La communauté crée l’accès au droit

Guillaume Charvon

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Guillaume Charvon, « La communauté crée l’accès au droit », Revue Quart Monde [Online], 211 | 2009/3, Online since , connection on 18 April 2024. URL : https://www.revue-quartmonde.org/3451

Au Burkina Faso, comme dans d’autres pays, la personne hospitalisée est dépendante de sa famille pour sa nourriture, son hygiène et son accompagnement. L’auteur explique comment, en rétablissant le lien familial pour un jeune, il lui a ouvert le droit à la santé.

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Burkina Faso

Il y a quelques semaines, j’étais avec Yacouba, volontaire burkinabé, dans une concession, dans un village de brousse près de Koupéla, au centre-est du Burkina Faso. Nous accompagnions un jeune, Désiré.

Ce n’est pas la première fois que des membres de l’équipe de la Cour aux Cent Métiers se rendent chez lui. Depuis sa rencontre dans les rues de Ouagadougou, la nuit, là où il rejoignait ses amis pour dormir jusqu’aux ateliers de découverte d’un métier à la Cour et à un soutien matériel lui permettant, avec l’aide de sa famille, de s’installer comme menuisier dans sa ville natale, le chemin avait été long… plusieurs années.

Comment guérir dans la rue ?

Au mois d’août dernier, Désiré réapparaît à la Cour. Son pied, terriblement enflé, a une plaie qui ne guérit pas depuis plusieurs mois. De nouveau, il vit dans la rue.

D’août à octobre, il passe nous voir plusieurs fois par semaine en nous faisant constater que l’état de son pied se dégrade, qu’il a besoin de notre soutien matériel pour être soigné. Il insiste sur l’urgence de la situation et la peur de perdre sa jambe. Nous maintenons que si sa santé est une priorité pour nous, nous savons aussi qu’il ne peut pas guérir dans la rue.

A chaque visite, nous reprenons notre conversation. Et chaque fois, j’ai dans le cœur cette question insidieuse : « Et si ce jeune perd son pied, comment vais-je vivre le fait de n’avoir pas agi ? » Le repère était clair : nous ne pouvions avancer avec Désiré sans au moins comprendre et soutenir ce que sa famille pouvait faire.

En octobre, nous sommes partis ensemble voir l’oncle de Désiré dans un village à environ cent cinquante kilomètres de Ouagadougou. Après avoir laissé Désiré à l’ombre d’un arbre à proximité du village, nous avons demandé à un enfant de nous conduire.

A notre arrivée, l’oncle de Désiré était assis par terre, en train de tisser une corde avec des herbes ramassées en brousse. Nous nous saluons. Nous lui expliquons qui nous sommes, pourquoi nous sommes venus. Il envoie des enfants chercher d’autres oncles avant de véritablement commencer la discussion et continue à tisser en silence. En le regardant faire ce beau travail, je me demande ce que signifie pour lui et sa famille le droit à la santé.

Une fois les deux oncles de Désiré présents, nous entamons la conversation. Ils nous expliquent l’histoire de Désiré et comment celui-ci avait contracté son mal dans un site aurifère où il était parti en vendant une partie de son matériel. Ils nous parlent des efforts faits par sa famille quand Désiré est revenu au village avec sa maladie. Nous leur disons partager leur préoccupation pour la santé de Désiré et vouloir, à notre mesure, les aider pour que Désiré guérisse et aide à son tour sa famille. L’oncle nous répond que cela ne relève plus de sa responsabilité mais de celle d’un autre oncle qui vit à Pouytenga, à une trentaine de kilomètres. L’un des oncles nous y accompagnera. En les quittant, nous leur disons que Désiré est à quelques centaines de mètres ; la femme qui l’a élevé insiste pour aller le saluer et nous allons tous ensemble vers Désiré, à travers les champs de petit mil.

Chez un oncle, Désiré reprend pied

A Pouytenga, l’oncle qui nous accueille, M. Jean, est commerçant. Il nous confie à son tour tous les efforts que lui aussi a faits pour la guérison de Désiré. Il a investi beaucoup d’argent pour permettre à Désiré de se soigner à l’hôpital de Koupéla durant des mois. Son neveu était presque guéri, il marchait sans canne quand il est reparti au village. Au village, sa plaie s’était à nouveau infectée. Il avait alors quitté sa famille pour venir solliciter notre aide à Ouagadougou.

Après une longue discussion, il se dit prêt à accueillir à nouveau son neveu. Désiré a l’air de bien s’entendre avec un jeune qui aide M. Jean dans son commerce. Yacouba et moi repartons confiants après avoir donné la promesse de revenir dans deux semaines et une petite somme d’argent pour aider la famille à faire face aux premiers frais de santé.

Lors de notre nouvelle visite, Désiré a une belle bande au pied. On sent que cela se passe bien.

Aujourd’hui, Désiré est toujours en famille et il marche sans canne.

La nécessité des petits gestes

Je n’avais pas oublié cette réflexion sur l’accès à la santé à laquelle m’avait provoqué le silence de ces mains en train de tisser une corde. Le chemin parcouru avec Désiré et sa famille me fait découvrir que le support de l’accès au droit est moins la condition matérielle - la présence d’un dispensaire, par exemple - que la condition humaine qui rend possible l’accès au droit - la présence de M. Jean au côté de son neveu, la préoccupation de l’ensemble des siens. Or, j’ai l’impression qu’au Burkina Faso, face au dénuement de la majorité de la population, l’approche matérielle est constamment mise en avant, valorisée, sans faire cas de ces gestes qui déterminent pourtant la possibilité de l’accès aux droits, et qui sont au cœur de la vie des populations. Car ici, le droit à la santé est profondément lié à une manière d’être ensemble, à un sens de la communauté et appartenir à cette communauté crée l’accès aux droits. A Ouagadougou sans sa famille, Désiré ne pouvait guérir malgré la présence d’un hôpital universitaire ; au village, avec le soutien et l’accompagnement des siens, il guérit. Nos actions, en contribuant à bâtir l’unité au sein d’une famille ou d’une communauté, en construisant patiemment une relation, « produisent » de l’accès aux droits.

La version PDF téléchargeable de cet article comprend 4 planches dessinées illustrant l'histoire d'Inoussa, enfant de la Cour aux cent métiers, réalisées par les enfants de l'ANERSER, l'Association nationale d'éducation et de réinsertion sociale des enfants de la rue à Ouagadougou.

Guillaume Charvon

Après avoir travaillé au centre international d’ATD Quart Monde, Guillaume Charvon et sa femme, volontaires de ce mouvement, sont engagés à Ouagadougou (Burkina Faso). Ils animent avec d’autres la Cour aux 100 métiers, créée en 1984 : un lieu où des enfants et des jeunes vivant dans la rue, des familles très pauvres, viennent reprendre espoir autour d’activités culturelles et d’ateliers d’initiation à certains métiers(cf. RQM n° 189, fév. 2004, La rue n’a pas d’enfants et La Cour aux 100 métiers, M. Aussédat, Éd. Quart Monde, 1996)

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