«Pour donner de l’espoir aux familles comme nous»

Marie-Christine Hendrickx

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Marie-Christine Hendrickx, « «Pour donner de l’espoir aux familles comme nous» », Revue Quart Monde [En ligne], 140 | 1991/3, mis en ligne le 05 février 1992, consulté le 29 mars 2024. URL : https://www.revue-quartmonde.org/3727

Intervention aux journées du Livre du Mouvement ATD Quart Monde 1991.

Index de mots-clés

Famille, Epistémologie

Pour mettre fin à la misère, les familles qui la subissent doivent être entendues et comprises. Leurs souffrances et leurs espoirs, leurs efforts de chaque jour pour ne pas se laisser détruire doivent être connus. Telle est la raison des Editions Quart Monde dont nombre de publications sont bâties autour de récits de vie écrits dans la tradition des monographies de famille.

Ces monographies sont de véritables travaux de recherche réalisés collectivement. Pour les Cahiers du Quart Monde, nous avons publié la monographie de la famille Thibaut. Comment cette famille a-t-elle été associée à cette démarche d’écriture ?

Nous avons connu cette famille en 1966 lorsque deux volontaires du Mouvement ATD Quart Monde sont venus habiter la cité d’Urgence de Stains, en Seine-Saint-Denis. La famille Thibaut vivait là parmi d’autres depuis neuf ans, dans un grand état d’abandon et de désespoir. Deux années après, M. et Mme Thibaut décédaient et le père Joseph Wresinski était alors intervenu pour que leurs enfants ne soient pas séparés par un placement. C’est vingt-deux ans plus tard, en 1989, que nous avons proposé à l’un des enfants, Carole, âgée de trente ans et mère de famille, de faire connaître par la publication ce que fut la vie de sa famille dans cette cité d’urgence.

A cette proposition, Carole a d’abord réagi par la peur : une peur inexprimée et inexprimable que nous pouvons à peine imaginer, une peur indéfinissable à notre intelligence mais qui est celle partagée par tous ceux de son milieu – « Qu’est-ce que les autres vont dire de nous ? … Qu’allait-t-on raconter de la vie de ses parents ? Comment allait-t-on comprendre ? » Pourtant, malgré sa peur, malgré la souffrance encore vivante de son passé, Carole a accepté notre proposition et elle a mené avec nous ce travail.

« J’ai accepté pour donner de l’espoir aux familles comme nous », dit-elle. Fondamentalement, elle et son mari refusent la misère qu’ils ont vécue et qu’ils vivent encore. Ils sont les premiers à vouloir que cela change, non seulement pour eux, mais pour tous ceux qui la subissent. Avec la rencontre du père Joseph, avec la rencontre du Mouvement, les choses ont commencé à bouger et ça il fallait aussi le dire. Enfin, à ceux qui ne connaissent pas la misère, « il fallait montrer le courage qu’il faut pour mener la vie qu’on mène » ajoute Carole.

Le sens de cette monographie, et d’autres, est donné par l’engagement d’une famille du Quart Monde lié à notre propre engagement. Depuis vingt-deux ans, des volontaires du Mouvement sont aux côtés de la famille de Carole dans une relation qui, prenant des formes variées selon les époques, demeure fondée sur l’amitié et une commune volonté de refuser la misère. C’est pour cela qu’en dépit de sa peur, Carole nous a accordé sa confiance et qu’elle s’est engagée avec nous dans ce projet.

En voulant faire connaître qui sont les familles très pauvres, nous les entraînons sur des chemins incertains et inconnus pour elles : les chemins du témoignage et de la prise de parole. Ce sont des chemins toujours douloureux et risqués mais que ces familles savent nécessaires pour que nous devenions toujours plus nombreux à refuser la misère. Lorsque nous croyons que ce but peut être servi par de tels écrits, nous leur demandons de s’y engager avec nous. Et à travers ces écrits, il faudra toujours que l’ensemble des personnes et des familles qui vivent dans la grande pauvreté puissent se reconnaître et dire comme Carole : « Ca se sent que ça vient de nos vies. »

Marie-Christine Hendrickx

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