Extrême pauvreté et droits de l’homme en Europe : défendre des causes significatives
Les carrefours ont été l’occasion d’approfondir différents aspects :
1 - les relations entre les justiciables les plus pauvres et la justice ou l’administration ;
2 - la médiatisation des causes ;
3 - le soutien des comités Quart Monde et Droits de l’homme dans la défense de causes significatives ;
4 - la défense de droits économiques, sociaux et culturels,
5 - les critères permettant de décider d’engager une famille dans une cause significative.
* Le carrefour n°1 a insisté sur l’incompréhension et la méfiance qui altèrent les relations entre les citoyens les plus pauvres et les pouvoirs publics ou la justice. Il a donc fait valoir la nécessité de favoriser le dialogue entre les différentes parties, de répondre aux besoins de formation des professionnels et d’information des usagers.
Les obstacles viennent du comportement tant des familles que des administrations.
L’absence de globalité dans la conception des situations fausse les décisions : dans le cas des placements d’enfants, les intérêts des enfants et ceux des parents sont opposés, la relation porte sur les individus, non sur la famille dans sa globalité.
Le caractère impersonnel, froid ou déshumanisé des formulaires administratifs ou des réquisitoires dans les procès, ne facilite ni la compréhension ni le dialogue.
Les rôles des différents partenaires amenés à intervenir auprès des familles ne sont pas suffisamment clairs et les familles, face à ce flou, ne peuvent pas leur faire confiance.
La rigidité de l’administration, le fonctionnement de la justice, en particulier des commissions d’office, constituent un autre obstacle : dossiers connus au dernier moment, manque d’expérience des avocats face à des situations complexes…
Pour les avocats, la défense des familles en situation de grande pauvreté présente des difficultés particulières, dont celle de défendre les gens sans les humilier.
Du côté des familles, leur sentiment de culpabilité, leurs conditions de vie, leur peur et leur méconnaissance du fonctionnement de la justice, leur difficulté à s’exprimer, sont autant d’obstacles. Par manque d’information, de connaissance des avocats, des services, les gens font des démarches au dernier moment, ce qu’on leur reproche sans cesse. Une meilleure information, une formation et un accompagnement par d’autres citoyens pourraient aider à améliorer ces relations.
Il ne suffit pas que les consultations soient gratuites, il faut qu’elles soient accessibles, géographiquement et dans leur fonctionnement, comme le sont les permanences juridiques dans les quartiers très défavorisés de Marseille.
* Le carrefour n°2 a mis en exergue la nécessité de former les journalistes à la connaissance et à la compréhension des situations des familles en grande pauvreté et des conséquences pour elles de la médiatisation.
Un bon reportage doit d’abord d’assurer de l’accord de la famille, être fondé sur un projet, avoir un objectif. Il ne doit pas montrer un cas individuel mais le situer dans le cadre global de la misère.
Dans un débat public, le Mouvement insiste pour que la personne puisse être accompagnée de quelqu’un qui connaît bien les situations de misère et peut, si besoin est, décoder, expliquer, replacer dans son contexte ce que disent les personnes du Quart Monde. Il ne s’agit pas de contrôler les journalistes ni les gens du Quart Monde mais de permettre un véritable dialogue, une réelle formation de l’opinion publique.
* Le carrefour n°3 a souligné l’importance d’un dialogue régulier avec tous les partenaires afin de préparer un terrain de compréhension mutuelle.
Les partenaires peuvent être divers : partenaires institutionnels mais aussi voisins, associations, avocats, médecins, élus, médias…
Les citoyens ont un rôle à jouer dans l’accompagnement quotidien des personnes, qu’elles soient ou non engagées dans une procédure judiciaire : aide aux démarches, soutien dans les épreuves et les procédures…
Les Comités Quart Monde et Droits de l’homme soulèvent plusieurs questions :
- comment s’assurer que le soutien à une famille individuelle aura une portée pour toutes les autres familles vivant dans la même situation ? Cette question se pose particulièrement quand on fait jouer des relations personnelles ou d’influence auprès d’un responsable qui consentira à satisfaire une demande.
- comment s’assurer que les concertations se feront dans le respect de tous les partenaires ?
Les Comités Quart Monde et Droits de l’homme doivent permettre la rencontre entre deux logiques : celle de la famille dont les droits sont violés, celle des partenaires qui refusent ces droits, avec des arguments souvent rationnels et légaux. Ils exigent, de la part des militants qui soutiennent la famille, de savoir se faire conseiller et soutenir par des personnes compétentes, en particulier des juristes.
* Le carrefour n°4 a mis en évidence les liens entre les causes significatives et le fait, pour un pays, de se doter d’une loi d’orientation contre l’extrême pauvreté. En effet, le seul axe juridique implique qu’on désigne des responsables, des coupables à assigner en justice, ce qui n’est pas toujours possible. Par ailleurs, les actions en justice peuvent faire appliquer une par une des lois qui existent. Mais elles n’aboutissent pas à un traitement global de la misère.
L’absence de volonté politique et d’outils législatifs explique par exemple que, malgré l’expérience de l’accès global aux droits, à travers la promotion familiale à Noisy-le-Grand, cette action n’ait jamais été reprise par les pouvoirs publics.
Il y a une complémentarité indispensable entre l’action juridique, qui concerne les professionnels du droit, et l’action politique, qui concerne tous les citoyens.
Pour la réalisation de certains droits, en particulier sociaux et culturels, il ne faut pas tout attendre de la justice mais miser plutôt sur le dialogue, la concertation, dans lesquels des juristes peuvent jouer un rôle de conseil.
Les deux voies peuvent être exploitées car, comme le rappelle Thierry Fenoy, une procédure judiciaire n’est pas une déclaration de guerre, et n’empêche pas forcément de poursuivre le dialogue avec les partenaires.
Dans le cas de l’extrême pauvreté, il manque une opinion publique convaincue de l’importance de se mobiliser. Si cette solidarité avec les plus pauvres existait, on avancerait plus vite. Même une loi d’orientation, si elle est votée, ne sera réellement appliquée que si la mobilisation de l’opinion publique l’exige.
* Le carrefour n°5 a réfléchi autour de 2 situations, l’une relevant d’un combat collectif (celui des habitants du quartier de la Samaritaine en Belgique), l’autre d’une action individuelle (celle d’une famille dont plusieurs membres ont été brûlés dans l’incendie d’un appartement aux installations défectueuses)
Il a également souligné les limites d’une action en justice : les situations collectives y sont difficilement abordables car il faut des preuves, parfois difficiles à réunir. C’est aussi parce que le problème de la misère est global qu’il est problématique d’entreprendre une action en justice pour le respect d’un droit précis : c’est ce qui ressort du témoignage de Mme Valognes expliquant combien il est difficile pour les habitants d’une cité délabrée, vouée à la démolition, de se retourner contre les HLM pourtant responsables de l’état des logements, parce que c’est toute leur misère, qu’ils devaient mettre au jour et ils ne sont pas sûrs que cela ne se retournerait pas contre eux.