Vouloir la disparition de la grande pauvreté : une exigence de démocratie pour l’Europe
Les Conseils européens de Lisbonne et de Nice ont placé « l’éradication de la pauvreté en 2010 » au rang des priorités de l’Union européenne. Quels chemins prendre, quels moyens mettre en œuvre pour atteindre un tel objectif ? Faute d’analyse approfondie, de stratégie ambitieuse, et d’accord affirmé sur une priorité à donner au développement humain, l’objectif « d’éradication de la pauvreté » restera un vœu pieu.
C’est pour apporter leur contribution que l’Institut de Recherche du Mouvement International ATD Quart monde et le groupe « Futuribles » organisent deux journées de réflexion prospective sur « Précarité et grande pauvreté en Europe à l’horizon 2010 » et proposent des points de repères qui leur semblent indispensables.
Une vraie démocratie suppose la reconnaissance sans équivoque de l’égale dignité de tous les êtres humains et la volonté de vivre ensemble en faisant progresser le respect des droits fondamentaux pour tous, à l’intérieur de nos frontières comme à l’extérieur. Les populations les plus défavorisées, les plus privées de l’accès à ces droits, nous indiquent les chemins à prendre. Il est indispensable de s’engager sur ces chemins en prenant des engagements communs et contraignants pour tous.
1. L’Union européenne doit développer avec les pays de l’Europe centrale et orientale (avec les pays candidats comme avec les pays qui n’ont pas encore les moyens de l’être) une politique qui soutient ces pays dans leur lutte contre la pauvreté et leur permet d’assurer à tous une vraie protection sociale. Une réflexion et des négociations doivent être menées pour que les fonds de cohésion sociale soient réaffectés prioritairement aux zones les plus pauvres des pays de l’Europe de l’Est candidats à l’adhésion. Dans toutes les discussions et projets de modernisation de l’économie comme des législations, la situation des populations les plus pauvres et leur avenir doivent être une référence permanente.
2. L’objectif d’éradiquer la grande pauvreté devrait être inscrit dans le texte d’une éventuelle future constitution de l’Union européenne et entraîner une directive cadre sur la mise en œuvre des Objectifs de lutte contre la pauvreté et l’exclusion sociale et sur l’accès aux droits fondamentaux pour tous. La Commission européenne devrait présenter tous les deux ans un rapport d’évaluation, débattu au Parlement européen, sur les avancées réalisées dans ces domaines. La Charte des droits fondamentaux, après amélioration, doit être inscrite dans une éventuelle constitution ou dans un autre traité.
Pour évaluer les progrès du développement humain, l’Union européenne et les États membres doivent se doter « d’indicateurs participatifs », déterminés dans des projets de recherche associant représentants des populations les plus pauvres, universitaires et partenaires sociaux. Il est impossible de mesurer correctement l’évolution de la pauvreté sans les populations qui en souffrent. L’Union européenne et les États membre doivent donc se mettre en état d’entendre la parole et l’expérience des populations les plus pauvres et leurs représentants. Cela suppose l’organisation d’un véritable dialogue civil structuré ouvert tout particulièrement aux organisations dont les populations les plus pauvres sont membres.
3. Pour concrétiser l’accès de tous aux droits fondamentaux, des progrès significatifs devraient être recherchés dans plusieurs domaines essentiels :
- En finir avec les politiques qui entraînent la dislocation des familles les plus pauvres – pratiquées depuis des décennies dans la plupart des pays de l’Union – et substituer des politiques de renforcement et de soutien de la cellule familiale.
- Fixer dans l’Union européenne et chacun des États membres, un objectif d’éradication de l’illettrisme assorti d’échéances et prendre tous les moyens nécessaires pour y parvenir.
- Transformer la situation de « sous-droit » que représentent bien des mesures d’insertion, et qui s’est développée dans de nombreux pays européens, en un véritable droit à un travail décent. Dans ce but, des entreprises multinationales, ayant leur siège en Europe, pourraient s’engager dans des projets pilotes en lien avec des O.N.G.
4. L’Union européenne et les États membres devraient redéfinir des politiques d’asile et d’immigration, afin que des dizaines de milliers de personnes et de familles ne soient pas condamnées durablement à la clandestinité, privées des droits fondamentaux et, de ce fait, menacées de basculer ou de s’enfoncer dans la misère. Les politiques de coopération au développement devraient elles aussi être redéfinies pour que les États membres respectent leurs engagements d’accroître leur aide publique et de réduire la dette du Tiers monde, et pour que cette aide permette réellement aux populations concernées de devenir acteur de leur propre développement.