Une autre manière de faire du journalisme

Thérèse Ricard et Centre Beïtouna

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Thérèse Ricard et Centre Beïtouna, « Une autre manière de faire du journalisme », Revue Quart Monde [En ligne], 213 | 2010/1, mis en ligne le 05 août 2010, consulté le 28 mars 2024. URL : https://www.revue-quartmonde.org/4682

Jean-Louis Saporito a été grand reporter à la télévision pendant vingt ans. Il a dirigé l’agence de presse Point du Jour de 1988 à 1999. Depuis plusieurs années il collabore avec le Mouvement ATD Quart Monde. Il a réalisé un premier reportage «  Belles familles » 1 nous  faisant découvrir des familles photographiées en France, chez elles, dans leur caravane ou leur logement précaire, plongées dans la grande pauvreté mais extrêmement vivantes. Ensuite toujours en collaboration avec ATD Quart Monde, il s’est investi dans le projet de marquer le 20ème anniversaire du 17 octobre en mettant à l’honneur les combats des familles très pauvres sur les cinq continents.

Dans cette perspective il a donc passé trois semaines à Beyrouth, notamment, pour préparer les interviews et les séances de photos avec les familles concernées. Il s’est présenté avec son ouvrage « Belles familles ». C’est de ces premiers contacts dont parlent ici les personnes ayant participé au projet. Dans le livre «  Sourires du Monde »2 les personnes ont accepté que leur nom soit mentionné.

Nous avons demandé à Thérèse Ricard, qui a été l’intermédiaire de tout le projet à Beyrouth, d’interroger les participants sur cette façon de faire du journalisme.

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Journalisme, Médias

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Liban

On pourra être étonné de ce que disent des gens qui n’avaient pas de langue commune pour communiquer avec Jean-Louis Saporito. Mais nous aussi, qui l’avons accueilli, sommes témoins de l’aisance dans le contact et de la proximité dans la relation qu’il a eues avec chacun.

La préparation avec les familles qui ont reçu Jean-Louis s’est surtout faite à partir du livre « Belles familles ». En le voyant, les gens comprenaient qu’on allait les respecter et s’intéresser à eux pour eux-mêmes, et non pour les caricaturer.

  • Les participants :

J’ai su que je pouvais tout dire, et cela m’a laissée à l’aise et reposée. Pourtant, avant qu’il vienne, j’avais dit que je ne voulais pas que mon nom paraisse. Mais quand il était là, j’ai compris qu’il n’allait pas écrire n’importe quoi, qu’il n’allait pas forcément tout raconter, qu’il est intéressé par ce qui est bon.

J’étais à l’aise ; ce que j’avais dans le cœur, je l’ai dit.

C’est bien que les gens comprennent la vie des pauvres. J’étais contente que mes paroles soient entendues, qu’elles arrivent aux gens. Je serais prête à parler à la télé pour qu’on sache ce que je vis.

Il a été le premier à comprendre la proximité de pensée, d’esprit, de mentalité entre maman et moi et que c’était pour cela qu’on se persécutait l’une l’autre.

Il a été le seul qui a pu faire parler maman et qu’elle veuille bien qu’il l’écrive. Parce qu’il avait une façon qui faisait qu’on parle avec lui en confiance.

C’est le premier que je connais à qui on dit quelque chose et qui le transmet tel quel, sans ajouter, ni retrancher, ni changer, ni changer le ton (sic) avec lequel on l’a dit. C’est comme si c’était nous qui parlions.

J’ai senti qu’il ne fait pas de différences, il aime chacun comme il est, autant que l’autre.

Sur la photo, on voit que j’ai pu faire une maison. Tout ce dont j’avais été privée, j’ai pu l’avoir ; aussi je suis heureuse.

La photo, je la montre avec fierté parce qu’elle nous montre comme des gens très beaux.

J’ai des expériences avec d’autres journalistes, mais pas comme lui. Il a un regard positif, je pouvais être vraie.

Habituellement, je n’ai pas trop confiance dans les journalistes. Si on me paie, on va me faire dire ce qu’on veut, pas ce que je veux. Les journalistes aiment le sensationnel ou ce qui fait choc.

Les journalistes ne donnent pas ce que tu veux transmettre mais ce qui convient à leur commerce.

Une fois il y en a une qui est venue disant qu’elle était une stagiaire de l’Université (et c’était faux). Elle a écrit dans le journal que je déteste mon fils pour des questions d’argent et que lui aussi, il me déteste. Qu’il se drogue avec des piqûres, alors que je ne l’avais pas dit. J’aurais voulu la tuer.

Une journaliste est venue disant qu’elle faisait un reportage. On a convenu qu’elle ne ferait pas de photos pour qu’on ne me reconnaisse pas. A un moment, elle a posé discrètement à côté d’elle une petite caméra et s’est mise à la manipuler. Moi, je l’ai attrapée et je l’ai cassée.

Les journalistes intéressés offrent de l’argent, alors ils font ce qu’ils veulent et ils gagnent beaucoup d’argent sur notre dos.

  • Thérèse Ricard :

Nous avons grandement apprécié que Jean-Louis Saporito ait envoyé son texte et les photos qu’il voulait publier avant de mettre la dernière main à son livre, et pour avoir le plein accord des personnes concernées. Nous nous sommes sentis en pleine sécurité avec lui. Et en pleine amitié.

1 Jean-Louis Saporito, Belles familles, Éd. les Arènes, Paris, 2002, 82 pages.
2 Jean-Louis Saporito, Sourires du Monde, Éd. les Arènes, Paris, 2007, 144 pages.
1 Jean-Louis Saporito, Belles familles, Éd. les Arènes, Paris, 2002, 82 pages.
2 Jean-Louis Saporito, Sourires du Monde, Éd. les Arènes, Paris, 2007, 144 pages.

Thérèse Ricard

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Centre Beïtouna

Thérèse Ricard est franciscaine, française et vit dans le monde arabe depuis quarante ans, d’abord au Maroc puis en Syrie, en Jordanie et au Liban. Avec une petite équipe elle anime le centre Beïtouna à Beyrouth qui s’adresse à des personnes ne parvenant pas jusqu’aux services sociaux car ils sont trop marginaux. Ces personnes ont accepté de participer au projet de Jean-Louis Saporito et figurent dans le livre «  Sourires du Monde ». Les participants de Beïtouna font partie du Forum permanent sur l’extrême pauvreté dans le monde depuis 2002 (voir www.atd-quartmonde.org, cliquer sur Échanges d'expériences dans le monde).

CC BY-NC-ND