Les enfants, acteurs de leurs droits

Ben Fehsenfeld

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Ben Fehsenfeld, « Les enfants, acteurs de leurs droits », Revue Quart Monde [En ligne], 209 | 2009/1, mis en ligne le 01 mars 2010, consulté le 24 avril 2024. URL : https://www.revue-quartmonde.org/3118

A travers l’action et les campagnes menées par le mouvement Tapori, l’auteur évoque les engagements concrets des enfants partout dans le monde pour refuser l’exclusion et inscrire dans les faits leur intérêt pour les droits de tous les enfants. Tapori met en valeur ces gestes qui interrogent les adultes.

« Qui peut changer le monde sans moi ? » nous interpelle Julien, un garçon de Haïti.

Nassuhati, une fille de France, répond : « Personne ne peut changer le monde sans lui ». L’interpellation entre ces deux enfants nous fait prendre conscience que les enfants ont envie de jouer un rôle dans la société.

Les États signataires de la Convention relative aux droits de l’enfant sont les garants de ces droits, mais les enfants aussi sont concernés par leur application et sont parfois les premiers à les mettre en pratique. Ils n’attendent pas seulement d’en être les bénéficiaires.

L’article 12 de la Convention explique : « Les États parties garantissent à l’enfant qui est capable de discernement le droit d’exprimer librement son opinion sur toute question l’intéressant, les opinions de l’enfant étant dûment prises en considération eu égard à son âge et à son degré de maturité ». Anne, en France, l’exprime autrement : « Tapori1, ça sert à s’ouvrir aux autres enfants de son pays ou d’ailleurs. C’est comprendre des choses qui nous concernent autant que les adultes ». Cette question des droits de l’enfant intéresse tout le monde, y compris les enfants.

Les enfants passent souvent plus de temps entre eux, dans le quartier, à l’école, entre frères et sœurs, qu’avec des adultes. Quand les droits de l’un d’eux ne sont pas respectés, ils sont les premiers à en avoir conscience. Qu’on le reconnaisse ou pas, au quotidien beaucoup d’enfants sont des acteurs de leurs droits. Pourtant, notre langage sur l’enfant est rempli de conditions et d’équivoques. Nul ne nierait que des enfants ont besoin d’une protection spéciale, mais savons-nous mettre en valeur la grandeur de leurs mots et de leurs gestes, leur courage et leur franchise ?

Les enfants relaient les efforts des Etats

L’article 19 de la Convention dit : « Les États parties prennent toutes les mesures législatives, administratives, sociales et éducatives appropriées pour protéger l’enfant contre toute forme de violence ... » Les États prennent des mesures, mais n’atteignent pas tous les enfants. Les enfants prennent des mesures eux aussi.

Naiema, une fille d’Amérique du Nord connue par le Mouvement ATD Quart Monde, va très loin pour soutenir son amie Melissa, touchée au quotidien par la violence : « Un jour je marchais avec Melissa quand d’autres ont commencé à la bousculer. Je leur ai dit d’arrêter et j’ai expliqué qu’on ne doit pas la bousculer, juste parce qu’elle ne sait pas bien se coiffer. C’est très dur dans le quartier de Melissa. Les gens se tirent dessus. Des enfants ont peur de sortir ou d’aller au magasin... Un enfant qui vit dans un tel quartier a toujours peur. J’ai peur aussi quand je vais rendre visite à Melissa. Mais c’est important d’aller la voir. Parfois on se coiffe l’une l’autre. Je veux arrêter la violence et, plus important, assurer qu’il n’y ait plus d’armes vendues. Les enfants veulent vivre en paix. »

L’article 31 de la Convention garantit aux enfants le droit « au repos et aux loisirs ». La violence dans le quartier de Melissa l’empêche de jouir de ce droit, qui n’est pas respecté quand les conditions de vie sont si dangereuses que l’enfant ne peut sortir de chez lui. Naiema ne se rend pas dans son quartier avec l’idée de défendre les droits de Melissa, mais par amitié et avec le sentiment que ce qui arrive à son amie n’est pas juste. En même temps, elle soutient le droit de Melissa à la libre association, ce qui brise un peu l’isolement dû à la violence dans son quartier. Des enfants font preuve de beaucoup de courage dans leur soutien à d’autres. Pour Naiema, la violence dans laquelle vit son amie est une question difficile, mais qui l’intéresse.

Inscrire Ephrem à l’école

Ephrem, un garçon de la République Démocratique du Congo, se trouvait en situation de non-droit, sans accès au système d’éducation, faute de moyens financiers de sa famille pour payer les frais scolaires. Il regardait ses amis partir à l’école chaque jour, sachant qu’il n’y avait pas accès. Les amis de son groupe Tapori, « les Enfants étoiles », soutenus par des adultes animateurs, étaient habitués à discuter entre eux des situations qu’ils trouvaient injustes. Face à la situation d’Ephrem, ils ont décidé qu’ils ne pouvaient plus le laisser derrière eux en prenant le chemin de l’école. Ils ont gagné chacun un peu d’argent en faisant des petits boulots ou en demandant à leurs parents. Ils ont réuni l’argent pour payer l’inscription d’Ephrem à l’école. Ensuite, comme il y avait plus de candidats que de places disponibles, un animateur du groupe et la mère d’Ephrem ont dormi toute une nuit dans une file d’attente devant l’école pour être sûrs qu’Ephrem soit inscrit.

Quand Ephrem a commencé l’école, il était plus grand que tous les autres et en retard sur leur niveau. Ses amis se sont organisés pour l’aider dans ses devoirs. Le droit d’Ephrem à l’éducation n’aurait pas été effectif s’il était arrivé à l’école dans une situation où il n’avait pas de chances de réussir. Ses amis ont aidé à rendre ce droit effectif. Ils n’ont pas réagi parce qu’ils ont identifié quels droits d’Ephrem n’étaient pas respectés, mais grâce à leur sens inné de la justice. L’injustice de l’exclusion de leur ami de l’école était une question qui les intéressait.

Naiema agit seule, tandis que les « Enfants étoiles » agissent ensemble dans leur groupe Tapori. Souvent nous voyons que des enfants posent des gestes d’amitié et de solidarité tout seuls. Quand ils peuvent en parler avec d’autres et inviter d’autres à les rejoindre, cela leur donne de la force pour continuer ces gestes, qui peuvent même devenir des projets communs. Les questions d’éducation, de violence, de liberté d’association intéressent les enfants autant que les adultes. Si nous voulons que les droits de l’enfant soient effectifs, nous devons nous laisser interpeller par des gestes d’enfants et soutenir leurs efforts pour bâtir un monde où chaque enfant peut avoir une éducation et vivre libre de toute violence.

Des « dazibaos » pour échanger

En 2009, pour marquer le vingtième anniversaire de la Convention relative aux droits de l’enfant, Tapori veut permettre aux enfants de bâtir ce monde qu’ils veulent ensemble. Nous avons lancé une campagne de rencontres avec le slogan : « C’est en se rencontrant qu’on bâtit le monde » (un papa du Burkina Faso). Cette phrase souligne deux questions essentielles : « Comment les enfants peuvent-ils se rencontrer tous, même les plus exclus ? » et « Quel est le monde que les enfants veulent bâtir ? »

Nous avons invité les enfants à réaliser des dazibaos, des affiches collectives où chacun peut ajouter un dessin ou un message. « Dazibao » est un mot qui vient de Chine et originalement il désignait des panneaux publics, où chacun pouvait inscrire ce qu’il voulait dire à tout le monde et répondre à d’autres.

Nous avons posé aux enfants des questions sur leur rencontre avec d’autres pour stimuler leur expression sous forme de dazibaos. Pour que des enfants de différents milieux, cultures ou langues, puissent dialoguer et construire de l’amitié, ils ont besoin d’expériences ou d’idées en commun. Les dazibaos ou d’autres formes d’expression visent à encourager les enfants à partager le meilleur d’eux-mêmes. Il s’agit de créer ensemble dans le but de se rencontrer et d’échanger dans des conditions d’égalité.

D’abord les enfants expriment leur vision du monde, tel qu’il est et tel qu’ils le rêvent. Dans le cadre des dazibaos, nous avons posé la question : « Comment faites-vous pour aller à la rencontre de ceux qui ne peuvent pas être présents ? ».

Chloé et Pascal, enfants de l’Ile Maurice, répondent : « Des enfants ne peuvent pas participer [au groupe Tapori] à cause des problèmes dans la famille. Quand les parents sont séparés, il faudrait aller voir le parent avec qui l’enfant habite. Il faut lui dire que nous sommes dans un groupe, que nous apprenons beaucoup de choses, que nous écoutons des histoires vraies, que nous avons beaucoup d’amis et que nous jouons ensemble. Quand il y a des problèmes dans la famille, les enfants sont traumatisés. Si l’enfant vient dans le groupe lorsque les autres amis lui parlent, cela l’aidera à parler lui aussi. »

Juan Francisco, du Pérou, écrit : « Tous les enfants qui n’ont pas de mère souffrent ; ces enfants ne marchent pas droit, ils ont besoin d’amour et de respect ». Tapori offre à ces enfants un espace où exprimer leurs efforts pour faire en sorte que tous les enfants aient les mêmes chances. Quand nous encourageons les enfants dans ces efforts, ils encouragent à leur tour la participation des plus exclus.

Identifier des problèmes et imaginer le monde qu’ils veulent le voir est un premier pas essentiel pour les enfants. Ils ne se contentent pas seulement de dire comment ils veulent que le monde soit ; ils contribuent, seuls ou ensemble, à bâtir les changements souhaités.

Des vidéos et des rencontres

Le deuxième temps de la campagne sera des rencontres physiques et par vidéo. Nous invitons les enfants à montrer à travers des courts métrages comment ils agissent dans leur quartier, leur école ou leur groupe Tapori. Nous soutiendrons les groupes au niveau technique pour que tous ceux qui le veulent puissent participer. Ainsi des enfants d’un pays peuvent être inspirés par les actions d’enfants d’ailleurs. Ils découvriront qu’ils ont des désirs communs : vivre en paix, habiter des quartiers propres, qu’aucun enfant ne soit exclu. Des enfants d’un groupe Tapori en Suisse montrent dans une vidéo comment ils font quand un enfant est seul à la récréation. Dans une autre vidéo, on voit des enfants d’un groupe Tapori de la République Démocratique du Congo nettoyer leur quartier pour le rendre propre et sain.

Kasia aborde une préoccupation partagée par beaucoup d’enfants d’Irlande : « Mon souhait est que personne ne soit harcelé à l’école ». Pendant l’été 2008, un groupe de quatre enfants d’un quartier défavorisé de Dublin part en Pologne pour une rencontre sportive. Ils font la connaissance d’enfants polonais, français, suisses, hongrois, allemands, et ukrainiens. Ils jouent, chantent et apprennent à communiquer par mime, par sourire. À leur retour à Dublin, Linda, une animatrice du groupe, constate : « Voir toutes ces cultures différentes les a ouverts à d’autres. Une des filles qui participe à mon projet est rentrée complètement changée. Maintenant elle a plus de temps pour les plus petits. Elle sait à présent que tout le monde est différent et qu’elle peut s’amuser en aidant d’autres, plus qu’en les harcelant ou en se moquant d’eux. Ses parents ont vu ce changement aussi. Chaque petit changement est important. »

S’allier aux enfants

Quand nous préparons sérieusement des rencontres entre enfants, ils peuvent se rendre compte de l’importance de leurs engagements. Parfois, les adultes « éduquent » les enfants aux droits de l’enfant. Une telle éducation reste souvent abstraite et dans ce modèle, les droits de l’enfant semblent ne concerner que des enfants « d’ailleurs ». En posant des questions aux enfants sur leur vie et sur ceux qui sont exclus autour d’eux, en partageant les gestes des uns et des autres, en leur permettant de se rencontrer pour bâtir le monde qu’ils veulent, nous leur montrons que les droits de l’enfant intéressent tout le monde. Ainsi ils peuvent vivre les droits de l’enfant au lieu de les apprendre dans l’abstrait seulement.

Si la question des droits de l’enfant doit intéresser tout le monde, tout le monde peut agir pour les défendre. Les rencontres sont un véhicule pour permettre aux enfants de bâtir un monde où les droits de tous soient respectés. Elles doivent aussi être un appel aux adultes, aux politiciens, aux diplomates, jusqu’au Secrétaire général des Nations Unies à s’allier aux enfants, pour faire valoir les droits de tous.

1 Tapori est un courant d'amitié mondial entre enfants de tous milieux. Il est créé et animé par ATD Quart Monde. Dans Tapori, des enfants se mettent

1 Tapori est un courant d'amitié mondial entre enfants de tous milieux. Il est créé et animé par ATD Quart Monde. Dans Tapori, des enfants se mettent ensemble pour lire la Lettre de Tapori, découvrir la vie et les actions de solidarité d'autres enfants qui vivent ou luttent contre la misère. Ils créent de nouvelles façons d'accueillir les enfants les plus exclus et d'apprendre d'eux.

Ben Fehsenfeld

Ben Fehsenfeld est volontaire permanent d’ATD Quart Monde, à Genève depuis quatre ans et responsable de Tapori International. Auparavant il a été enseignant d’anglais comme langue étrangère dans un collège public à New York (USA).

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