Le parcours des jeunes vers la qualification et vers l'emploi

Rédaction de la Revue Quart Monde

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Rédaction de la Revue Quart Monde, « Le parcours des jeunes vers la qualification et vers l'emploi », Revue Quart Monde [En ligne], Dossiers & Documents (1994), mis en ligne le 19 avril 2010, consulté le 29 mars 2024. URL : https://www.revue-quartmonde.org/4579

Cette table ronde a été animée par Monsieur Robert Pierron, directeur de l’AREPA

Le parcours des jeunes vers la qualification et vers l’emploi

* Monsieur Robert Pierron :

J’ai relevé dans le film trois phrases qui éclairent cette seconde table ronde :

- « Lire, écrire, compter… » « J’espère que le patron va me prendre. » Ces deux termes résument bien les deux pôles de la réflexion à laquelle nous nous livrons dans notre table ronde : le pôle du savoir et le pôle de l’emploi.

- J’ai aussi relevé « Réussir pour donner une chance à d’autres. » En arrière-plan, il y a l’éternel débat sur le coût de toutes les mesures ; mais inversement, on ne considère jamais le coût de ce que serait la non-mesure. Cette parole est un appel clair à la responsabilité individuelle et collective. Et c’est cela qui doit nous mobiliser.

Le titre de cette seconde table ronde, « Le parcours des jeunes vers la qualification et vers l’emploi », nous renvoie bien vers cette liaison entre la qualification et l’emploi, liaison dont nous savons tous à quel point elle est complexe, non causale. Pour entamer cette table onde, Monsieur Jacques Dugène, qui dirige une entreprise d’insertion, va commencer par nous rappeler ce qu’est une entreprise d’insertion.

* Monsieur Jacques Dugène, Directeur d’une entreprise d’insertion (EIPF à Bordeaux), Secrétaire Régional de l‘Union Régionale des Entreprises d’Insertion :

En Aquitaine, il y a actuellement entre vingt-huit et trente entreprises d’insertion. En Gironde, il y en a huit qui travaillent depuis un certain nombre d’années, à la fois sur le secteur de l’économique et sur le secteur social, puisque c’est la caractéristique des entreprises d’insertion. On peut définir les entreprises d’insertion en général à la fois par la nature du public accueilli, par le projet social de l’entreprise, et par les conditions de fonctionnement de ces entreprises. Si je définis les entreprises d’insertion d’abord par leur public, c’est parce qu’à l’origine les entreprises d’insertion ont été créées essentiellement par des travailleurs sociaux et donc tournées vers des populations ayant des difficultés d’ordre professionnel bien évidemment, mais aussi sociales.

- Le public dans les entreprises d’insertion est à la fois des jeunes et des adultes, même si, au départ, les jeunes étaient en grand nombre. L’arrivée des systèmes RMI, entre autres, a conduit les entreprises d’insertion à s’occuper, par le travail, de publics plus adultes. C’est un public avec des échecs répété, des difficultés de tous ordres, avec des situations précaires ou d’exclusion. Bien évidemment, ces précarités ne sont jamais isolées : lors d’un passage en entreprise, elles se révèlent à mesure, même si elles ne sont pas apparues d’emblée. Le public des entreprises d’insertion est donc tout à fait caractéristique.

- Le projet social : l’entreprise d’insertion utilise un contrat à durée déterminée et une pédagogie appropriée pour réaliser les objectifs qu’elle se donne : un objectif professionnel, un objectif social. Le contrat de travail est le même que dans toute entreprise mais on l’accompagne aussi d’un contrat d’objectif : ce qui se passe dans l’entreprise est toujours en lien avec ce qui se passe à l’extérieur. Nous travaillons toujours avec des partenaires extérieurs qui vont pouvoir faire leur travail social en même temps que celui fait dans l’entreprise. Le projet est donc de faire accéder ces personnes, dans la limite du temps  qui nous est accordé (c’est-à-dire deux ans maximum de passage entreprise d’insertion), au marché du travail ou éventuellement à une formation.

- Le fonctionnement : une entreprise d’insertion est une entreprise qui, comme toute autre entreprise, produit des biens et des services. C’est une entreprise qui a les mêmes règles, les mêmes droits, les mêmes devoirs et la même rigueur que toute espèce d’entreprise. Si l’Etat et les collectivités locales participent au financement des entreprises d’insertion, ce n’est que pour rembourser ce que l’on peut évaluer en termes de manque de rentabilité, de sur-encadrement, de rotation des effectifs, de formation et de qualification professionnelle et sociale.

* Monsieur Robert Pierron :

Nous allons maintenant entendre trois témoignages qui s’enchaînent assez directement. Ils mettent en œuvre des cations de formation qui ont un rapport très étroit avec l’insertion. D’abord M. Jousse qui est directeur d’un organisme de formation fortement impliqué dans la mise en œuvre du programme PAQUE. C’est donc le témoignage d’un organisme de formation qui a pris en compte le problème de l’insertion comme finalité de son action.

* Monsieur Georges Jousse, Directeur de l’AFEPT (Association pour la Formation et l’Education Permanente de Tivoli) :

Comme organisme de formation, nous sommes bien entendu un organisme qui forme les gens pour les aider à trouver un travail et à entrer dans l’entreprise. Nous avons des gens qui sont venus passer un CAP, un brevet professionnel ou un Bac professionnel, et puis des gens, comme les jeunes de PAQUE (Préparation Active à la Qualification et à l’Emploi) qui sont en échec scolaire et social. Il est intéressant qu’un organisme de formation puisse accueillir dans le même lieu des personnes qui ont des parcours aussi divers : ceux qui viennent d’une entreprise et ceux qui cherchent à entrer dans l’entreprise, car il s’agit de créer une synergie entre tous ces stagiaires. Imposer des règles à des jeunes stagiaires qui la plupart du temps n’ont pas appris les comportements fondamentaux en société, les leur apprendre au milieu d’autres adultes à qui on demande les mêmes comportements (pour fumer, pour respecter les horaires…), c’est évidemment faire de l’organisme de formation un lieu d’apprentissage à être en société.

J’insisterai plus particulièrement aujourd’hui sur les jeunes et sur les difficultés qu’ils rencontrent pour aller vers l’entreprise. Ces jeunes « PAQUE » nous arrivent, ayant été choisis parce qu’ils présentaient des difficultés à se projeter dans un avenir. Tout notre travail va être de leur donner le goût de l’avenir, le désir d’aller vers un projet, en les aidant à dépasser toutes leurs inhibitions et leur violence.

Je prends un exemple. Tout récemment, on avait mis sur pied un atelier d’art plastique. Pour avancer dans ce projet, on a fourni aux jeunes de la glaise. Puis on est allé progressivement vers la fabrication d’une œuvre commune. Au départ, le malaxage de la glaise était l’expression d’une violence, l’impossibilité de projeter. Un jeune disait qu’il était musicien parce qu’il faisait du tambour. Il n’arrivait pas à créer son tambour avec la glaise. Chaque fois que ça commençait à prendre un peu la forme d’un tambour, il écrasait sa glaise comme s’il était impossible pour lui de construire, de projeter à l’extérieur de lui-même l’idée même de ce qu’il était. D’abord, on a vu ces jeunes se révolter : « On a autre chose à faire en formation ! On est là pour faire des maths, du français… » Ils commençaient par dire : « On perd notre temps ! » Il a fallu être ferme : « Du temps, vous en avez perdu, alors faites-nous confiance ! En vous faisant faire ce parcours, on est persuadé qu’on va apprendre, sans en avoir l’air. » A ce moment-là, ils avaient fait des cubes, ils avaient essayé de distinguer la droite de la gauche. Nous en sommes arrivés à dire : « Pour faire des maths, il faut bien commencer par se situer dans l’espace. » Progressivement, ils ont construit des personnages avec du fil de fer. Faire des personnages, c’est avoir une image de soi-même. Construire des personnages avec du fil de fer, cela paraît simple, mais il faut d’abord les dessiner et il y a ensuite tout un effort de projection à l’extérieur de soi-même. Les jeunes sont arrivés à le faire, ils sont arrivés à le présenter, ils sont même arrivés à l’émotion esthétique pour la plupart d’entre eux. Plus de la moitié y sont parvenus, mais pas tous : certains parce qu’ils sont fragiles, l’un ou l’autre aussi parce que leur personnage a été cassé par un autre qui ne pouvait admettre d’être dépassé dans cette œuvre. Lorsqu’ils ont présenté cette œuvre commune aux amis, aux autres formateurs et stagiaires, nous avons perçu que le regard soudain admiratif des autres sur ce qu’ils venaient de faire modifiait complètement l’image qu’ils avaient d’eux-mêmes. Peut-être, à ce moment-là, la projection d’un projet d’avenir commençait-elle à naître. C’est ainsi que, organisme de formation, nous essayons de partir de la réalité de la violence ou de l’inhibition et de la dépasser pour créer le désir d’un avenir.

Il resterait à dire comment les stages en entreprise, par dose homéopathique et progressive, apprennent aux jeunes à se situer progressivement dans un ensemble, à sortir de l’exclusion dans laquelle ils s’enferment eux-mêmes et à accepter enfin de se considérer comme des hommes et des femmes ordinaires, des citoyens capables de prendre leur place dans la société. L’organisme de formation est donc un organisme qui a la capacité d’apprendre des savoirs ou des savoir-faire, mais c’est aussi un organisme qui a la capacité d’apprendre à « savoir être. » Tout ce travail exige des formateurs une grande compétence, une grande disponibilité et une grande créativité.

* Monsieur Robert Pierron :

Nous avons noté, dans l’expérience que vous relatez, ce que nous pourrions appeler le primat de l’insertion sur la qualification. Pourriez-vous développer cette idée ? Vous n’avez jamais prononcé le terme « qualification. »

* Monsieur Georges Jousse :

Si j’ai développé volontairement cet aspect du programme PAQUE, c’était pour montrer qu’avant d’aller vers la qualification - et c’est cela le projet de PAQUE - il faut franchir un certain nombre d’étapes. Si les jeunes dont je viens de parler sont en échec scolaire, c’est qu’il y a des problèmes familiaux et sociaux évidents et des impossibilités à apprendre. Il va falloir apprendre à dépasser ces violences et ces inhibitions, soit dans un stage professionnel, soit en organisme de formation. Certains de ces jeunes vont entrer en stage de « remise à niveau », d’autres en « recherche de stage en entreprise. » La qualification est au bout de toute cette démarche, elle n’est pas encore dans cette démarche…

* Monsieur Robert Pierron :

Nous allons maintenant entendre Mme Richard, qui est coordinatrice départementale du Cycle d’Insertion Professionnelle par Alternance (CIPPA). Avec elle, nous abordons une autre question essentielle : le passage d’un parcours scolaire difficile à l’insertion professionnelle.

* Madame Marie-Claire Richard, Coordinatrice départementale du CIPPA (Cycle d’Insertion Professionnelle Par Alternance) :

Les CIPPA ont été créés par l’Education Nationale. Car l’Education Nationale n’a plus aujourd’hui pour seule mission de dispenser des connaissances et de délivrer des diplômes ; elle évolue suivant les nécessités sociales et économiques.

En 1986, elle s’est dotée d’un dispositif particulier pour l’insertion des jeunes en difficulté (DIJEN).

En 1989, l’insertion est devenue non seulement un dispositif concret mais une mission à part entière pour l'ensemble du système scolaire. Pour l’Education Nationale, il ne suffit pas de penser à l’insertion en sortie de scolarité, mais il serait beaucoup plus intéressant d’y penser aussi en amont et pendant toute la durée du collège ou du lycée.

Depuis sept ans, nous avons l’expérience d’actions concrètes, à l’intérieur du DIJEN, qui facilitent l’insertion des jeunes au niveau VI ou V Bis, c’est-à-dire avant qu’ils aient eu la possibilité de préparer un CAP ou un BEP. Je citerai deux actions concrètes :

- Les modules de repréparation au CAP ou au BEP (MOREA) avec une alternance beaucoup plus importante en entreprise. S’y ajoutent les « formations complémentaires » qui sont déterminées en fonction des besoins directement exprimés par les entreprises dans le milieu local.

- Les CIPPA et leur prolongement qui sont les « formations intégrées. » Ils s’adressent aux jeunes rencontrant les plus grandes difficultés, ceux qui viennent de sortir de l’enseignement scolaire sans aucune qualification et bien souvent sans projet. Ces jeunes ont un bagage de connaissances scolaires extrêmement léger. L’an dernier, l’ensemble de ces actions a accueilli près de deux mille jeunes dans notre Académie, dont presque la moitié dans les CIPPA.

Le CIPPA est d’abord une petite structure, presque familiale, rattachée à l’établissement scolaire. C’est un lieu que nous concevons comme un lieu de transition entre le monde scolaire et le monde du travail, qui permet un temps de réflexion, de maturation, de reconstruction de la personne. Nous avons comme objectif de faire en sorte que chaque jeune, pris en particulier, ait la possibilité de construire petit à petit un projet professionnel et d’entrer dans une formation. Les jeunes qui arrivent au CIPPA ont en commun d’être très jeunes par rapport à ceux d’autres organismes cités  ce matin : ils ont seize, dix-sept,  au maximum dix-huit ans. Outre leurs très faibles connaissances de base, ils ont des difficultés sociales, affectives, et la conscience d’un échec, d’un rejet scolaire et social, qui leur donnent une image dégradée d’eux-mêmes. Et nous centrant sur les besoins de chaque jeune pris en particulier, nous allons pouvoir faire émerger des potentialités qui ont été occultées pendant des années d’échecs, échecs non seulement scolaires mais bien souvent aussi liés à une vie chaotique. Faire éclore ces potentialités, que nous les reconnaissions, nous adultes, mais aussi les faire reconnaître par les jeunes ; alors, seulement, avec une image plus positive de lui-même, le jeune pourra envisager un projet professionnel et s’engager dans une formation.

Les points-clés :

- Le premier d’entre eux est bien évidement l’alternance dans les entreprises (50% du temps). L’alternance en entreprise est conçue comme un tâtonnement vers la construction d’un projet professionnelle. Tâtonner, c’est partir un peu à l’aveuglette, mais avec ses désirs, ses envies, ses rejets ; partir vers une entreprise et y faire ses preuves, accompagné par les adultes, découvrir et puis revenir, faire le bilan et repartir encore. Petit à petit, on avance. Évidemment, on cherche à ce que chaque jeune ait la possibilité d’aller dans plusieurs entreprises différentes, dans des branches différentes. Nous essayons de bâtir, avec chaque maître d’apprentissage ou tuteur en entreprise, des objectifs précis pour chaque période en entreprise et pour chaque jeune. Nous allons les voir très régulièrement, nous faisons le bilan avec le maître d’apprentissage et le jeune, et ce sont de nouveaux objectifs pour une nouvelle période.

- Mais un adolescent ne se construit par uniquement dans le monde du travail.

Il va se construire dans son quartier, dans sa commune. Nous essayons de créer des liens réguliers avec les centres culturels et sociaux. Nous avons des activités régulières avec ces centres culturels pour faire en sorte que les jeunes souvent isolés trouvent là d’autres jeunes de leur quartier, qu’il leur soit proposé d’autres activités, et qu’ils se créent ainsi, au fur et à mesure, des habitudes de relations sociales. Nous insistons aussi, autant que faire se peut, sur les relations avec les familles. Car, si nous cherchons à développer pour chaque jeune son autonomie et sa responsabilité, nous avons parfaitement conscience que ce sont des adolescents : ils auront beaucoup de mal à se construire si la famille n’est pas associée à leur travail, à leurs efforts, à leurs démarches, succès et difficultés. Certes, beaucoup de familles soutiennent leurs jeunes, mais il y a parfois des situations d’abandon ou, à l’inverse, des situations de possessivité extrême : ni dans l’un, ni dans l’autre cas, on ne parvient à se construire. Nous essayons de rencontrer ces familles individuellement le plus souvent possible, de façon à les faire participer, à les associer, à les rassurer contre l’angoisse qu’elles rencontrent inévitablement. Dans certains cas précis, nous avons recours aux éducateurs, aux assistantes sociales, qui sont pour nous des personnes-relais.

Les jeunes peuvent entrer et sortir à tout moment de l’année scolaire : on ne leur demande pas de s’inscrire en début d’année, comme à l’école, ni de finir une année scolaire. On rentre quand est prêt, on sort lorsqu’on a trouvé une meilleure situation. Mais que deviennent ces jeunes après six, sept, huit mois ai CIPPA ? Dans notre académie, c’est-à-dire les cinq départements d’Aquitaine, on a observé au mois de juin 1992 que :

- 44% des jeunes qui nous ont été confiés ont entamé une formation : certains sont revenus en lycée professionnel, mais la plupart son entrés en contrat d’apprentissage ou en contact de qualification en entreprise ;

- 9% ont trouvé un emploi en contrat à durée déterminée ou indéterminée et quelques-uns en CES (je dois dire que nous n’aimons pas tellement cette formule pour ces jeunes-là) ;

- 14% n’auront pas fini leur évolution vers la formation et vont intégrer des programmes PAQUE pour disposer d’un temps supplémentaire, avant d’avoir la possibilité d’une formation qualifiante.

Malgré ces parcours qui démontrent que les jeunes ont des capacités pour s’intégrer en entreprise et acquérir une formation, nous avons bien des difficultés à trouver des entreprises qui veuillent bien former ces jeunes-là. C’est notre difficulté quotidienne.

Les formations intégrées.

Nous sommes conscients que, dans bien des cas, un accompagnement est nécessaire tout au long de la formation et jusqu’à l’emploi. C’est pourquoi l’Education Nationale, ces derniers temps, tente d’aller plus loin par la création des « formations intégrées. » Le système des formations intégrées est le suivant : un établissement scolaire qui est intégré dans un GRETA signe une convention avec une ou plusieurs entreprises décidées à former des jeunes, soit en contrat d'apprentissage, soit en contrat de qualification. Deux personnes sont au centre du processus avec le jeune : le tuteur dans l’entreprise, tout d’abord, et un coordonnateur de l’Education Nationale qui va assurer l’accompagnement du jeune et de sa famille pendant ses deux ans de formation dans l’entreprise. C’est lui qui va assurer les liens avec le tuteur de l’entreprise, les relations avec les formateurs. Il s’agit de faire en sorte que les jeunes qui en ont le plus besoin puissent avoir un accompagnement complet, à partir du moment où ils sortent du système scolaire tel qu’on le connaît, jusqu’au moment où ils vont sortir de l’entreprise avec une qualification. La qualification et le parcours de formation sont adaptés le plus possible à chaque jeune et sont définis par les responsables de la formation. Une validation les termine sous forme d’un CAP ou d’un titre homologué.

En conclusion, l’Education Nationale a fait ses premiers pas pour l’insertion et la qualification des jeunes les plus démunis. Nous comptons bien avancer encore, avec la participation des entreprises surtout, qui nous manque beaucoup.

* M. Robert Pierron :

Pour des enfants qui sont sortis en échec scolaire, on conçoit qu’il n’est pas très simple, psychologiquement, de rentrer dans un dispositif qui, lui-même, se situe à l’intérieur de l’Education Nationale. C’est peut-être un frein et une explication à certaines des difficultés que vous avez pu rencontrer. Vous avez bien montré néanmoins le statut tout à fait particulier, entre autres la liberté complète d’entrée-sortie. Mais cette liberté d’entrée-sortie n’est elle pas aussi une difficulté pour l’efficacité même du dispositif ?

* Madame Marie-Claire Richard :

Permettez-moi de répondre à votre dernière question : du fait qu’il n’y a pas de programme, ni même de groupe-classe, contrairement à ce qui se passe dans l’Education Nationale traditionnelle, du fait également que la formation donnée à ces jeunes est la plus individualisée possible, le fait d’entrer ou sortir à n’importe quel moment de l’année ne crée pas de difficulté particulière. L’action n’est pas basée sur une évolution préconçue d’un groupe en entier.

Maintenant votre premier point : le fait que ce dispositif soit intégré à l’Education Nationale est-il un frein ou non ? Pour les jeunes que nous recevons, il s’agit plutôt d’une transition : des jeunes issus de 4ème se retrouvent tout à coup dans un monde qui n’a plus rien à voir avec ce qu’ils avaient connu. Ils sont décalés pendant pas mal de temps. Nous avons appris à les aider dans ce passage, à leur permettre de se créer d’autres repères, à identifier les personnes autrement et à se concevoir eux-mêmes autrement qu’en jeunes enfants mineurs et traités comme tels. Pour ces jeunes, à seize ans, ce passage est une des transitions les plus efficaces vers l’entreprise et le monde du travail.

* M. Robert Pierron :

J’ai relevé deux autres points importants :

- Les données chiffrées que vous avez données sur la répartition de ces jeunes sont intéressantes : 44% des jeunes remis dans un système de progression vers la qualification, ce n’est pas ! J’ai aussi relevé 9%, presque un jeune sur dix qui se trouve en situation d’emploi, même s’il s’agit essentiellement de contrats à durée déterminée. Cela illustre bien la relative perméabilité du tissu économique dès lors que des relations ont pu se nouer, des réseaux se constituer.

- S’agissant de ces relations avec les entreprises, vous avez souligné l’importance du tutorat. Dans le système le plus connu et le plus ancien d’alternance qui est celui de l’apprentissage, c’est le problème des maîtres d’apprentissage : dans l’entreprise, il faut dégager un temps suffisant qui soit consacré à l’apprentissage du jeune. Un jeune l’a dit ce matin : « Ils n’avaient pas le temps de me montrer… » C’est bien là une des limites aux dispositifs d’alternance : la capacité même de l’entreprise à accueillir des jeunes en formation alternante.

Maintenant, nous rejoignons l’articulation évoquée ce matin entre monde rural et monde urbain, avec le témoignage de Monsieur Riaud, responsable de l’Action Sociale de la Mutualité Sociale Agricole. Il nous dit comment les Centres d’Enseignement Agricole préparent également cette transition de la scolarité vers le monde du travail.

* M. Gilles Riaud, Directeur de l’Action Sociale à la Mutualité Sociale Agricole :

L’objet de mon intervention portera sur l’expérience de nos deux centres d’enseignement agricole de Langon et de Pauillac. Tous deux interviennent dans le domaine de l’insertion sociale et professionnelle des jeunes en difficulté, par le biais de la formation. Historiquement, ces deux Centres d’Enseignement  Agricole dépendaient de la Mutualité Sociale Agricole et intervenaient,  dans le cadre de la formation initiale, auprès de jeunes issus de la cinquième. Ces jeunes âgés de quatorze, quinze, voire seize ans étaient préparés au CAP agricole sur un parcours de trois années de formation. Depuis deux ans environ, ces centres sont désormais gérés sous forme associative et se sont diversifiés : tout en continuant leur activité de formation initiale, ils interviennent dans le cadre du CFI et de formations pour chômeurs de longue durée.

Quelle sont les caractéristiques de ces jeunes et de la formation dispensée au sein de ces centres ?

Le trait commun de ces jeunes, qui sont orientés vers le Centre d’Enseignement Agricole à l’issue de la cinquième, est de cumuler un certain nombre de handicaps sociaux. Sur le plan scolaire, ces handicaps se traduisent par un très faible niveau général : illettrisme, non-maîtrise des quatre opérations, en quelque sorte un niveau CE2 alors qu’ils sortent de la cinquième. Dès la première année de formation, ces jeunes sont immergés dans le milieu professionnel, la formation dispensée étant orientée sur l’alternance. Cette alternance se partage entre un enseignement pragmatique trois jours par semaine en centre et une traduction concrète de cet enseignement deux jours par semaine en entreprise. Bien entendu, afin de répondre aux besoins spécifiques des jeunes en formation, notre action nécessite une politique de faibles effectifs : quinze jeunes au maximum par classe. Autour de ces jeunes, enfin, se construit une politique importante de partenariat. En complément des enseignements qu’ils dispensent, les formateurs ont l’obligation de construire un réseau de partenaires autour de chaque jeune, pour l’accompagner dans son projet personnel et professionnel : la famille, les maîtres de stage (artisans, commerçants, exploitants agricoles…), les travailleurs sociaux qui interviennent auprès du jeune ou de la famille (assistantes sociales, éducateurs…), les conseillers d’orientation et les structures scolaires.

Quels résultats peut-on observer pour ces jeunes qui intègrent les Centres d’Enseignement Agricole ?

A l’issue de leur formation, environ 70% des jeunes s’insèrent dans le milieu professionnel. On observe que l’obtention d’une qualification - le CAP agricole - n’est pas forcément une garantie d’insertion. Pour les emplois dits de bas niveau, l’entreprise recherche davantage la valeur d’un individu que la qualification qui reste une évaluation théorique et ponctuelle. Je rejoins là le débat sur le problème de la qualification et de la validation des acquis.

Quelques mots en complément sur la structure d’enseignement. Ces choix ont bien entendu des implications financières inévitables. Le financement de l’Etat - puisque nous avons un contrat avec le Ministère de l’Agriculture pour la mission d’enseignement que nous dispensons - ne couvre environ que 50% des dépenses réelles de fonctionnement. Le solde, qui représente l’ensemble de l’investissement autour du jeune, est un déficit permanent supporté par la Mutualité Sociale Agricole (MSA). Aucun autre financeur ne s’estime concerné : à la charnière entre l’action sociale et la formation, il y a là en effet un « no man’ land » sur lequel il serait intéressant que les collectivités locales puissent se pencher.

Pour terminer, voici quelques réflexions personnelles sur notre expérience de formation dans le cadre du CFI. Les jeunes inscrits dans ce dispositif sont légèrement plus âgés que ceux que nous recevons en formation initiale. Quel constat pouvons-nous faire sur ces deux populations ?

- Leurs différents handicaps sont de même nature : mêmes difficultés sociales, mêmes difficultés scolaires, même absence de motivation, même absence de projet personnel.

- Par contre, il y a une différence significative : de l’avis des formateurs qui interviennent au sein de ces centres, il est deux fois plus difficile de motiver les jeunes du CFI ! Quand un jeune est en pleine adolescence, attendre deux ans, trois ans de plus, avant de trouver une réponse adaptée à ses besoins, ne semble donc qu’accroître ses difficultés. Or, parallèlement, la réforme de l’Education Nationale supprime l’orientation des jeunes à l’issue de la cinquième et les maintient dans le système scolaire jusqu’à la troisième… Mon propos n’est pas ici de critiquer cette réforme, généreuse dans la finalité, mais plutôt de m’interroger sur son systématisme qui aboutira, je le crains, à nier les besoins d’une population en grande difficulté et à retarder pour elle l’apparition de réponses adaptées.

* Monsieur Robert Pierron :

Nous avons là malheureusement l’illustration de « l’effet pervers » : comment une mesure généreuse, qui a sa rationalité, joue à contresens. A l’appui de cette mesure, des études concernant les CFA ont bien montré qu’il y avait une grande différence de destin entre les jeunes orientés vers l’apprentissage en fin de cinquième ou en fin de troisième : ceux qui étaient orientés en fin de cinquième connaissaient beaucoup plus de difficultés… parce qu’ils les connaissaient déjà auparavant, faudrait-il peut-être ajouter. Par contre, ce qui m’a un peu étonné dans votre intervention, c’est quand vous dites que les titulaires des CAP avaient des difficultés d’insertion. C’est un peu inquiétant…

* M. Gilles Riaud :

Je précise immédiatement que ce n’est pas un problème de « non-insertion » des titulaires du CAP. Simplement, pendant cette formation par alternance, le maître de stage qui est futur employeur potentiel, peut observer les capacités de l’adolescent. C’est l’appréciation  du « savoir-faire. » Les 70% de jeunes insérés sont principalement ceux qui ont obtenu la qualification, mais il y a aussi des jeunes qui ont suivi le parcours de formation, n’ont pas pu obtenir le CAP agricole, mais ont pu faire preuve de savoir-faire et de qualités individuelles auprès de leur employeur, lequel les a alors insérés. Le problème se pose par la suite puisqu’on n’observe là que la première insertion professionnelle. Pour une future mobilité, la qualification apporte alors un « plus » et celui qui en est dépossédé aura davantage de difficultés.

* M. Robert Pierron :

Effectivement, la primo-insertion peut être facile en apparence, mais avec une fragilité ultérieure...

Notre table ronde revient d’une certaine façon à l’entreprise, à travers le témoignage de Claude Darreye, qui a la responsabilité à Reims de l’atelier « Avenir Jeunes Reims. » La démarche est intéressante car elle associe éducation, formation générale et mise en situation de travail.

* M. Claude Darreye, Directeur « Avenir Jeunes Reims » :

« Avenir Jeunes Reims » est une association loi 1901. Son objet est l’insertion et la formation de jeunes très défavorisés issus du milieu quart monde et en majorité illettrés. Ces jeunes ont entre dix-huit et vingt-cinq ans. « Avenir Jeunes Reims » mène trois actions simultanées et qui s’interpénètrent :

- C’est tout d’abord une entreprise d’insertion par l’économique ;

- C’est aussi un centre de formation qui a pour ambition la formation intellectuelle et professionnelle des jeunes illettrés qui sont accueillis en priorité ;

- C’est enfin un accompagnement social important, en lieu avec le milieu et l’environnement. Dans un premier temps, je parlerai de la structure de l’entreprise. Dans un deuxième temps, j’essaierai de montrer comment, dans cette structure, le travail et la formation sont intimement mêlés.

L’entreprise d’insertion par l'économique est essentiellement un atelier de menuiserie dont la fabrication principale est l’emballage-bois, c’est-à-dire des caisses pour l’emballage des vins de champagne. A  cette activité s'ajoute la fabrication de meubles sur mesure, la restauration de meubles anciens et des travaux de réhabilitation de vieilles maisons destinées au relogement des familles défavorisées. L’atelier occupe environ mille m2. Il est équipé de machines industrielles ou semi-industrielles à commande numérique. L’encadrement est composé d’un responsable de production et de gestion commerciale, d’un responsable d’ordonnancement du planning et des méthodes, et de trois menuisiers-ébénistes chefs d’équipe. La formation est assurée dans les locaux mêmes de l’entreprise. Le rythme de la journée est le suivant : deux heures de travail en production, deux heures de formation en salle et ainsi de suite. Le parcours d’enseignement a pour objet :

- l’alphabétisation tout d’abord, ou l’apprentissage du français et du calcul, utilisant des méthodes progressives et adaptées ;

- des éléments de technologie ensuite : dessin industriel et autres apprentissages qui vont conduire progressivement ces jeunes à la préparation d’un « Certificat de Formation Générale » (CFG) d’abord, puis d’un CAP. L’enseignement est donné par des formateurs affectés à cette tâche et par le personnel même de l’entreprise.

Avant de parler de la structure de l’entreprise qui allie travail et formation, je voudrais commencer par quelques paroles de jeunes. Récemment, un jeune participait à un interview avec une radio locale : « Je voudrais qu’on me regarde droit », a t-il terminé. Un autre, pensant surtout à ses voisins et à d’autres jeunes qui allaient venir après lui : « Il faut qu’ils apprennent… Il faut qu’ils apprennent en travaillant, sinon ils recommencent… » Et un plus ancien ajoutait : « Sans l’atelier, je ne serai pas là où j’en suis. L’atelier, c’est pour nous et pour nos enfants… » Ces dernières paroles soulignent la globalité de la formation qui se fait au sein de l’atelier, en partenariat avec les familles et l’environnement.

« Avenir Jeunes Reims » a déjà une  histoire de huit années. L’entreprise est née des attentes et de la volonté des familles du quart monde, de la connaissance acquise au contact de ces jeunes, de leur aspiration à travailler et à être reconnus comme travailleurs, et enfin de la recherche pédagogique des formateurs qui sont allés vers ces jeunes et qui ont cru en leur capacité d’apprendre et de se former. La première demande de ces jeunes n’a pas été la formation - apprendre à lire et à écrire - mais le travail, le salaire. La motivation pour la formation est née des besoins du métier : compter, lire et écrire ont été mis en rapport avec les tâches à effectuer au quotidien. Dès le point de départ, le projet était d’associer sur une durée, au sein d’un atelier de production, travail et formation…l’objectif étant bien entendu la qualification reconnue.

S’il fallait résumer la méthode employée, on pourrait dire que le cheminement suivi par chaque jeune au sein de l’atelier se fait approximativement selon cinq étapes. Ces étapes sont distinctes dans l’explication, mais s’interpénètrent dans la réalité. La durée de chacune d’entre elles est fonction des possibilités de chacun et de son passé.

- Première étape : à son arrivée, le jeune s’inscrit d’abord dans un processus de production et de travail qui le situe d’emblée dans le monde du travail. A travers sa participation au travail de l’équipe, même minime au point de départ, il reprend confiance en lui, il éprouve un sentiment d’utilité, de fierté, de dignité. Il entre en relation avec une équipe de travail et un responsable.

- Deuxième étape : il acquiert ensuite la responsabilité de la bonne exécution, et donc du contrôle de son travail. Pour pouvoir opérer lui-même ce contrôle, il doit comprendre parfaitement ce qu’il fait. Dans cette phase, on ne cherche pas à multiplier le nombre des opérations, mais on fait en sorte qu’il en maîtrise parfaitement quelques-unes. Au début, il lui est présenté l’objectif du travail (c’est la « méthode du projet »). Ensuite il lui est demandé de consigner sur des fiches de travail, même s’il ne sait pas lire et écrire, le temps passé, les outils ou machines utilisés, ainsi que la matière qu’il emploie (c’est la « méthode de l’évaluation et du bilan permanent »). Quand je dis : « On lui donne des fiches de travail même s’il ne sait pas lire et écrire », c’est pour l’inviter à demander à d’autres personnes sur le lieu de travail ce qu’il faut faire, ce qui est marqué, pour lui montrer également l’importance de l’écrit dans l’exécution d’un travail.

- Troisième étape : par l’intermédiaire des opérations qui lui sont confiées, il acquiert une formation sur le terrain : compter, mesurer, utiliser des outils et des machines, lire des mesures et des plans, organiser le travail, entretenir les machines, sont autant d’opérations qui se font successivement. Au point de départ, « compter » consiste pour lui à trier des planches. Et trier des planches lui permet facilement d’additionner, de soustraire et de multiplier. Cela lui permet également d’acquérir progressivement des notions abstraites, telles que la longueur, la largeur, l’épaisseur, qui ne sont pas des mots facilement utilisés par les jeunes. Pour faire ces mesures, il n’emploie pas le mètre, mais des morceaux de bois sur lesquels sont portées différentes couleurs, pour lui indiquer quelles sont les largeurs et quelles sont les épaisseurs. Il vit donc en situation de travail, une situation de travail et de réussite. Car tout ce qui lui est proposé, lui est proposé dans une optique bien précise : lui montrer qu’il est capable de faire comme tout le monde et de réussir. Réussir en étant confronté à des travaux qui lui montrent qu’il est important d’acquérir certaines connaissances théoriques. C’est là qu’intervient le commencement de la formation plus théorique, adaptée au niveau et au rythme de chacun. Cette formation théorique de base s’effectue alors en salle et s’appuie sur le travail de production du jeune. Ce qui explique que le menuisier-ébéniste qui travaille avec lui participe de temps à autre avec lui, en salle de cours, à l’exécution de projets et de dossiers.

- Quatrième étape : progressivement, le nombre d’opérations confiées au jeune augmente. Il est amené à maîtriser l’ensemble de la production et à apprendre à passer d’un poste de travail à l’autre. Il est capable alors de comprendre une « feuille de mission. »

- Cinquième étape : finalement, le jeune est amené à transmettre à d’autres ce qu’il a acquis. Cette transmission de la connaissance se fait au cours de la production, sous le contrôle du chef d’équipe ou du chef d’atelier. Ce moment important de la formation conduit le jeune à faire le point sur ce qu’il connaît, car habituellement on transmet bien à l’autre ce qu’on a bien appris soi-même. Il le met dans une situation d’être capable d’apprendre aux autres, de partager avec les autres ce qu’il sait. Cette situation de partage et d’apprentissage avec un autre valorise le jeune car, bien souvent, il ne l’a que très peu ou très rarement vécu au cours de son existence. Il est alors partie prenante, totalement, de sa formation et de la formation des autres. On pourrait appeler cette dernière étape « le partage du savoir et la méthode de la réciprocité. » Je termine en soulignant deux ou trois idées :

- A « Avenir Jeunes Reims », entreprise d’insertion et centre de formation, on ne s’adresse pas à une personne seule, isolée de son milieu. Il y a constamment relation avec la famille, le milieu social, le quartier dans lequel vit le jeune.

- Pour que ces jeunes puissent réussir leur insertion, il faut que les personnes qui les accompagnent croient en leurs possibilités, leur permettent de faire l’expérience du travail et de la formation dans la durée.

- Enfin, AJR ne vit pas en vase clos : il essaie de travailler en partenariat avec des entreprises ou des artisans afin que ces entreprises et ces artisans soient plus réceptifs à toutes les personnes qui, pendant leur vie, ont subi une période d’exclusion et n’ont pas été favorablement accueillies dans les lieux de travail.

* Monsieur Robert Pierron :

Nous avons tous beaucoup apprécié le détail que vous avez donné de tout le processus que vous avez mis en œuvre et les différentes étapes. Maintenant, y a t-il des questions ?

Rédaction de la Revue Quart Monde

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