Madame T… ne cessait de courir partout, de la Maison Quart Monde à la mairie, de la mairie au service social… D’ici à quelques jours, elle serait à la rue, avec ses deux enfants. L’urgence balayant tout, la fille aînée n’avait plus d’énergie pour chercher un stage et le cadet avait cessé d’aller à l’école. Ils se repliaient tous les trois dans la souffrance et la peur.

Madame T… se heurtait à des murs d’autant plus solides que chacun de ses interlocuteurs avait des raisons de ne pas l’entendre. Pendant dix-huit mois, son ancien propriétaire lui avait refusé d’encaisser son loyer : voulant vendre son immeuble libre d’occupants, il lui répétait chaque mois qu’elle devait chercher un autre logement. Elle en avait trouvé un, pour deux mois seulement, délai bien marqué par le propriétaire des lieux qu’il s’apprêtait à faire rénover. Mais cette location provisoire lui suffisait, puisque l’office HLM avait retenu sa candidature ! Et voilà qu’au bout de ces deux mois, l’office HLM ajournait le relogement : il reprochait à Madame T… une dette de loyer (ce loyer refusé) et à sa famille un comportement trop bruyant et négligé, selon les voisins, pauvres eux aussi.

Et moi, qui laisse si souvent faire et dire…

L’obstination de cette femme et celle de toutes les madame T… qui courent afin d’obtenir que leur famille ne soit pas dispersée, cette obstination me rappelle que je dois témoigner inlassablement. Témoigner pour créer des solidarités, car s’isoler dans ce combat, c’est le rendre stérile. Témoigner pour alimenter un courant d’opinion tel qu’il soit impossible à un élu du peuple d’admettre qu’une famille puisse être sans toit, sans droit, sans citoyenneté.