Conclusion

Georges de Kerchove

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Georges de Kerchove, « Conclusion », Revue Quart Monde [En ligne], Dossiers & Documents (1997), mis en ligne le 21 avril 2010, consulté le 19 avril 2024. URL : https://www.revue-quartmonde.org/4614

Si nous sommes réunis un 10 décembre, en ce jour anniversaire de la Déclaration universelle des Droits de l’homme, c’est pour signifier notre volonté de l’avancée des Droits de l’homme.

1) Je voudrais tout particulièrement, en guise de première réflexion, souligner la préparation extrêmement sérieuse que les personnes en grande pauvreté ont faite pour cette session. Elles ont eu l’audace de présenter leur combat, qu’il ait été couronné par une victoire ou qu’il ne soit soldé par un échec. Nous ne saurons jamais assez souligner l’importance de la préparation et le cheminement que suppose le fait d’oser partager un tel combat.

Nous avons vécu tout au long de cette session un dialogue entre des personnes de grande pauvreté et des personnes ayant connu d’autres expériences. Ensemble nous avons forgé une pensée originale et donné un nouvel éclairage aux Droits de l’homme. Je pense qu’il s’agit d’une contribution tout à fait singulière :

Lorsque j’ai appris, hier, que plusieurs personnes qui devaient venir témoigner n’étaient pas là, j’ai mesuré l’enracinement du Mouvement ATD Quart Monde parmi les familles connaissant la grande misère. En effet, pour pouvoir venir ici, il faut bénéficier d’une série de sécurités. Les personnes à qui il avait été demandé de venir témoigner n’avaient pas ces sécurités. Pourtant elles avaient accepté de venir !

Une session comme celle-ci s’inscrit dans notre engagement de citoyen. Ma citoyenneté est entamée, menacée par l’exclusion dont une autre personne peut être victime. Ma liberté est en quelque sorte blessée par la tyrannie subie par d’autres personnes, car la misère est tyrannique.

Notre session s’est donc déroulée sous le signe du dialogue. Maître Ranwez nous a dit qu’il se sentait, en quelque sorte, l’interprète de la famille dont il a témoigné. Qui dit interprète, dit formation. C’est le deuxième point que je voulais aborder avec vous.

2) Pour pouvoir interpréter, il faut connaître la langue, ce qui suppose une longue écoute, un long cheminement. Je voudrais ici souligner tout particulièrement le rôle irremplaçable des volontaires qui prennent le temps non seulement de vivre aux côtés de personnes en grande misère, mais de se former pour pouvoir devenir interprètes. S’il n’y avait pas un volontariat qui se donne cette mission prioritaire, nous ne serions pas aujourd’hui ici et nous ne pourrions pas être pris au sérieux comme nous pouvons peut-être l’être.

3) Troisième réflexion. Qu’avons-nous appris des causes significatives ?

Je n’oserais pas me hasarder dans une définition des causes significatives. J’ai personnellement appris qu’il faut faire preuve d’une grande prudence.

J’ai aimé la sincérité de M. Bretton à qui on posait la question de savoir « quand » il décidait de faire d’une cause une cause significative. Il a pris un temps de réflexion, puis il a répondu : « Je ne sais pas. » Je serais tenté de dire la même chose, tant c’est complexe et difficile, tant nous avons à faire preuve de prudence, car lorsqu’une cause est déclarée significative, cela veut dire que l’on met sur le devant de la scène une famille qui se trouve exposée aux feux de l’actualité avec tout le risque que cela comporte.

Qui dit prudence dit nécessité d’une réflexion, amorcée hier et aujourd’hui et qui doit se poursuivre. Pour mieux nous aider à cerner ce qu’est une cause significative, M. Bouchet nous invitait à considérer la dignité comme fondement d’un droit opérationnel. Là encore, cela risque de ne rester qu’un slogan si cette idée n’est pas approfondie et explicitée. Or, cette réflexion rejoint l’expérience des personnes, des familles qui vivent l’extrême misère et qui toujours nous amènent à l’essentiel.

4) Ma dernière réflexion ouvre plutôt sur des perspectives.

Nous sommes ici, une centaine. C’est absolument insuffisant. Il y a, dès lors, lieu de veiller à un recrutement. Plusieurs personnes m’ont dit : « Je suis seul dans ma région. Nous sommes trop isolés. » C’est en invitant d’autres personnes à s’engager avec nous en qualité de citoyens, que nous pourrons répondre à ce type d’attente. Je pense notamment à des avocats, à des intervenants sociaux, à des militants Quart Monde qui se sentent seuls.

Mais il y a lieu aussi d’introduire l’exigence de mieux connaître la problématique de la grande misère dans le cadre de la formation professionnelle. Un avocat pense pouvoir s’engager à ce que, dans les cours CAPA du Barreau de Paris, soit inscrite cette problématique. Je signale que ce combat n’est jamais gagné. Au Barreau de Bruxelles, nous l’avions obtenu pendant un certain temps et puis à l’occasion d’une réforme des cours CAPA, on a « oublié » de prendre en compte cette problématique. Pour les journalistes, nous avons parlé d’une formation autour de comités éthiques : est-ce qu’une attention suffisante est portée à ceux dont on déforme systématiquement l’image ? C’est nécessaire également pour d’autres professions. J’ai envie, à cet égard, de vous dire : « A vous de trouver, dans votre milieu professionnel, dans votre milieu local, des endroits de formation où l’on peut introduire la problématique de la grande misère. »

Des instruments existent déjà pour cela. Je pense tout d’abord à la « chronique des comités Quart Monde et Droits de l’homme. » Cette chronique est diffusée actuellement à 200 exemplaires. C’est trop peu. Il faut non seulement s’abonner mais également y contribuer. Cette chronique se veut un lieu où sont relatés les combats des familles pour les Droits de l’homme et toutes les questions que posent les situations d’injustice. Le souhait de ceux qui ont la responsabilité de cette chronique est qu’il y ait davantage de contributions, de réactions.

Il y a également la revue « Droit en Quart Monde. » C’est une revue actuellement publiée en Belgique, qui reflète essentiellement la jurisprudence belge mais qui se voudrait plus européenne. Ici encore, cela dépend des contributions qui seront faites. Elle arrivera à la hauteur de la mission qu’elle s’est assignée si des contributions venant de tous les pays peuvent être publiées dans cette revue.

Je terminerai en citant une méthode permettant d’être à l’écoute de ces situations d’injustice, de ces familles qui luttent pour les Droits de l’homme. C’est la méthode des « fiches de faits. » C’est une méthode utilisée à plusieurs endroits et notamment à Bruxelles et qui rassemble des avocats, des juristes, de militants des Droits de l’homme. Lors de ces réunions « fiches de faits », nous relatons une situation d’injustice rencontrée récemment. Nous lisons la fiche puis, à partir de la lecture d’une série de fiches de faits, s’amorce une réflexion où chacun contribue à éclairer les enjeux qui sont signalés dans la fiche de faits. Je pense que c’est un moyen de formation qui peut être utilisée par tous.

Voilà les perspectives que je voulais lancer de façon à ce que l’année prochaine, peut-être dans deux ans, nous puissions nous retrouver avec une réflexion approfondie, un réseau plus fort, plus resserré, qui permette de constituer partout en Europe, ce que M. Bretton appelait tout à l’heure des Comités de vigilance, de sorte que les violations des Droits de l’homme ne soient plus possibles.

Georges de Kerchove

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