Le colloque auquel vous nous faites l’honneur de participer aujourd’hui est une nouvelle étape dans une histoire déjà longue. Il témoigne de votre volonté d’aller plus loin dans la lutte contre l’exclusion sociale.
La participation de vos prédécesseurs au Forum Régional que nous avions organisé à Lyon en décembre 1985 a permis la création de la Mission Régionale d’Information sur la Grande Pauvreté et de la Maison des Métiers d’ATD Quart Monde.
En février 1987, l’adoption par le Conseil Economique et Social du rapport Wresinski « Grande pauvreté et précarité économique et sociale » a constitué un tournant pour notre pays en le dotant d’un programme global cohérent et prospectif de lutte contre l’exclusion sociale.
Vous avez soutenu nos efforts pour mettre en œuvre plusieurs propositions de ce rapport en inscrivant dans le Contrat de Plan Etat-Région en avril 1989 les actions conduites par l’Union Régionale des Entreprises d’Insertion et par ATD Quart Monde , en collaboration avec la Direction Régionale du Travail et de l’Emploi.
En juin 1989, à l’occasion du renouvellement des membres du Comité Economique et Social Régional, le Gouvernement décidait pour la première fois d’y réserver un siège pour les associations de solidarité avec les plus défavorisés afin que ceux-ci ne soient pas absents des débats qui orientent l’avenir de la région.
Car la persistance de la grande pauvreté dans les pays riches résulte tout autant de causes économiques et sociales que d’un déficit de la démocratie, d’une insuffisante représentation des plus défavorisés dans les différentes assemblées de notre pays.
En octobre 1980, les événements dramatiques qui ont secoué Vaulx-en-Velin, dix ans après ceux de Vénissieux révèlent l’ampleur du fossé qui sépare toujours ceux qui bénéficient du développement du pays de ceux qui n’en reçoivent que les miettes ou qui en sont exclus. Ceux-là n’ont trouvé que la violence comme moyen pour se faire entendre.
Comme l’avait réaffirmé avec force le rapport Wresinski, l’exclusion et la misère constituent un révélateur de toutes les insuffisances de notre société, une négation des valeurs de liberté, d’égalité et de fraternité dont nos démocrates se réclament depuis deux siècles ainsi qu’une violation des droits de l’homme.
Quelle attitude adopter face à cette exclusion ?
Le mouvement ATD Quart Monde a choisi celle qu’il a apprise du père Joseph Wresinski qui a lui-même connu la misère dans son enfance et qui a consacré sa vie à la combattre :
Attitude de contestation et de refus mais aussi d’appel à un changement radical des mentalités et des structures, défi lancé aux hommes de s’engager et de se rassembler autour des plus défavorisés.
L’action expérimentale « Contre l'exclusion, une qualification » que nous pilotons depuis un an et demi avec la Direction Régionale du Travail et de l’Emploi est imprégnée de cette double attitude : c’est le refus des adultes du Quart Monde d’être sans travail, sans logement, sans formation, le refus d’être considérés comme inemployables et inutiles qui nous a poussés à agir.
Il nous a conduits à rassembler de nombreux partenaires : pouvoirs publics, entreprises, organismes de formation, services sociaux pour bâtir avec eux un parcours d’insertion professionnelle et de qualifications devant permettre à 75 adultes en situation d’exclusion d’acquérir en trois ans un niveau de qualification du niveau du C.A.P.
De même que nous devions épouser le refus des jeunes et des adultes du Quart Monde d’une vie sans avenir et sans espoir, de même nous devions faire nôtre leur rêve d’un autre destin : leur espoir de sortir de l’assistance en gagnant leur vie par leur travail, leur espoir d’avenir un métier pour être respectés. Cela supposait que nous leur donnions les moyens de cette ambition.
Aussi cette action expérimentée met-elle en œuvre plusieurs dynamiques complémentaires.
Elle s’appuie en premier lieu sur une durée de trois ans, unique en France à notre connaissance pour des adultes en situation d’exclusion mais indispensable étant donné l’objectif de qualification qui est poursuivi.
Elle redonne au bénéficiaire un statut et des sécurités de basse indispensables pour pouvoir se former : des ressources, un logement, la possibilité de se soigner. Le statut est celui des différentes mesures pour l’emploi que nous articulons (actions d’insertion et de formation, contrat emploi solidarité, etc…) et la rémunération est proche du SMIC pour une activité à temps plein.
Lorsque la rémunération versée par l’Etat est très éloignée de ce niveau – ce qui est parfois le cas - , nous complétons les ressources des stagiaires par une aide sociale prise notamment sur les fonds pauvreté-précarité que le Ministère de la Solidarité nous attribue au niveau national.
Ce projet met les bénéficiaires dans une dynamique de formation en alternance : en entreprise et en centres de formation. Je tiens à souligner la qualité d’engagement de la Société d’Enseignement Professionnel du Rhône qui joue un rôle tout à fait primordial dans notre dispositif.
Enfin, un accompagnement humain important est mis en œuvre pour soutenir les travailleurs en formation : accompagnement professionnel assuré par cinq catalyseurs à mi-temps responsables chacun d’un groupe de 15 personnes, accompagnement social assuré par des travailleurs sociaux.
Certains nous ont conseillés de recruter des hommes et des femmes en situation de précarité mais pas de grande pauvreté afin de ne pas compromettre le succès d’une opération expérimentale qui, pour être reproduite, devait avoir un taux de réussite exemplaire…
Ainsi nous proposait-on dès le départ d’exclure ceux-mêmes pour qui nous avions conçu ce projet, au nom de l’efficacité ! Cette attitude n’est-elle pas significative de l’aveuglement de notre société qui ne cesse de produire de nouvelles mesures de lutte contre la pauvreté et qui ne cesse de laisser les plus défavorisés sur la touche. En effet, ces mesures sont rarement élaborées à partir de l’expérience de vie des plus pauvres et avec leur participation. Comment s’étonner alors qu’elles soient sans efficacité pour résorber la misère ?
Avec l’accord de nos partenaires et avec l’appui du Service Social du Conseil Général du Rhône, nous avons donc maintenu le choix de recruter une quinzaine d’adultes illettrés qui étaient sans domicile fixe, l’ensemble du groupe se situant dans la fraction la plus défavorisée des bénéficiaires du RMI.
Débuté en septembre 1989, ce projet constitue une expérimentation avant l’heure du crédit-formation individualisé pour les chômeurs et c’est la raison pour laquelle il nous semble important d’en tirer dès à présent les premiers enseignements.
Un an et demi après son démarrage, nous mesurons pleinement combien cette action expérimentale est un véritable défi pour tous ceux qui y participent :
- Défi pour les personnes défavorisées elles-mêmes à qui un énorme effort est demandé pour se remettre à apprendre, pour acquérir ou réacquérir une stabilité professionnelle perdue souvent depuis longtemps, pour reprendre un rythme de travail ;
- défi pour les formateurs qui doivent inventer des pédagogies adaptées à un public habituellement exclu des dispositifs de formation ;
- défi pour les entreprises à qui nous demandons d’accueillir un public qu’habituellement elles n’acceptent jamais en leur sein parce qu’il est, à tort, réputé inemployable.
- Défi pour les organisateurs du projet qui doivent jongler avec des mesures prévues pour le court terme afin de les articuler sur un long terme.
Même avec l’appui constant de la Direction Régionale du Travail et de l’Emploi, la complexité administrative du projet reste un casse-tête permanent.
Cette action expérimentale appelle donc les changements importants dans les pratiques de tous les partenaires sociaux et des changements significatifs dans la réglementation nationale afin de permettre aux plus défavorisés d’accéder à une véritable qualification professionnelle et à une insertion professionnelle durable.
Mais, qui pourrait croire que la lutte contre l’exclusion économique, sociale et politique des plus faibles générée par notre société sera possible sans modification substantielle des choix et des comportements des partenaires économiques, sociaux et politiques ?
Je laisse maintenant à Michel Trollé, permanent d’ATD Quart Monde, ingénieur de formation et responsable de l’accompagnement professionnel de 15 personnes dans ce projet, le soin de vous décrire la progression des travailleurs en formation.