appeler que les « non-primaires ». La futilité de cette classification simpliste (pour ne pas dire : primaire) est manifeste. En réalité il y a une hiérarchie complexe basée sur la qualification professionnelle et la formation générale, allant des ouvriers non qualifiés aux professionnels, aux techniciens et agents de maîtrise, aux cadres moyens et supérieurs, professions libérales, patrons. Mais une autre distinction peut être faite en fonction des diplômes scolaires qui permet de diviser les Français en deux moitiés à peu près égales : ceux qui ont un diplôme quelconque : CEP, CAP, Bac, diplôme de faculté ou de grande école, et ceux qui n’ont aucun diplôme.

Bien des Français seront surpris d’apprendre que la moitié des adultes d’une nation aussi civilisée ne possèdent aucun diplôme scolaire.

Pourtant le fait a été établi officiellement par l’INSEE, à l’aide d’un sondage au 20ème sur la population recensée en 1962. Les non-diplômés, parmi les Français âgés de 15 ans et plus, sont même un peu plus nombreux que les titulaires d’un diplôme, fût-il le modeste certificat d’études.

Ces distinctions dont certaines, la dernière surtout, sont angoissantes, peuvent être complétées par des diversifications moins nettes, plus subtiles et échappant à toute évaluation statistique. Il y a ceux qui sont solidement installés dans leur situation professionnelle, notamment les fonctionnaires et les travailleurs des entreprises nationalisées, et ceux qui vivent dans l’angoisse du lendemain ; il y a les vieux qui bénéficient d’une retraite relativement confortable et ceux qui ont pour toute ressource la retraite des vieux travailleurs ou qui ne peuvent même pas bénéficier de cette pension de misère. Il y a des gens bien portants et des malades, et parmi ces derniers les uns qui, de par la nature de leur maladie, bénéficient d’une certaine protection sociale – les tuberculeux par exemple – et ceux qui doivent se débattre seuls avec les aléas de la vie.

N’y aurait-il donc pas de « pauvreté » en France dans le sens dans lequel Gunnar Myrdal, Michael Harrington, ainsi que les auteurs de la Loi de lutte contre la pauvreté, l’ont définie aux Etats-Unis ?

Pauvreté héritée et pauvreté acquise

Eh bien, en France, en Europe occidentale en général, il y a des pauvres, dont certains s’apparentent aux victimes américaines du « cercle vicieux » (ou de la « culture de la pauvreté »). D’autres ne peuvent pas être classés dans cette catégorie mais sont pauvres autant et plus que ceux dont la misère est héréditaire. Tous ont en commun de se trouver exclus totalement ou partiellement des principaux avantages de la vie dans une société industrielle hautement évoluée et accordant par surcroît à ses membres une protection sociale fortement organisée.

La pauvreté transmise existe bien en France mais toute statistique permettant de cerner l’ampleur du phénomène fait défaut. Les habitants des taudis et les Français croupissant dans les bidonvilles appartiennent essentiellement à cette sous-classe. D’autres, moins visibles encore et oubliés de tous, vivent à la campagne dans quelque vieille masure, pratiquant le genre de vie qui était celui de nos ancêtres paléolithiques : chasse (c’est-à-dire braconnage) et cueillette sont leurs principales ressources, parfois aussi un travail occasionnel chez l’un ou l’autre habitant du village ; mais la mécanisation agricole et l’équipement électro-ménager des fermes ont réduit les occasions de travailler.

Les pauvres héréditaires vivent en marge de la société, en marge de la culture, parce que, nés dans la misère et dans l’exclusion sociale, ils n’ont pas appris à vivre « comme tout le monde ». Par la suite, les maladies dues à la sous-alimentation et au manque d’hygiène, parfois l’alcoolisme et la délinquance (délinquance mineure – les criminels ne se recrutent pas dans ce milieu) les situent définitivement dans un état d’inadaptation. Les familles sont en général incroyablement nombreuses et dans bien des cas, les allocations familiales constituent de loin la principale ressource du foyer6.

Les inadaptés sont victimes de la crise du logement mais ce serait une grave erreur que de réduire leur problème à une question d’habitat. Avant d’avoir formé un foyer et subi les conséquences de l’insuffisant effort de construction, dès la première enfance, ils se sont trouvés exclus de la vie en société, avec toute leur famille d’origine, ou enlevés à leurs parents, ont été placés par l’Assistance Publique dans des institutions ou auprès de fermiers qui ne leur ont rien apporté de ce que le foyer paternel ne pouvait leur donner – éducation, formation professionnelle, adaptation à la vie contemporaine – et en plus les ont privés du seul bienfait que leur famille leur procurait parfois : la sécurité affective.

On ne saurait affirmer que les pouvoirs publics aient jamais considéré ce problème dans son ensemble. Divers services sociaux s’occupent bien des cas individuels, avec des résultats parfois heureux, plus souvent désastreux. Notons toutefois qu’un projet de l’Association « Aide à Toute Détresse », de création d’un centre de promotion familiale, a été inscrit au programme du Plan pour 1965. C’est une première initiative d’envergure modeste mais qui peut servir de projet-pilote.

Parmi les autres catégories de pauvres, il y a ceux qui, tout en bénéficiant d’un niveau de vie à la rigueur acceptable, du moins à l’abri de la misère physiologique, se trouvent privé de tout apport culturel, parfois même de toute scolarisation : forains, mariniers. Il y a les cas individuels dont la pauvreté n’est pas toujours héritée : vagabonds, clochards, alcooliques, délinquants, certains malades et infirmes. De ces derniers, les cas relevant de la psychiatrie et les débiles mentaux constituent une sous-population extrêmement nombreuse – on a parlé récemment de 500 000 à 600 000 débiles mentaux, ce qui signifierait que sur 1 000 Français au moins 12 entrent dans cette catégorie.

Bien entendu, ces groupes se recoupent en partie et ne peuvent pas être additionnés. La débilité mentale et toutes les formes de maladie et d’infirmité se rencontrent chez les pauvres héréditaires, chez les isolés asociaux, chez les forains et mariniers.

Quant à la misère des vieux, cette indignité des sociétés évoluées qui appliquent à leurs anciens des conceptions datant des époques où la faim et la déchéance physique étaient le sort inévitable de la majorité des hommes, nous pensons que la question a été traitée assez souvent pour qu’il soit inutile d’y revenir. L’indifférence des masses et des responsabilités envers la pauvreté héréditaire peut s’expliquer par l’ignorance du problème, l’indifférence envers les fins de vie pitoyables ne s’explique que par un parti pris très ferme d’écarter des préoccupations conscientes de la société toute idée de vieillissement et de mort. Un apport de documentation n’y changerait rien.

Il reste une catégorie de pauvres qui peuplent les bidonvilles et les meublés sordides, et qui, à l’opposé des marginaux inaptes aux emplois que notre économie peur proposer, accomplissent des fonctions de travail nécessaires et utiles : les travailleurs étrangers, Algériens, Espagnols, Portugais. Maçons, terrassiers, manœuvres d’usines, parfois OS, ils sont chargés des travaux les plus pénibles, les plus méprisés, les moins rémunérés7. Les uns sont venus dans le cadre d’accords internationaux et en toute légalité, d’autres ont franchi nos frontières clandestinement ou sont venus en France au hasard, comme touristes. Les situations irrégulières ont été en général légalisées après coup car il s’agit de gens dont notre économie a besoin.

Avec les pauvres héréditaires, ils partagent le mépris et l’indifférence de leur entourage, des responsables officiels, de la classe ouvrière et même des syndicalistes. Beaucoup appartiennent, dans leur partie, au monde de la pauvreté héréditaire, d’autres viennent du fond des campagnes les moins prospères, ou d’un milieu ouvrier normalement intégré. Leurs familles peuvent être aussi nombreuses que celles des inadaptés mais une différence essentielle existe à cet égard entre marginaux français et ouvriers immigrés : ces derniers ont laissé, dans la plupart des cas, leurs familles dans leur pays d’origine. Les mandats qu’ils envoient en Algérie ou ailleurs représentent souvent plus de la moitié de leur maigre salaire. Tout effort d’adaptation à la vie française se heurte non seulement au fond culturel incompatible avec les normes culturelles du pays d’accueil mais aussi à l’absence d’une volonté d’intégration. Les travailleurs migrants envisageant rarement de prendre racine. Le travail en France – ou en Allemagne, ou en Suisse – est pour eux une étape qui durera trois ans, cinq ans, dix ans mais au terme de laquelle ils retourneront dans leur ville ou leur village d’origine.

Le Plan et les marginaux

Toutes ces catégories de pauvres doivent bénéficier des efforts inscrits dans le Plan et de ceux prévus dans les Réflexions pour 1985, efforts de croissance économique, d’équipement sanitaire, scolaire, social, de construction, de formation professionnelle et de recyclage.

En principe, on peut admettre qu’une partie non négligeable des déshérités verra son sort, ou celui de ses descendants, amélioré grâce à l’ensemble des actions économiques et sociales des Plans futurs.

Mais il est à craindre que ne se produise en France ce qui a eu lieu aux Etats-Unis et dans d’autres pays : les efforts généraux en vue de rendre plus digne, plus humaine l’existence des populations s’exercent surtout au bénéfice des groupes sociaux intégrés, déjà privilégiés (encore que ces privilèges soient souvent bien modestes et n’apparaissent comme tels qu’en comparaison de la situation sous-privilégiée des masses mal intégrées), sans avantage pour les marginaux et souvent à leur détriment. Gunnar Myrdal insiste sur le fait que la protection d’une législation sociale n’est accordée qu’aux travailleurs réguliers dont les périodes de chômage ou de maladie n’excèdent pas certains délais, que le renouveau urbain chasse de leurs taudis les misérables pour construire à la place des habitations dites populaires mais accessibles aux seuls salariés réguliers jouissant d’un revenu relativement élevé alors que les habitants délogés se regroupent infailliblement dans des bidonvilles ou dans d’autres taudis.

Il en va de même pour la scolarisation, pour la formation postscolaire et professionnelle, pour les efforts de diffusion d’une culture populaire, et pour une bonne partie de l’équipement sanitaire.

Le problème des pauvres, habitant des zones rurales sous-développées ou des quartiers urbains miséreux, ne se résout pas automatiquement avec le progrès économique ni même avec le progrès social. Déjà Galbraith et, avec plus d’insistance, Myrdal ont souligné que les désadaptés sociaux ne bénéficieront du développement général qu’à condition qu’un effort particulier soit entrepris en leur faveur. Ce principe a été reconnu valable par les législateurs américains qui s’en sont inspirés dans la rédaction de l’Economic Opportunity Act. Quelle que soit la marge entre les principes et leur application, du moins l’Amérique sait-elle désormais, et reconnaît-elle publiquement que la pauvreté désadaptante ne peut être surmontée que par une action spécifique auprès de ses victimes.

On ne trouve aucun reflet de cette évolution de la pensée sociale américaine ni dans les Réflexions pour 19858 ni dans les Options pour le Vème Plan9.

Dans l’élaboration détaillée du Plan, quelques décisions dans le sens indiqué pourront certainement être prises. Nous avons mentionné l’appui donné dans le cadre du Plan à un Centre de promotion familiale. D’autres actions sociales, surtout au niveau des projets– pilotes, trouveront peut-être une place dans le Cinquième Plan. C’est peu.

C’est d’autant plus insuffisant qu’il s’agit d’actions de longue haleine et que l’évolution sociale accélérée par les progrès économiques et technologiques risque de créer de nouveaux déchets humains avant que ne soit réintégrée une partie appréciable des inadaptés et pauvres actuels.

Risques d'échec du Plan

C’est insuffisant aussi en considération des inévitables échecs des Plans en cours et futurs sur certains problèmes. Il est difficile de croire que tous les efforts prévus puissent réussir à faire disparaître les inégalités entre régions riches et pauvres, entre zones urbaines et rurales. Le développement des « métropoles régionales » en France, une ou deux exceptions mises à part, surtout la ville de Grenoble, permet de prédire qu’avec les années, l’écart entre Paris et les centres secondaires s’accentuera davantage, le district de Paris agissant d’ailleurs, qu’on le veuille ou non, dans le sens d’une sur–centralisation au seul bénéfice de la capitale.

La scolarisation devra être fortement développée. En 1985, la totalité des jeunes Français iront à l’école au moins jusqu’à l’âge de 16 ou 17 ans. Devant l’effroyable échec d’un enseignement qui ne parvient pas à conduire la moitié des élèves jusqu’au plus humble des diplômes scolaires, il est à craindre qu’en 1985 il n’y ait à nouveau 50 ou 60 % des jeunes qui n’obtiendront aucun certificat pour fruit de dix ans d’efforts scolaires. Et ceci à un moment où 80 à 90 % de la population active devront posséder une spécialisation professionnelle difficile à obtenir sans le rudiment de connaissances générales que l’enseignement primaire est censé transmettre aux jeunes générations.

La construction de 470 000 à 480 000 logements par an prévue dans le Cinquième Plan comme dans les Réflexions doit assurer un renouvellement progressif de l’habitat et permettre l’accession à une habitation décente des mal-logés d’aujourd’hui. Ce rythme de la construction, insuffisant en soi et inférieur à ce qui se fait à cet égard en Allemagne ou aux Pays-Bas, sera-t-il maintenu ? En admettant que la construction se poursuive selon les prévisions, il est à craindre que les premiers à être logés, ou relogés, ne soient pas les plus mal logés du moment, surtout les habitants des meublés, des taudis, des bidonvilles et cités d’urgence, mais ceux qui peuvent fournir l’effort financier que nécessite un modeste « Logéco ». Ce qui aggrave les perspectives est la politique des gouvernements successifs qui favorise l’accession à la propriété et exclut ainsi le relogement de ceux qui ne sont pas en mesure de faire la première mise de fonds.

L’insuffisance des mesures envisagées sur le plan social, éducatif, sur celui de la politique régionale et de la politique du logement, est certaine mais on peut soutenir que dans une société de consommation, il n’est pas possible de soustraire à la disposition des particuliers une part plus grande du profit national. La croissance des investissements collectifs dépasse celle des dépenses prévues des ménages – c’est là un signe certain de conscience sociale, car dans d’autres pays, les USA par exemple, elle ne l’atteint même pas. Soit. Mais en cas de récession ou de croissance ralentie pendant une période prolongée, le gouvernement, quel qu’il soit, ne sera-t-il pas tenté de réduire en premier lieu les dépenses collectives qui dépendent entièrement du pouvoir politique, avant de s’attaquer aux revenus des particuliers et de provoquer des réactions sociales immédiates ?

Les victimes du progrès

Admettons néanmoins que le développement économique, à l’échelle des prochains vingt ans, soit satisfaisant comme il l’a été pendant les vingt ans révolus.

Admettons que la politique sociale, la politique du logement, la politique de migration des travailleurs donnent des résultats, sinon entièrement satisfaisants, du moins suffisants pour empêcher la sous–prolétarisation massive qui résulterait d’un échec du Plan.

Il reste que la réussite même des grands projets nationaux, que le progrès économique, que la mécanisation et l’automation de l’industrie et de l’agriculture, risquent de produire des échecs sociaux, des inadaptations nouvelles. Le coût du progrès en souffrances humaines ne peut probablement pas être entièrement évité mais le poids des déséquilibres et des misères provoqués par l’évolution peut-être allégé et mieux réparti sur la communauté nationale.

Lorsqu’il s’agit des vieillards, des malades, le problème est entièrement de politique sociale. On hésite à qualifier de « sacrifice » le prix payé par chaque travailleur pour assurer une vie décente à des catégories humaines auxquelles il risque d’appartenir lui-même un jour : c’est d’assurances sociales qu’il s’agit en réalité, que le financement soit opéré par des contributions salariales ou par le budget de l’Etat.

La réintégration sociale des marginaux, des « para sociaux » (forains etc.), des isolés et déviants divers s’inscrit dans une autre perspective du devenir commun. Ce sont des individus et des groupes qui se heurtent en général à l’hostilité, au mieux à l’indifférence des milieux qu’ils approchent.

Faire admettre aux membres « normaux », intégrés de la société que le sort des pauvres (appelons-les ainsi dès aujourd’hui car dans quelques années ce terme, utilisé couramment en Amérique, sera adopté pour cette seule raison en Europe) menace chacun d’entre eux, ou du moins ses enfants, ne sera pas chose facile. Pourtant, les 500 000 à 600 000 débiles mentaux sont nés dans tous les milieux et beaucoup d’entre eux végètent dans la misère10. Et demain, des échecs scolaires, professionnels, des maladies relativement bénignes peuvent rejeter dans la marge n’importe quel membre de la société. Et dans cinq ou dix ans, des techniques nouvelles peuvent défavoriser n’importe quelle qualification professionnelle et faire d’un spécialiste un manœuvre ou un camelot. Et longtemps avant le terme prévu par les Réflexions, dès aujourd’hui, tout ouvrier, tout employé, tout cadre ayant perdu son emploi au cours d’une de ces récessions modérées semblable à celle dont nous sortons à peine11, ou du fait de la crise d’une industrie déterminée, par exemple la construction navale, risque de vivre de longs mois dans les conditions les plus précaires ; si son âge dépasse une limite qui, selon les métiers et les qualifications, se situe entre 40 et 50 ans, il risque tout bonnement de devenir un déchet social, un marginal, un inadapté.

Au sujet de l’exclusion qui frappe les travailleurs et cadres dits âgés, le prétexte invoqué est leur inadaptation aux techniques nouvelles. Les auteurs des Réflexions pour 1985 prennent ce prétexte à la lettre et considèrent le recyclage permanent comme une solution appropriée du problème (p. 102). Sans méconnaître l’utilité du recyclage permanent, nous sommes convaincus que l’ostracisme qui frappe des travailleurs et cadres souvent parfaitement adaptés aux exigences du travail ne s’explique ni par le vieillissement de leurs connaissances professionnelles ni par la précarité de leur santé – autre prétexte invoqué quelquefois – mais par un état d’esprit qui pousse la notion de concurrence dans le travail à des conséquences absurdes, par une conception inadéquate du commandement par une sorte de culte de la jeunesse. Nous pensons qu’un auteur qui considère les « cades âgés », comme des « inadaptés sociologiques12 » voit plus juste que les auteurs des Réflexions. « Inadaptés sociologiques », cela veut dire des gens qui sont plus difficile à manier que des collaborateurs plus jeunes, surtout si leur compétence et leur expérience risquent de leur conférer une certaine supériorité sur des chefs ou des collègues moins âgés.

Le problème des travailleurs désadaptés n’est pas le même que celui des inadaptés héréditaires. La structure des familles, le niveau des aspirations, l’aptitude à une vie sociale normale, le seuil de tolérance face aux effets de la déchéance diffèrent entre ces deux catégories.

Un problème soluble

Néanmoins, les solutions aux problèmes des uns et des autres pourraient être communes ou du moins résulter d’un même effort collectif d’intégration des marginaux anciens ou nouveaux dans le circuit socio-économique.

Elles sont de deux ordres.

Un premier type de solution est si simple que l’on désespère de le voir appliqué dans un pays où l’on aime les pensées profondes présentées dans un bel effet de rhétorique. Il a été appliqué avec succès à Berlin–Ouest. Qu’il nous soit permis de répéter ici ce qui nous a été dit à ce sujet par le bourgmestre d’un des douze districts de la ville.

« Lorsque le chômage avait entièrement disparu en Allemagne occidentale, nous nous sommes aperçus qu’ici, à Berlin, il restait un certain nombre de sans–travail. C’était intolérable. Nous avons donc entrepris une action à laquelle les administrations publiques et les entreprises privées ont participé. En peu de temps, tous les chômeurs qui cherchaient du travail étaient casés. Il y avait surtout des hommes et des femmes de plus de 45 ans ou même de 50 ans. Dans mes services, j’en ai accueilli un certain nombre. La plupart se sont avérés parfaitement compétents et sont aujourd’hui des piliers de mon administration. Il y avait quelques dactylos âgées, un peu lentes, mais intelligentes et consciencieuses. Ceci compense cela. Et puis, il vaut mieux avoir des dactylos un peu lentes que d’avoir des chômeuses ».

Un autre type d’action en faveur des exclus socio-professionnels consiste, non dans la répartition des travailleurs excédentaires sur les emplois non occupés, mais dans la création d’emplois appropriés.

La loi américaine de lutte contre la pauvreté (Economic Opportunity Act) s’oriente dans cette direction. Pour les pauvres héréditaires qui ne possèdent aucune compétence professionnelle et qui souvent n’ont pas acquis les comportements et réflexes sociaux nécessaires à l’intégration dans une équipe de travail, il est indispensable de créer des débouchés nouveaux. Il s’agit en général de travaux permettant aux jeunes inadaptés d’acquérir sur le chantier une véritable spécialisation professionnelle.

Peut-être faut-il prévoir des travaux ne nécessitant aucune compétence, accessibles aux marginaux d’âge plus avancé qui sont souvent incapables d’apprendre un métier. Gunnar Myrdal insiste sur la nécessité de travaux publics faisant appel à une main-d’œuvre non qualifiée afin de permettre une rapide résorption du chômage parmi ceux qu’une misère prolongée ou l’effet du « cercle vicieux » a rendu inaptes à toute spécialisation.

Dans le cadre de ces chantiers, les victimes du progrès technique (à l’exclusion, bien entendu, des malades, des infirmes, des vieillards qui relèvent de l’aide de la communauté) pourraient être intégrées, selon leurs compétences, comme travailleurs ou comme cadres techniques administratifs.

En dehors des chantiers et groupements prévus dans la loi américaine, on pourrait concevoir des débouchés pour les marginaux comme pour les exclus tardifs dans le secteur tertiaire. Le besoin dans ce domaine est inépuisable et augmente avec le progrès technique. Toutes les qualifications, toutes les compétences, toutes les bonnes volontés peuvent s’employer dans ce secteur qui va du travail domestique et du petit commerce marginal aux fonctions de direction et de conception, en passant par les travaux d’entretien et les petites réparations.

L’imagination des psychotechniciens, des spécialistes de l’organisation du travail, des sociologues, et celle de tous les gens qui ont quelque expérience de la vie et du travail pourra s’exercer utilement à imaginer des débouchés nouveaux. Nous nous contentons ici d’avoir indiqué un problème et une voie dans laquelle des solutions peuvent être cherchées.

Un vaste domaine s’ouvre ainsi aux inadaptés de toutes catégories, aux victimes passagères ou définitives du progrès, aux malades rétablis, à certains infirmes, même aux personnes âgées désireuses et capables d’accomplir un travail utile et d’augmenter leurs revenus insuffisants.

En terminant sur des propositions concrètes et parfaitement réalisables avec un effort collectif d’innovation et de volonté, nous espérons avoir surmonté le pessimisme qui nous inspire, qu’inspire à d’autres aussi, une réflexion sur l’avenir à long terme. Nous ne partageons pas la croyance des économistes optimistes – tel M. Fourrastié – dans l’effet automatiquement bienfaisant du progrès. Avec Galbraith, Myrdal, peut-être quelques-uns des auteurs des Réflexions, nous estimons que seul un effort réfléchi, conscient, accepté par la société avec toutes les conséquences financières et autres qui en découlent peut assurer une réduction du coût humain du développement technique et économique et en même temps la résorption de la pauvreté héréditaire, elle-même résultant du coût humain des progrès passés.

Encore faut–il que cet effort s’accompagne d’une expansion régulière, que les gouvernements ne s’accommodent pas trop facilement des récessions temporaires génératrices de déséquilibres et de désadaptations souvent définitives.

En exprimant des appréhensions, nous ne pensons pas avoir versé dans un pessimisme réactionnaire.

Les problèmes que nous avons signalés et que le Plan ne prend pas, ou pas suffisamment, en considération sont sérieux. Mais il existe des solutions.

1 The affluent society, New York 1958 ( en français : L'ère de l'opulence, Calmann-Lévy, Paris 1962).

2 Gunnar Myrdal : Chalenge to Affluence, Londres 1962. Nous avons sommairement résumé les principales analyses de ce livre dans notre ouvrage ( Jules

3 Ce programme est développé avec une extrême minutie dans Progress or Poverty de Leon H. Keyserling (Conférence on Economic Progress, Washington 1964

1 Michael Harrington, The other America, Poverty in the United States, New York 1963.

5 En français : Les enfants de Sanchez, Paris 1963.

6 Une étude sur les familles du « Camp des Sans-Logis » de Noisy-le-Grand par Jean Labbens, « La condition sous-prolétarienne » vient d’être éditée

7 Esprit leur consacrera la plus grande partie de son numéro spécial « Les étrangers en France », à paraître au début d’avril 1966 (NDLR)

8 Cette brochure, éditée par la Documentation française (16 rue Lord Byron, Paris VIII) reprend l’essentiel des travaux du « Groupe 85 » constitué à

9 Rapport sur les principales options qui commandent la préparation du Vème plan (Journal Officiel de la République française, Lois et décrets

1 0 Cf. le récent numéro spécial d’Esprit « L’enfance handicapée »( novembre 1965).

1 1 C’est bien l’endroit de citer Robert Marjolin, vice-président de la Commission de la CEE qui, à un colloque tenu à Rome en 1962 (« La

1 2 A. Sarton : Le marché du travail, Paris 1963.

1 The affluent society, New York 1958 ( en français : L'ère de l'opulence, Calmann-Lévy, Paris 1962).

2 Gunnar Myrdal : Chalenge to Affluence, Londres 1962. Nous avons sommairement résumé les principales analyses de ce livre dans notre ouvrage ( Jules Klanfer : L’exclusion sociale. Etude de la marginalité dans les sociétés occidentales. Bureau de Recherches sociales, Paris 1965).

3 Ce programme est développé avec une extrême minutie dans Progress or Poverty de Leon H. Keyserling (Conférence on Economic Progress, Washington 1964).

1 Michael Harrington, The other America, Poverty in the United States, New York 1963.

5 En français : Les enfants de Sanchez, Paris 1963.

6 Une étude sur les familles du « Camp des Sans-Logis » de Noisy-le-Grand par Jean Labbens, « La condition sous-prolétarienne » vient d’être éditée par le Bureau de Recherches sociales. Quelques indications sur les structures sociales de cette population ont été présentées par M. Labbens lors du Colloque sur les Familles inadaptées qui s’est tenu en février 1964 à Paris, sous l’égide de la Commission française de l’UNESCO. Cf. à ce sujet notre ouvrage, L’exclusion sociale, mentionné plus haut. Un exposé vivant du camp de Noisy et de l’action exercée dans ce camp par l’Association « Aide à toute détresse » par Ménie Grégoire a été publié par Esprit, 11/1964.

7 Esprit leur consacrera la plus grande partie de son numéro spécial « Les étrangers en France », à paraître au début d’avril 1966 (NDLR)

8 Cette brochure, éditée par la Documentation française (16 rue Lord Byron, Paris VIII) reprend l’essentiel des travaux du « Groupe 85 » constitué à la fin de 1962 pour éclairer les orientations générales du Vème plan.

9 Rapport sur les principales options qui commandent la préparation du Vème plan (Journal Officiel de la République française, Lois et décrets, 23-12-1964).

1 0 Cf. le récent numéro spécial d’Esprit « L’enfance handicapée »( novembre 1965).

1 1 C’est bien l’endroit de citer Robert Marjolin, vice-président de la Commission de la CEE qui, à un colloque tenu à Rome en 1962 (« La Programmation économique dans les pays de la CEE », Rome 1963, p.92) a déclaré ce qui suit : « Dans le passé, le développement économique s’est opéré dans une succession de booms et de récessions. Il est parfaitement clair qu’un tel mouvement n’est plus acceptable pour la conscience moderne. Ici, je m’adresse à tous les gouvernements et leur demande s’ils pensent qu’il leur serait politiquement possible de tolérer une récession économique qui pourrait durer, comme autrefois, un an, deux ans, trois ans ou même s’ils pourraient accepter un arrêt d’expansion quelque peu prolongé. La réponse est catégorique : non. »

1 2 A. Sarton : Le marché du travail, Paris 1963.

Jules Klanfer

Jules Klanfer a été un ami du père joseph Wresinski, avec qui il a collaboré au camp des sans-logis de Noisy-le-Grand. Son livre L’exclusion sociale. Etude de la marginalité dans les sociétés occidentales a été publié en 1965 (Bureau de Recherches sociales, créé par le père Joseph Wresinski et Mme Alwine de Vos van Steenwijk).

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