Les journalistes ont (ou devraient tous avoir) le droit à la liberté d’information. Mais me laissent-ils à moi, lectrice ou téléspectatrice, ce même droit lorsqu’ils sélectionnent les éléments d’information qu’ils me transmettent ? Le reportage consacré aux enfants des rues de Colombie, dans le cadre de l’émission télévisée « Envoyé spécial » le 22 mars dernier sur A2, m’a réasséné cette question avec une certaine violence.
Je ne connais la Colombie qu’à travers les journaux, la télévision, la radio. Je n’en connais que la drogue, les viols, les meurtres. Peut être n’existe-t-il pas en Colombie, comme c’est le cas ailleurs, des millions de personnes (familles, jeunes, enfants) qui bâtissent l’avenir de leur pays dans l’honneur et la dignité ? Je connais un couple colombien arrivé depuis quelques mois en France. Quelle peine de toujours voir leur pays représenté sous cet angle. Que penseraient les médias français, la population, si pour la télévision colombienne la France n’était que bavures policières, crimes racistes, sordides et mortelles querelles financières à Marseille ou à Lyon.
Je ne veux aucunement fermer les yeux sur les drames vécus par la Colombie, pas plus sur la haine, l'intolérance, l’exclusion qui s’élargissent en France. Mais quand me montre-t-on en Colombie des êtres humains qui veulent que cela change et qui s’y emploient pour bâtir un quotidien où l’avenir, l’espoir, la dignité ont droit de cité ? Oui, quand me montre-t-on le cœur d’un pays qui vit, construit et non uniquement celui qui meurt et détruit ? Dans l’émission citée, on me montre une enfant de six ou sept ans et on l’interroge pour moi, spectatrice, sur les viols qu’elle a subis. Comme je ne suis pas capable de deviner toute l’horreur qu’elle a vécue, on lui fait expliquer « comment le monsieur a fait pour... » Nous voilà « voyeurs. » Je n’accepterais pas que mes propres enfants répondent à de telles questions pour la télévision.
Mais ces enfants sont à la rue, donc sans parents et ils expliquent ainsi : « Je suis parti de chez moi, parce que mes parents me battaient. » Il est vrai que vu les délais pour effectuer un reportage, on n’a peut-être pas toujours le temps d’aller au cœur des choses. Car du cœur, il en faut beaucoup, comme il faut beaucoup de temps, de confiance mutuelle, de tact, de connaissance pour comprendre vraiment pourquoi des enfants ont quitté leurs parents et se retrouvent à la rue ! « Parce qu'ils me battaient », n'explique rien. C'est long, très long et beaucoup plus difficile de comprendre la honte des parents de ne pouvoir assumer l’avenir de leurs enfants et d’avoir l’angoisse du lendemain tellement vrillée au cœur et à la tête qu’elle ne laisse plus que la violence comme langage. Les mots ne peuvent plus sortir. Cela je le sais parce que des familles m’ont appris leur souffrance. La télévision n’en parle pas, pas plus qu’elle ne montre la vie de ces familles qui de par le monde se battent avec courage, dignité, honneur pour faire reculer la misère et reconnaître leur droit de vivre en famille. A moins que l’on ait voulu me faire penser que les familles colombiennes étaient tellement indignes d’élever leurs enfants que l’adoption internationale est une bonne politique !
Alors, oui, moi aussi je demande le droit à une véritable information qui me donne tous les éléments pour exercer mon propre jugement. Connaître les graves problèmes que traversent un pays, une société, ses habitants, ses amis, oui, si l’on me donne aussi les éléments de réponses qu’essaient d’y apporter ce pays, ses habitants. Et je rêve du jour où les médias mettront autant d’énergie à promouvoir les efforts, la participation de tous les citoyens, qu’à dénoncer les erreurs. Et je rêve aussi de ce jour, où moi téléspectatrice, lectrice, je saurai réagir et dire aux médias ce qu’ils peuvent, après tout, simplement ignorer, ou les féliciter de la qualité de ce qu’ils sont transmis. Le droit à l’information, c’est aussi mon affaire.