L’asssociation « Solidarité européenne Quart Monde »

Anne-Marie Rabier et Françoise Fierens-De Boe

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Anne-Marie Rabier et Françoise Fierens-De Boe, « L’asssociation « Solidarité européenne Quart Monde » », Revue Quart Monde [En ligne], 124 | 1987/3, mis en ligne le 23 mars 2021, consulté le 19 avril 2024. URL : https://www.revue-quartmonde.org/4312

« La démocratie ne progresse que dans les sociétés où les citoyens s’unissent pour défendre en priorité les droits des plus démunis. » (Joseph Wresinski)

Des hommes et des femmes engagés dans une communauté européenne fondée sur la démocratie ne pouvaient qu’être sensibles à pareille affirmation. Sans la force de conviction du père Joseph et des permanents d’ATD Quart Monde, la voix des sans-voix risquait de ne pas se faire entendre au sein de la construction européenne. L’Europe aurait-elle ses laissés-pour-compte ? Tolérerait-elle la misère et l’exclusion sociale qui l’accompagne ? Alertés par ces questions d’ATD Quart Monde, un certain nombre de fonctionnaires européens ont décidé de se réunir pour servir de relais à ce Mouvement : en 1976, ce groupe s’est constitué en association sous le nom de « Solidarité européenne Quart Monde »

Comme tout milieu international, celui des institutions européennes est un lieu privilégié de rencontre entre personnes de toutes nationalités, de toutes origines sociales, de toutes formations, opinions politiques, philosophies et religieuses. Il peut n’être qu’une plate-forme confortable, coupée du monde extérieur ; il est très souvent une source de dynamisme et de militantisme dans les domaines les plus divers. « Solidarité européenne Quart Monde » a généralement été accueillie avec sympathie, mais nombreux étaient les fonctionnaires européens qui ne soupçonnaient pas la persistance de la misère en Europe et dans leur propre pays. Il était clair que l’association pouvait jouer un rôle spécifique dans la lutte contre la pauvreté : il fallait informer, faire connaître les situations d’exclusion, devenir attentif à l’impact des politiques communautaires sur les plus démunis.

Dans un exposé fait en décembre 1984 devant M. Richard, membre de la Commission européenne, et de nombreux fonctionnaires, le père Joseph avait beaucoup insisté sur cette responsabilité propre aux milieux européens et suggéré que chacun ouvre un « dossier pauvreté » qui serait à la fois un moyen personnel de meilleure connaissance de l’extrême pauvreté et un outil de sensibilisation de son entourage. Personne, en effet, n’est aussi bien placé que ces fonctionnaires pour rassembler une documentation européenne et pour lire les textes communautaires avec le regard des plus pauvres ; ceci n’exclut d’ailleurs pas l’engagement sur le terrain, soit par la participation aux universités populaires du Quart Monde qui rassemblent tous les quinze jours une centaine d’adultes pour des temps de rencontre et d’expression, soit par la collaboration à des actions de base avec des enfants et des jeunes, ou à des groupes d’alphabétisation, etc.

Un groupe de fonctionnaires européens, dont font partie les auteurs de ce texte, tente l’expérience « dossier pauvreté » depuis deux ans. Chaque participant s’est engagé à récolter articles ou informations concernant la pauvreté et à chercher comment celle-ci est abordée dans les documents de la Commission. Le groupe se réuni mensuellement pour la mise en commun des observations recueillies. Les lignes suivantes témoignent de sa démarche à propos de la lecture d’extraits de presse, de rapports nationaux sur la pauvreté et de deux Memorandums de la Commission.

La presse

Nous avons recueilli de nombreuses coupures de presse extraites de divers journaux européens et américains. L’accroissement de la pauvreté et le froid de ces derniers hivers ont partout fait parler d’eux. Il aurait fallu prendre le temps d’étudier le langage utilisé dans tous ces papiers pour bien saisir l’image de la pauvreté et des pauvres donnée aux lecteurs. Nous n’avons pas pu le faire, mais il nous semble que notre récolte a cependant plusieurs aspects positifs. Tout d’abord, notre perception s’est aiguisée, nous relevons des informations auxquelles nous n’aurions pas prêté attention auparavant. Ensuite, cette documentation, même si elle est encore très sommaire, renforce le constat de la permanence de situations de misère que font les équipes du Mouvement international. Enfin, nous découvrons que des papiers qui ne traitent pas directement de la pauvreté – un article sur l’informatique, par exemple – doivent être lus en fonction des plus pauvres, en se demandant, par exemple, si telle nouvelle technique peut être mise à leur service et au contraire risque de les enfoncer davantage.

Des rapports nationaux sur la pauvreté

Des membres de l’association nous avaient signalé trois rapports : celui du gouvernement italien (1986), celui de l’Église anglicane (Faith in the city, Church House Publishing, London 1985) et l’étude du syndicat allemand (Die neue Armut, Bund-Verlag 1984). Malgré un travail professionnel très prenant, une Italienne, une Irlandaise et une Française, membres de notre groupe, ont lu ces rapports et nous les ont commentés. Puis nous avons essayé de comparer leurs approches respectives de la pauvreté, fort différentes en l’occurrence étant donné la diversité de leurs auteurs. Nous avons été frappés par le refus de la dichotomie « ancienne pauvreté-nouvelle pauvreté » du rapport italien : pour lui, la priorité doit être donnée aux plus pauvres et l’assistance doit faire place à une participation active des pauvres. Les deux autres travaux font référence aux catégories traditionnellement évoquées : les jeunes, les femmes, les handicapés. Or, réfléchir en termes de catégories – et nous constatons que c’est souvent le cas dans les documents communautaires – comporte un réel danger d’occulter les plus pauvres : tous ne sont pas pauvres dans chacune de ces catégories, et des très pauvres se trouvent en dehors de celles-ci.

Nous avons remarqué d’autre part, qu’aucun des rapports ne fait de référence explicite aux droits de l’homme. Il nous est apparu important d’insister – aussi bien dans la Communauté européenne que dans chacun de nos pays – sur la reconnaissance des droits économiques et sociaux de tout être humain au même titre que celle de droits civils et politiques.

Documents de la Commission.

Nous avons tenté une brève analyse de deux Memorandums : le premier est relatif à l’accès des consommateurs à la justice, dans les États-membres, le second à l’Année internationale de la Jeunesse.

Le constat qui s’impose à la lecture du rapport sur les consommateurs est que, comme toute étude générale, il envisage la situation du consommateur moyen. Or, lorsqu’on réfléchit sur des moyennes, la couche inférieure de la population n’est jamais prise en compte. Elle a un très faible pouvoir d’achat, il est vrai, mais ses membres sont aussi des consommateurs, et des consommateurs d’autant plus dignes d’intérêt qu’il sont moins à même de se défendre de certaines pratiques abusives, des démarcheurs à domicile par exemple.

En publiant le document « Dix ans de politique communautaire à l’égard des consommateurs, une contribution à l’Europe des citoyens », la Commission précise qu’il n’est pas question de bâtir des programmes spécifiques pour les consommateurs, mais qu’il s’agit de veiller à leur prise en considération permanente dans toutes les politiques communautaires. Ce souci est aussi celui d’ATD Quart Monde pour les plus pauvres. Le lien établi par la Commission elle-même entre la politique à l’égard des consommateurs et l’Europe de citoyens nous amène à penser que la population du Quart Monde ne peut pas en être absente si cette Europe s’adresse réellement à tous. Il est très positif que toute la politique des consommateurs repose sur le concept de leur vulnérabilité et que le rapport se termine par une invitation aux parties intéressées à faire part à la Commission de leurs commentaires, mais, jusqu’à présent, le mouvement d’ATD Quart Monde n’a pas été associé à l’élaboration des décisions économiques et sociales qui concernent les très pauvres. Il reste à trouver comment lui donner une chance de faire entendre leur voix.

Le Memorandum sur l’Année internationale de la Jeunesse nous a paru important en raison des positions prises par la Commission à l’égard des plus démunis, positions qui seront encore accentuées dans un document sur « La formation des jeunes gens »

Le rapport insiste sur la nécessité d’offrir à tous les jeunes une formation et/ou une expérience de travail. Il exprime le refus « de systèmes d’éducation qui conduisent des millions de jeunes à quitter l’école chaque année avec un sentiment d’échec. » Il demande que tous les jeunes acquièrent certaines qualifications et connaissances fondamentales, telles que la lecture, l’écriture, le calcul et la compréhension des nouvelles technologies. Reconnaître que la lecture et l’écriture ne sont pas toujours acquises en Europe est un fait nouveau. La lutte contre l’analphabétisme est explicitement réclamée. Le rapport ajoute qu’il faut faire participer les jeunes défavorisés aux échanges entre jeunes et prendre particulièrement en compte les jeunes chômeurs de longue durée.

Nous pensons qu’un tel texte n’aurait jamais été adopté il y a dix ans et qu’il représente un pas en avant important. Bien sûr, ce n’est qu’un texte. L’expérience quotidienne d’ATD Quart Monde nous montre que les jeunes avec lesquels il est en relation ont très difficilement accès aux moyens de formation. Il devient cependant possible de s’appuyer sur ce texte pour veiller à son application.

Les modestes travaux du groupe Solidarité européenne Quart Monde sur ces deux rapports mettent bien en évidence la différence entre une réflexion sur le citoyen moyen ou sur le plus défavorisé. Ce travail a rendu les participants sensibles à cette différence et devrait nous aider à y sensibiliser notre entourage. Le souci des plus pauvres est d’ailleurs bien présent à la Commission européenne : la brochure « La Communauté lutte contre la pauvreté » (dossier de l’Europe 4/87) dit qu’une « Europe des citoyens se doit d’être une Europe de la solidarité, spécialement à l’égard des plus démunis »

L’Europe des citoyens et l’Acte Unique européen représentent tous deux un espoir pour les moins favorisés d’entre nous. Le préambule de l’Acte Unique indique clairement le souci démocratique, qui est aussi celui d’ATD Quart Monde : « Décidés à promouvoir ensemble la démocratie en se fondant sur les droits fondamentaux reconnus dans les constitutions et lois des États-membres, dans la convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales et dans la Charte sociale européenne, notamment la liberté, l’égalité et la justice sociale…

Anne-Marie Rabier

Anne-Marie Rabier est née en 1917 à Deauville. Mariée et mère de six enfants elle est responsable du groupe des alliés européens du mouvement ATD Quart Monde à Bruxelles. Elle a écrit plusieurs numéros de la revue Igloos « Soleil interdit ou deux siècles de l’exclusion d’un peuple » – « Colporteur et taupier » – « Quart Monde et travail, I et II ».

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Françoise Fierens-De Boe

Françoise Fierens est née en 1953 en Belgique, mariée et mère de trois enfants. Après des études de droit, elle a travaillé comme volontaire-permanente avec des familles sous-prolétaires dans le cadre d’un « pivot » culturel à Bruxelles. Elle est responsable de l’antenne européenne du mouvement international ATD Quart Monde à Bruxelles.

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