Un chiffre
Une première série d’articles a suivi la conférence de presse donnée par le Père Wresinski le 9 février 1987.
À peu près tous ont mis en avant le chiffre de 2 500 000 pauvres. Certes il était utile de montrer ainsi l’étendue de la misère, mais on peut regretter que la nature de cette misère ait été moins explicitée et que peu d’articles aient montré que derrière les chiffres il s’agissait de familles, de toute une population.
Dans beaucoup d’articles on retrouve les notions d’urgence, de mobilisation du corps social, d’instance nationale pour assurer une action globale programmée et évaluée, d’expérience dans dix départements, de la misère comme déni des Droits de l’Homme. Beaucoup moins ont souligné l’originalité et la vigueur de l’interpellation du rapport, la nécessité d’en finir avec l’assistance pour arriver au plus vite à une véritable loi d’orientation.
À la suite de la lecture de cette première série d’articles on risque de conclure qu’après deux ans d’étude, le Conseil économique et social ayant déterminé les ajustements économiques propres à soulager des individus hors normes, les problèmes de ceux-ci seraient résolus. On risque de ne pas s’apercevoir qu’il ne s’agit pas de cas mais d’êtres humains avec leur histoire, leur famille, leur environnement et leurs aspirations, et que de simples mesures économiques ont peu de chances d’être efficaces sans l’engagement des personnes.
Des études plus approfondies du rapport
Une deuxième série d’articles a suivi l’adoption du rapport par le Conseil économique et social.
Si certains n’en donnent qu’un résumé très court ou d’autres sont semblables à ceux de la première série, près d’une moitié en approfondissent l’un ou l’autre ou plusieurs de ses chapitres.
Dans ces études plus approfondies, on peut découvrir ce qu’est la vie des plus pauvres, en quoi il y a atteinte aux Droits de l’Homme, ce que le mouvement et d’autres réalisent déjà et qui pourrait servir au démarrage des départements-pilotes, ce qu’amèneraient pour les familles les mesures préconisées par le rapport. On y trouve également un appel à une action en profondeur par opposition aux secours ponctuels et pour que les familles puissent retrouver leur dignité.
En s’interrogeant sur les motivations des auteurs de ces études, on peut penser qu’ils les ont écrites, suivant leur sensibilité.
Par un souci d’humanisme, proche des options de base du mouvement, par une approche religieuse qui appelle à aimer tout homme et en priorité le plus pauvre, par une approbation des actions du mouvement ou d’actions similaires, par le regret de constater les carences d’une société évoluée.
Il serait intéressant de pouvoir faire aboutir de telles recherches jusqu’à ce qu’elles réclament plus explicitement la nécessité d’un changement urgent et profond de la mentalité sociale de tous les citoyens, afin qu’ils rejoignent les familles du Quart Monde dans leur désir de ne pas voir leurs enfants subir ce qu’elles ont vécu.
Une volonté de concrétiser
Une troisième série d’articles a suivi la présentation du rapport aux autorités par le Père Joseph.
Dans l’ensemble on y trouve peu d’analyses du rapport mais plutôt un compte rendu des démarches à l’Élysée et à Matignon ou alors de ce qui se fait déjà dans le sens du rapport ici et ailleurs pour lutter contre la pauvreté. Quelques articles insistent sur les atteintes aux Droits de l’Homme et certains sur les atteintes à la démocratie.
Il semblerait d’après cette troisième série d’articles qu’il y ait une volonté générale de concrétiser les recommandations du rapport. Naturellement celle du Père Joseph et des volontaires ressort tout spécialement. Le Président de la République a affirmé la sienne mais en termes généraux ; le Premier Ministre a déclaré avoir donné à M. Zeller des instructions pour la mise en route des départements-pilotes. Plusieurs organismes officiels régionaux sont prêts à entreprendre la lutte contre la pauvreté.
Toutefois la presse a trop peu souligné que la volonté première, autour de laquelle le reste doit s’articuler, est celle des familles du Quart Monde, à plus forte raison lorsqu’elles se réunissent dans le mouvement pour le dire publiquement.
Si l’ensemble des composantes du Conseil économique et social, qui représentent assez bien la population française, a approuvé le rapport (à part les réserves de quelques-uns sur le financement), si les autorités supérieures de l’État ont marqué leur accord pour en poursuivre l’application, si la presse y a consacré tant d’articles, pourquoi ne s’interroge-t-elle pas davantage sur le peu de réalisations apportées jusqu’ici en réponse à l’appel des familles du Quart Monde exprimé par ce rapport ?
Bien des articles ambitionnent de traiter des grands problèmes actuels de notre société. Comment rappeler aux journalistes que la grande pauvreté et la précarité économique et sociale restent plus que jamais à l’ordre du jour ?