Jeux, sports et culture populaire

Jean Camy

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Jean Camy, « Jeux, sports et culture populaire », Revue Quart Monde [En ligne], 128 | 1988/3, mis en ligne le 01 mars 1989, consulté le 20 avril 2024. URL : https://www.revue-quartmonde.org/4000

Les jeux et les sports sont souvent conçus comme des activités futiles ou marginales, c'est-à-dire sans lien étroit avec ce qui consti­tue l'essentiel de notre vie sociale et culturelle. Tout juste l'obsession contemporaine de la santé être en bonne santé et mourir le plus tard possible santé peut-il donner sens à une existence ?) et des loisirs (« la vacance des valeurs fait la valeur des vacances » a dit E. Morin) contribue-t-elle à leur donner une importance nouvelle mais ambiguë.

Pourtant jeux et sports sont partie intégrante de la culture selon des formes qui traduisent révolution de nos sociétés. Nous voudrions essayer de suggérer ici quelle place ils occupent dans la culture populaire et proposer quelques hypothèses sur les usages des sports comme moyen de socialisation.

Les jeux populaires au cœur des fêtes locales

La plupart des historiens sont d'accord pour considérer que le sport tel que nous le connaissons aujourd'hui est né en Angleterre au début du Xlxe siècle.

Il est l'héritier d'une tradition bien plus ancienne, celle des jeux populaires. Associés aux manifestations religieuses (les Jeux Olympiques antiques en sont un bon exemple) ces jeux ont persisté dans le contexte des fêtes locales, jusqu'à une période récente. En France avant la seconde Guerre Mondiale, les jeux de boule, de quilles ou d'autres activités traditionnelles comme les luttes, jeux de pelote, joutes nautiques, soule etc. intéressaient encore une population nombreuse.

Si l'on regarde de plus près et malgré certaines ressemblances apparentes, les jeux traditionnels étaient bien différents des sports tels que nous les connaissons aujourd'hui. C'est le contexte même de la fête, qui leur donne tout leur sens.

En rassemblant la communauté locale pour célébrer à la fois. La solidarité fondamentale qui existe (qui devrait exister) entre ses membres et la diversité des groupes qui la composent, hommes et femmes, célibataires et gens mariés, habitants de différents quartiers, travailleurs des corps de métiers les plus importants, la fête est un temps fort de la vie sociale et les jeux qui s'y déroulent s'inscrivent dans ce cadre.

Ils sont d'abord une épreuve où les jeunes doivent montrer leur capacité à devenir des membres à part entière de la collectivité. Ils sont aussi l'occasion d'une compétition entre les groupes. Mais la composition de ceux-ci ne doit rien à la logique de la performance sportive : ce ne sont ni les catégories de poids, ni l'âge en tant que tel qui déterminent les appartenances, pas plus que le principe abstrait d'une association sur la base d'une adhésion volontaire d'individus. Les jeux opposent hommes mariés et célibataires, habitants d'un quartier ou d'un village contre habitants d'un autre quartier ou d'un autre village.

Bref, ils sont l'occasion d'affirmer l'importance des catégories qui organisent la vie sociale locale. Les règles qui varient souvent d'un lieu à un autre, l'absence d'espaces réservés spécialement à la pratique (on utilise les places, les clos, les prés, les fleuves et rivières) ne sont pas un obstacle à leur bon déroulement.

Le défi lancé et la définition contractuelle et provisoire des règles du jeu, les paris associant acteurs et spectateurs sont autant de rites qui enrichissent la pratique.

La nature même des jeux n'est pas indifférente car ils sont censés exprimer un certain nombre de valeurs fondamentales propres à la communauté locale. L'exemple des Joutes nautiques à Givors, petite ville industrielle de la vallée du Rhône illustre parfaitement ce principe. La force dont les jouteurs doivent faire preuve (ils supportent au bout de leur lance le choc de deux bateaux chargés chacun de 8 à 10 rameurs) n'est pas mise en scène de n'importe quelle manière. Membres d'une équipe, tributaires de l'adresse de leur adversaire qui va planter dans un plastron situé à quelques décimètres de leur visage une lance munie de pointes métalliques acérées, les jouteurs sont solidaires de tout un groupe et comme tels exemplaires. L'un des héros les plus célèbres dans l'histoire des joutes, un colosse nommé J. M. Jou, est mort en rattrapant dans ses bras et en sauvant un ouvrier qui tombait d'un échafaudage, mettant ainsi au péril de sa vie, sa force légendaire au service de la collectivité.

Nous voyons donc pourquoi les jeux traditionnels sont un élément essentiel de socialisation. Au sein d'une organisation sociale qui cultive une identité communautaire forte, même s'il ne faut pas imaginer les sociétés traditionnelles comme des entités unanimes et pacifiées, ils participent à l'expression concrète d'une manière d'être ensemble.

Le sport moderne : une invention des pédagogues anglais ?

C'est en Angleterre que les responsables des collèges fréquentés par les jeunes aristocrates et les jeunes bourgeois ont eu l'idée d'utiliser les jeux populaires, auxquels se livraient spontanément leurs élèves pendant les récréations, dans un système d'éducation. En imposant des règles strictes relatives à la durée des épreuves, aux façons de jouer et en programmant des jeux dans le temps, ceux-ci n'étaient plus seulement une occasion de défoulement collectif mais un véritable apprentissage de la vie sociale et de ses contraintes. Pour mesurer plus objectivement l'efficacité sportive, s'impose peu à peu une uniformisation du règlement. Les lieux de pratique tendent à devenir eux aussi identiques d'un terrain à un autre.

Les anciens élèves constituent des associations et permettent aux sports naissants de se développer en dehors du monde scolaire, en restant bien à l'écart toutefois des exhibitions pro­fessionnelles qui se sont, elles aussi, multipliées à la même époque.

Les fédérations sportives vont gérer ainsi un ensemble de sports codifiés de façon de plus en plus précise, enregistrant l'évolution des performances (records) organisant les rencontres et édictant des règles pour décider du droit d'y participer. La règle de l'amateurisme qui tient d'abord à l'écart tous ceux qui travaillent de leurs mains puis ceux qui tirent des revenus de leur pratique sportive va s'imposer durablement au prix d'une hypocrisie croissante.

De façon contradictoire l'importance accordée aux performances va entraîner une mobilisation de plus en plus intense des forces et du temps des sportifs : la pratique de plus haut niveau devient difficilement compatible avec d'autres activités. Mais elle fait naître aussi une véritable industrie destinée à produire des champions : médecins, psychologues, spécialistes de la technologie des matériels sportifs servant les hommes et leurs équipements (ou se servant d'eux).

Une planification rigoureuse de l'entraînement et donc de la vie des sportifs s'impose à tous ceux qui veulent réussir, selon un modèle proche de celui que l'on retrouve ailleurs dans le monde de la production industrielle.

Pour résumer on pourrait dire que la naissance du sport moderne a consisté à transformer des jeux traditionnels, à l’initiative de pédagogues et de jeunes aristocrates anglais rapidement relayés par une intelligentsia internationale, dans une perspective d'abord pédagogique puis selon une logique de recherche systématique de la performance.

Cette transformation a bien entendu profondément changé le contexte habituel de ces exercices et modifié radicalement leur sens. Lorsqu'il se constitue, le sport prend donc le contre-pied des jeux populaires : il impose une vision universaliste et rationnelle contre une pratique locale et soumise à des variations multiples, il propose une perspective temporelle linéaire placée sous le signe du progrès et de l'avenir alors que le temps des jeux est un temps cyclique (celui du retour des fêtes) en même temps qu'un temps centré sur le présent.

C'est donc bien toute une vision du monde dont les promoteurs du sport moderne sont les porte-parole, vision qui reste largement étrangère aux classes populaires.

Le sport populaire

Cependant le développement du sport ne s'est pas fait seulement selon les conceptions de ses promoteurs. En se développant le sport s'est popularisé.

Tout d'abord sans aucun doute lorsqu’il est devenu spectacle. Aujourd’hui, le football, le cyclisme, le tennis mobilisent, pour ce qui reste une des dernières formes de fête, un large public populaire. Derrière l'exaltation des supporters et parfois leurs débordements (mais il n'y aurait pas de fête s'il n’y avait pas aussi ce risque) c'est une identité collective symbolisée par une équipe ou par un champion qui tente de s'affirmer. Rappelons qu'il n'est pas de socialisation qui s'accompagne d'une radicale honte de soi. Comme il n'est pas de vie sociale et culturelle sans affirmation d'un « nous » que l’on porte avec fierté.

Il ne faut pas négliger la force de ce processus d'identification que génère le sport et les vocations de footballeur qu'a fait naître Luis Fernandez aux Minguettes à Vénissieux.

Car les spectacles sont aussi l'occasion d'une professionnalisation longtemps refusée par les pères du sport moderne. Luis Fernandez, c'est aussi le symbole d'une réussite sociale construite sur des compétences autres que celles sanctionnées traditionnellement par l'école. Même s'il s'agit en partie d'un leurre car les élus ne sont pas nombreux (mais il en existe d'équivalents dans tous les milieux : l’Ingénieur Polytechnicien, l'Enarque...) un tel repère met en mouvement un nombre très important d'enfants ou de jeunes adultes qui y trouvent une occasion de valorisation.

Mais le sport populaire ça n'est pas seulement le spectacle. Comme l'étaient les jeux traditionnels, c'est aussi un des supports privilégiés de la sociabilité des adolescents et des jeunes adultes. L'extension de la pratique sportive s'explique sans doute en partie par sa diversification.

Comme l'a montré J. P. Callède1, si les activités sportives sont celles qui mobilisent le plus un public populaire, c'est surtout le cas lorsqu'elles n'exigent pas une pratique régulière et qu'elles ne s'inscrivent pas dans un projet à long terme, mais qu’elles servent simplement de support à la vie collective des groupes d'adolescents et de jeunes adultes. Elles réintègrent alors les valeurs et les façons de faire des jeux populaires dont nous avons parlé plus haut.

L'accès au sport dans ses formes les plus organisées et rationalisées se heurte en milieu populaire à des obstacles comparables à ceux que l'on observe dans d'autres pratiques culturelles.

Lors des opérations « anti-été-chaud » organisées ces dernières années, le sport a été très largement mis à contribution pour occuper les jeunes des « banlieues sensibles ». Si ces opérations ont reçu de leur part un accueil généralement positif, par contre très peu d'entre eux ont prolongé leur expérience au sein d'une association sportive (du moins si l’on se réfère aux cas des quelques communes de la banlieue de Lyon que nous avons pu étudier).

Ceux qui œuvrent à la démocratisation du sport doivent être particulièrement attentifs à ces obstacles. En observant la diversité des formes actuelles de pratique et en reconnaissant leur intérêt on doit pouvoir éviter d'être seulement le gestionnaire d'une conception élitiste des activités physiques.

Le sport en France structure, organisation, fonctionnement

- Les fédérations sportives ont reçu mission de l'État pour réglementer organiser, gérer et éventuellement sanctionner dans leur sport de tutelle. Il y a lieu de distinguer fédérations dirigeantes et fédérations affinitaires.

- Les fédérations dirigeantes sont spécifiques pour chaque discipline. Elles organisent et réglementent les épreuves majeures : entre autres fonctions, elles attribuent les titres, nationaux, régionaux et départementaux et elles président à la composition des sélections nationales représentant notre pays dans les compétitions internationales.

Une fédération dirigeante, par sa mission de service public a pour objet essentiel la pratique et le développement de sa discipline, et pour but primordial l'obtention des meilleurs résultats. Le sport y apparaît comme un objectif en soi.

- Les fédérations affinitaires détiennent leur pouvoir des précédentes.

Ce sont toujours des fédérations multisports. Elles organisent la pratique et le développement du sport. Les Fédérations scolaires et universitaires en font partie bien que leur mission de service public soit affirmée (lois de 1975,1984...).

Une fédération affinitaire est davantage tournée vers des préoccupations humanistes. Le sport y apparaît plutôt comme un moyen de formation et d'éducation.

Chaque fédération s'organise selon le découpage administratif français en ligues régionales et comités départementaux.

De nombreux clubs se sont constitués en France au fil de l'histoire ; ce sont des associations loi 1901 composées des dirigeants (administratifs) des entraîneurs ou moniteurs, et des sportifs eux-mêmes. Beaucoup de ces clubs n'ont que des effectifs et des moyens financiers faibles.

Dans des communes importantes quelques grands clubs ont une existence plus confortable. Ils s'appuient parfois sur une grande entreprise et le plus souvent sur la municipalité.

Ils sont généralement multisports : chacune de leurs sections adhère à la fédération dirigeante correspondante ; ils peuvent en même temps adhérer à une fédération affinitaire.

Les compétitions se préparent dans les clubs ; les fédérations affinitaires organisent leurs propres calendriers. Les titres attribués font mention du domaine concerné ou de la Fédération organisatrice, par exemple : champion universitaire.

Les épreuves sportives amicales préparent les rencontres officielles et permettent à tous les joueurs de participer. Les compétitions officielles donnent lieu à des classements et à des titres dont le plus prestigieux est celui de champion de France.

1 J. P. Callède, « Les activités sportives et d’expression corporelle dans les équipements socio-culturels », Les Cahiers de l’animation, n°31, 1981.

1 J. P. Callède, « Les activités sportives et d’expression corporelle dans les équipements socio-culturels », Les Cahiers de l’animation, n°31, 1981.

Jean Camy

Né en 1944, marié, père de trois enfants, il a exercé pendant dix ans le métier de professeur d'éducation physique et sportive en particulier auprès d'enfants défavorisés.Docteur en sociologie, maître de conférences à l'université Claude Bernard (Lyon 1), directeur de l'unité de formation et de recherche en activités physiques et sportives, il travaille depuis dix ans sur la fête, les jeux traditionnels populaires, la sociabilité sportive et associative en milieu ouvrier

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