Le Conseil Régional est prêt à prendre ses responsabilités
Permettez-moi tout d’abord de féliciter les personnes qui ont pris l’initiative d’organiser ce colloque et en particulier ATD Quart Monde et l’U.R.E.I.
En effet, comme vient de le rappeler le Président Dominjon, s’il est un souci pour un homme politique, un homme public, c’est bien de tout mettre en œuvre pour que la cohésion sociale soit garantie, pour qu’il y ait le moins possible de laissés pour compte, de marginaux ou d’exclus.
Pourtant, lorsque l’on relit le rapport Wresinski de février 1987, on s’aperçoit que la marginalisation dans notre pays comme dans bien d’autres pays est un fait grave et qu’actuellement la grande pauvreté est devenue un état pour une certaine tranche de population.
Qu’en est-il dans la Région Rhône-Alpes ?
En Région Rhône-Alpes, nous avons environ 53 000 chômeurs inscrits depuis plus d’un an à l’ANPE et 8 000 d’entre eux sont inscrits depuis plus de trois ans et n’ont aucune qualification professionnelle.
Certes, le Gouvernement et le Législateur ont mis en place le Revenu Minimum d’Insertion qui doit permettre de faire face aux besoins les plus urgents mais qui doit surtout être accompagné d’une insertion. Il s’agit justement de l’un des problèmes auxquels se heurte aujourd’hui le responsable public. En effet, s’il est aisé de distribuer de l’assistance, il est beaucoup plus difficile de prévoir cette insertion.
En Région Rhône-Alpes, 24 000 personnes bénéficient du RMI et aujourd’hui 7 000 dossiers sont en attente.
Les Caisses d’Allocations Familiales estimaient au 31 décembre 1989 que 4,5% des ménages déclaraient un revenu imposable annuel inférieur à 10 000 Francs.
Ainsi, au total, pouvons-nous estimer qu’en Région Rhône-Alpes 20 000 personnes sont touchées par la « grande pauvreté » et font partie des marginaux ou des laissés pour compte et que moins d’un millier de personnes bénéficient d’aides régionales.
Avant même d’envisager les solutions que l’on peut apporter à cette situation, il est intéressant de se pencher sur ses causes. Permettez-moi de m’y arrêter quelques minutes.
Trois types de causes apparaissent : économiques, éducatives et d’urbanisation.
* La cause économique est évidente : la grande pauvreté est apparue avec la pérennisation du chômage. Depuis un certain nombre d’années - j’allais presque dire de décennies - la France doit faire face à un chômage endémique qui caractérise sa situation et qui a amené l’apparition de poches de grande pauvreté.
Les restructurations industrielles, la crise économique et ensuite le développement économique tel qu’il est vécu, ne sont pas parvenus aujourd’hui à résoudre le problème du chômage. La période heureuse du plein emploi des années 60/70 est derrière nous et nous savons que notre société se trouve devant un devoir à accomplir : celui de faire face à cette situation et d’empêcher que les mutations économiques ne produisent des marginaux qui seraient totalement exclus de notre vie sociale.
* La deuxième cause est la crise de l’école ou la crise éducative. Vous savez que le Conseil Régional s’est penché tout à fait récemment sur cette question puisque près de 17% des jeunes sortant de scolarité n’ont aujourd’hui qu’un seul horizon qui est le chômage et pour un certain nombre d’entre eux c’est malheureusement la marginalisation et l’exclusion qu’ils trouvent au bout du chemin.
Aujourd’hui, l’inadéquation entre l’emploi et la formation produit des situations que nous devons contrer et réviser par des mesures énergiques. C’est la raison pour laquelle le Comité Economique et Social d’abord, à travers son rapport O.P.R.A., puis le Conseil Régional, à travers sa réflexion sur le Schéma Régional Prévisionnel des Formations, sont en train de mettre en place et de tracer des lignes dont le but est d’éviter que le système scolaire soit une machine à fabriquer un certain nombre de marginaux et à favoriser les exclusions.
Le système scolaire a besoin d’une révolution et je ne reprendrai que la récente conférence de presse du Ministre de l’Education Nationale prononcée lors de sa présentation du plan de rénovation des lycées et dans laquelle il souligne l’inadaptation d’un certain nombre de structures d’enseignement ou de structures scolaires. Ainsi, si l’on veut répondre au problème de cette non-qualification, de cette marginalisation sociale et économique, convient-il peut-être de prendre des mesures audacieuses, des mesures nouvelles et qui ne soient pas, en fait, la répétition du passé.
* La troisième cause est sans aucun doute la crise de l’urbanisation.
Notre pays, durant ces 30 ou 40 dernières années a vécu un phénomène de transfert de populations, une émigration interne. Des zones se sont désertifiées, d’autres se sont densifiées ; c’est l’apparition des grandes banlieues mais c’est aussi l’apparition d’un urbanisme qui n'a peut-être pas été à la hauteur de ce qu’attendent les populations. Le problème est aujourd’hui posé d’une manière parfois violente dans un certain nombre de cités.
Le problème de l’urbanisation est d’abord celui de la ville, c’est le problème de l’aménagement du territoire mais c’est aussi le problème de la conception que l’on a de ce qu’est une ville.
On a trop souvent réduit le problème de la ville à un problème purement immobilier, purement urbanistique alors que l’on sait fort bien que la ville c’est autre chose : la ville est une communauté, un lieu d’accueil, un lieu où, en principe, on trouve des structures de recours et de secours ; c’est un lieu où l’on rencontre en principe une diversité de populations qui se portent ou se soutiennent les unes les autres.
Si aujourd’hui des problèmes graves apparaissent dans nos banlieues c’est parce que l’on constate malheureusement que les structures de secours ou de recours ont disparu, parce que l’isolement et la solitude, mères de l’angoisse et de la désespérance, se sont installés et que toute une population, lorsqu’elle est marginale, ne trouve plus de voie d’issue.
Je pense que les responsables d’ATD Quart Monde ou de l’U.R.E.I. connaissent ce problème beaucoup mieux que moi. La Région s’y est penchée avec une attention plus particulière depuis un certain nombre d’années à travers la politique des contrats de ville qu’elle a menée mais surtout à partir de la politique qu’elle a menée avec l’Etat pour le développement social des quartiers.
En effet, 21 contrats ont été prévus dans le contrat de plan d’Etat-Région ; aujourd’hui plus de la moitié de ces chartes ont été signées par le Préfet de Région et moi-même. Nous espérons que ces chartes iront bien au-delà d’une simple rénovation immobilière, d’une simple rénovation urbanistique et qu’elles prendront en compte la personne dans son ensemble et dans toutes ses dimensions.
Chacun doit être intégré à une famille, à une vie associative, à une communauté et, si l’on veut éviter la marginalisation au sens global du terme, on doit tenir compte de toutes ces dimensions.
L’action concertée du Conseil Régional et de l’Etat se caractérise par une politique des villes mais également par une politique de l’aménagement du territoire car on constate malheureusement que la marginalisation n’est pas le seul fait des grandes villes.
En tant que Parlementaire élu d’une circonscription rurale dont certaines zones sont actuellement frappées de désertification, je peux vous dire qu’il existe aussi malheureusement dans ces zones-là des marginaux, des exclus de la croissance ou des personnes qui sont laissées au bord du chemin.
Il convient de réfléchir à une nouvelle politique d’aménagement du territoire si l’on veut éviter que ces situations se pérennisent, se cristallisent et que l’on ait à faire demain non seulement à des marginaux issus de la vie économique, de la vie éducative, de la situation des villes, mais également des marginaux se trouvant dans des situations de solitude physique et morale dans des régions en voie de désertification.
Ces causes ayant été analysées rapidement, mais je pense que vous y reviendrez au cours de cette journée, je voudrais simplement tracer un bref bilan des actions dans lesquelles la Région est déjà intervenue, soit seule, soit avec l’Etat.
Il s’agit tout d’abord de la diversification du système éducatif. Voici un an et demi, l’Etat et la Région Rhône-Alpes signaient un contrat de plan de 10 millions de Francs en cinq ans pour les écoles de production.
Dans ces écoles de production, l’aide s’élève pour le fonctionnement à 5 000 Francs par élève et par an. Or, nous savons à travers les expériences que nous avons pu observer, à travers les résultats, qu’elles sont un lieu privilégié non seulement de réinsertion sociale mais aussi de réinsertion économique. En effet, nous savons bien que prendra fin la marginalisation sociale lorsque prendra fin la marginalisation professionnelle et économique. Une personne ne retrouvera sa dignité que si elle peut gagner sa vie, si elle peut conquérir son revenu par elle-même ; or, elle ne pourra le faire dans la société telle qu’elle est que si nous lui permettons d’acquérir une qualification professionnelle.
C’est la raison pour laquelle notre deuxième type d’action est une intégration dans le cadre de l’insertion professionnelle. Il s’agit d’abord des entreprises d’insertion qui auront bientôt créé 500 postes de travail pour les chômeurs de longue durée sans qualification.
Ces entreprises perçoivent 6 millions de Francs (50% Etat, 50% Région) et sont là pour permettre d’accompagner ce mouvement de lutte contre la marginalisation par la réinsertion.
Il s’agit ensuite de toutes les structures intermédiaires, et d'une structure qui avait été mise au point dans la Région Franche-Comté et que la Région Rhône-Alpes a reprise : ce sont les emplois vocationnels. Ceux-ci offrent aux jeunes une expérience professionnelle immédiate et une indemnité, les employeurs ne s’occupant d’aucune démarche administrative et la Région prenant en charge les dépenses de protection sociale.
La Région Rhône-Alpes est attachée à cette procédure car elle a montré son efficacité. Elle n’est pas parfaite - aucune ne l’est dans ce domaine-là - mais la Région souhaiterait que les Pouvoirs Publics ne reviennent pas sur une disposition qui avait été acceptée tacitement d’abord, puis explicitement.
C’est la raison pour laquelle à plusieurs reprises je suis intervenu en tant que Président du Conseil Régional, tant auprès de Monsieur Jean-Pierre Soisson que de Monsieur Claude Evin pour que cette technique de réinsertion que sont les emplois vocationnels puisse être maintenue et même développée.
Voilà les quelques lignes d’actions dans lesquelles la Région s’est engagée. Je souhaite qu’aujourd’hui, en aboutissement de ce colloque, nous puissions trouver d’autres méthodes, d’autres lignes d’actions, d’autres sillons de travail. Parce qu’il est bien évident que l’un de nos grands défis aujourd’hui consiste à assurer les développements économique, social, humain, tout en évitant que des marginaux ne soient laissés au bord du chemin.
Une collectivité, qu’elle soit communale, départementale, régionale ou nationale, ne peut remplir sa mission si elle accepte comme un fait, comme une contrainte permanente, comme une donnée, qu’une certaine partie de la population reste dans un état de marginalisation permanente.
Nous avons tous le devoir, pour des raisons politiques - mais peut-être mieux : pour des raisons éthiques et morales - d’y apporter une solution.
Sachez que le Conseil Régional que j’ai la charge de présider est prêt à prendre ses responsabilités. Il l’a fait à nouveau très récemment en ce qui concerne le logement des plus démunis ; il est décidé à le faire dans le domaine éducatif en essayant de s’adresser à tous les publics scolaires, qu’il s’agisse des publics issus d’un milieu social ou familial porteur mais aussi et surtout des publics démunis de structure familiale porteuse et confrontés à une structure sociale déchirée. En effet, nous savons bien que les collectivités, qu’elles soient communales, départementales, régionales ou nationales, ne pourront assurer leur tâche que si la cohésion sociale est maintenue.
Le rôle primordial d’un responsable qu’il soit politique, économique ou social, consiste à tout faire pour que le tissu social ne se déchire pas pour que la solidarité rime avec l’amitié. C’est la raison pour laquelle je souhaite à votre colloque un grand succès car nous sommes dans l’attente des solutions que vous pourriez nous indiquer et qui nous aideraient à assumer notre mission.