Une grève de terrassiers

Jérôme Nenert et Bernadette Boillon

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Jérôme Nenert et Bernadette Boillon, « Une grève de terrassiers », Revue Quart Monde [En ligne], 135 | 1990/2, mis en ligne le 01 décembre 1990, consulté le 19 avril 2024. URL : https://www.revue-quartmonde.org/3867

D’après les lettres de Jérôme Nenert et de Bernadette Boillon

A Besançon, sur le chantier du futur parking de la mairie, une trentaine de terrassiers ont déposé leurs outils. Ils font grève pour « défendre leur dignité et le respect de la personne. » C’était le 17 avril dernier. Une grève inhabituelle.

A l’origine du chantier, une volonté commune de réinsertion : des personnes privées d’emploi depuis longtemps et vivant dans la précarité ont été volontaires pour travailler dans le cadre d’une convention de stage avec l’Agence pour l’Emploi, l’Association pour la formation professionnelle des adultes et une entreprise intermédiaire locale. Ces travailleurs doivent fouiller le sous-sol aux côtés d’archéologues à la recherche du passé gallo-romain et moyenâgeux de la capitale comtoise. Un chantier pilote dont la réussite fait la fierté de tous les partenaires. Jusqu’au jour où paraît un article dans le bulletin municipal. Cet article mettait en valeur le rôle de la ville et de l’administration dans cette expérience de réinsertion sociale. Mais la description de cette « action innovante » dérapa sur un portrait des terrassiers blessant leur dignité. Comme le passé surgi des mains des archéologues, celui que l’on croyait révolu sortit de la plume du rédacteur pour esquisser une image pitoyable du pauvre. Les terrassiers expliquèrent leur grève sur FR3 Franche-Comté : « Un article nous présente en termes très négatifs et nous ne nous reconnaissons pas dans cette présentation de stagiaires… Nous sommes des personnes sans ressources qui voulons nous insérer dans le travail et vivre comme tout le monde… » Les responsables municipaux ont reconnu l’offense et accepté que les terrassiers usent de leur droit de réponse dans le prochain numéro du mensuel.

Toute action, si bien programmée soit-elle, risque de dévier de sa finalité si les plus pauvres y demeurent privés de parole. Merci aux terrassiers de Besançon de nous l’avoir rappelé. Les plus pauvres ne sont jamais objets mais sujets et partenaires d’un projet.

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