«Des biens premiers aux capacités»

Jean-Jacques Friboulet

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Jean-Jacques Friboulet, « «Des biens premiers aux capacités» », Revue Quart Monde [En ligne], Dossiers & Documents (2002), mis en ligne le 18 octobre 2010, consulté le 29 mars 2024. URL : https://www.revue-quartmonde.org/4839

L'Union européenne s'est donné des objectifs élevés en matière de lutte contre la pauvreté. L'importance de l'agenda social a été soulignée aux Sommets de Lisbonne puis de Nice. Les États membres ont été invités à soumettre à la Commission des Plans nationaux d'inclusion sociale. Pour rendre possible une évaluation des résultats, la construction d'indicateurs d'inclusion sociale a été développée. La liste initiale des indicateurs mettait l'accent de façon très exclusive sur l'emploi, le revenu et l'éducation. Elle s'est peu à peu étoffée dans la perspective du développement humain, en y incluant des données relatives à la santé et au logement.

Cette ouverture à de nouveaux champs est à l'évidence un progrès, car l'inclusion sociale est multidimensionnelle, mais la liste d’indicateurs est encore limitée. Elle ignore complètement certains droits fondamentaux des populations pauvres, comme les droits culturels : droit à l'information et à la participation à la vie culturelle, droit d'accès au patrimoine ou droit au respect de l’identité culturelle. Mais surtout elle ignore le rôle des capacités dans la lutte contre la pauvreté. L'exclusion sociale correspond toujours à une réduction des capacités, tant individuelles que sociales, de la personne. L'inclusion est le phénomène inverse. Elle résulte de la mise en œuvre de ces capacités. Le texte qui suit insiste sur la définition et le rôle de ces capacités dans la perspective d'indicateurs participatifs de la pauvreté. Il le fait sur la base de deux types de considérations. Les premières sont théoriques et résultent de l'opposition mise en lumière par A. Sen entre capacité et utilité. Les secondes sont empiriques. Elles sont le fruit d'un programme de recherche mis en œuvre sur les indicateurs du droit à l'éducation, programme conduit à Fribourg dans le cadre de l'IIEDH1 en liaison avec la coopération suisse et quelques pays africains.

Des utilités à l'empowerment

Le concept d'empowerment est difficile à traduire en français. Il signifie le renforcement des capacités du sujet, autrement dit de ses compétences. Il implique que la personne soit capable de définir des projets de vie et de choisir les moyens de ces projets. La personne compétente peut concevoir des stratégies, à la différence de la personne simplement habile qui se limite à des actions au coup par coup. Cet empowerment est ce que le Prix Nobel d'économie A. Sen définit comme un développement des « capabilities ». Il ne s'agit pas simplement d'une acquisition de savoirs théoriques ou pratiques, mais d'une augmentation des possibilités de choix entre plusieurs fonctionnements. L'empowerment est un renforcement de la capacité de choix, une libération des potentiels du sujet en communication avec des opportunités offertes par d'autres. L'empowerment est ainsi une bonne définition de l'inclusion sociale.

Par contraste, l'exclusion sociale correspond à une réduction des choix de fonctionnement. Les activités de la personne sont surdéterminées par ses manques en termes de capital matériel, humain et social. L'exclusion sociale signifie donc un déficit de libertés, non seulement de libertés en puissance, pour reprendre les termes d'Aristote, mais aussi de libertés en acte, c'est-à-dire de libertés mise à l'épreuve ou de droits effectifs.

L'empowerment est devenu un thème classique des politiques de développement. Il n'y a pas un projet ou programme dans ce domaine qui ne fasse référence à la participation des acteurs. L'appropriation des résultats par les bénéficiaires du projet est une des clefs de la réussite. Ainsi, tout projet de développement est éducatif , car « l'éducation consiste inlassablement à attribuer ses actes à un sujet »2.

Quand on aborde le problème de la pauvreté, cette question de l'empowerment est curieusement négligée. Lorsque l'on observe la liste d'indicateurs prévue par la Commission européenne sur le sujet, aucun ne fait référence explicitement à cette appropriation. La raison en est simple et méthodologique. Les économistes et les statisticiens privilégient traditionnellement les moyens de la liberté à l'étendue de la liberté dont jouit effectivement une personne. En d'autres termes, ils choisissent arbitrairement comme base d'information les ressources que les individus possèdent plutôt que les capacités qu'ont ceux-ci de choisir différents modes de fonctionnement et donc différentes stratégies de vie. La plupart des spécialistes en la matière ont une vision utilitariste de la justice en termes de maximum d'utilité pour le plus grand nombre. Et ce maximum d'utilité ou de bien-être est assimilé par hypothèse à un maximum de produits utiles à la vie et non à une optimisation des compétences.

Cette vision est à la fois utilitariste et matérialiste puisqu'elle laisse volontairement de côté les capitaux culturel3 et social indispensables à la vie. Aussi, en termes d'indicateurs, deux démarches s'opposent : celle qui évalue un ensemble de biens premiers (revenu, éducation, logement,…) en dessous desquels on est considéré comme pauvre et celle qui évalue les capacités, donc les libertés effectives.

Dans un livre récent4, A. Sen expose les fondements  et les conséquences de cette opposition. L'auteur est un ardent défenseur de la méthode des capacités. Etant originaire d'Asie du Sud, il a pu mesurer l'importance de celles-ci dans la lutte contre la pauvreté. Sa critique d'une évaluation de la justice en termes de biens premiers est fondée sur trois propositions. La première est l'indifférence de cette méthode à la question de la distribution du bien-être et des inégalités. Dans ce domaine, le seuil de pauvreté, quel que soit son niveau, est un outil rudimentaire, car il ne dit rien sur la répartition des revenus qui sont inférieurs à ce seuil. Si l'essentiel de ceux-ci sont dans le voisinage de cette limite, la situation en termes d'inégalités est très différente de celle où la dispersion des bas revenus est très forte.

En second lieu, A. Sen critique le désintérêt de la méthode des biens premiers pour les questions de droits et de libertés. La Charte des droits fondamentaux de l'Union Européenne5 précise un certain nombre de principes qui sont complètement ignorés par les indicateurs de la pauvreté. Ainsi en est-il de toutes les libertés civiles et politiques qui sont exclues des indicateurs. Il en va de même pour de nombreux droits économiques et sociaux. Les droits des personnes vulnérables (enfants, personnes âgées, handicapés) sont oubliés. Mais même certains droits plus classiques voient leur contenu mis aux « oubliettes » par les indicateurs. La pauvreté relative au travail est réduite au chômage, ce qui est une caricature. L'impossibilité d'avoir accès à un service de placement (article 29 la Charte) ou à une formation continue (article 14 alinéa 1 de la Charte) sont des phénomènes d'exclusion aussi graves que le chômage en tant que tel. Eu égard au droit à l'éducation, la définition de la pauvreté en termes de niveau d'études suivies ne dit rien sur les capacités réelles acquises par les personnes et sur les droits d'accès réels à la formation. On pourrait ainsi multiplier les exemples. Les indicateurs en termes de biens premiers ignorent profondément le contenu des droits fondamentaux des personnes et leur logique interne, en particulier celle de l'indivisibilité. Or l'exclusion sociale est d'abord une situation d'absence de droits. Compter les personnes qui s'estiment en mauvaise santé n'a aucun intérêt pour la politique sanitaire. Il est plus intéressant de connaître celles qui sont a priori exclues du droit à la santé, c'est-à-dire celles qui n'ont pas accès au système de soins.

La troisième critique qu'Amartya. Sen adresse à la méthodologie utilitariste est que celle-ci ignore le problème de la conversion des biens en capacités. Nombre de personnes, jugées comme « pauvres » en termes de revenu et d'autres biens premiers, présentent des caractéristiques (âge, handicaps, mauvais État de santé,…) qui leur rendent plus difficile cette conversion en capacités de base telles que se déplacer ou prendre part à la vie de la collectivité. L'égalité des hommes et des femmes relève de la même problématique. Des facteurs biologiques et sociaux (liés à la grossesse, aux obligations associées aux enfants, aux rôles traditionnels) font que la capacité des hommes et des femmes à convertir les mêmes biens premiers en choix de vie est très différente.

Cette dernière objection d'A. Sen à la méthodologie utilitariste est très importante. La détention des moyens est une condition nécessaire et non suffisante de la lutte contre la pauvreté. Celle-ci suppose d'abord la capacité de se servir des biens premiers. À quoi sert le versement d'allocations ou d'aides de toute nature si la personne est recluse dans son logement, faute de réseaux sociaux ou d'une maîtrise suffisante de son environnement culturel ? Mesurer les seuls moyens, c'est rester à la lisière des phénomènes d'exclusion. Nous avons fait il y a quelques années une étude sur les chômeurs en fin de droit dans le canton de Fribourg. Il ressortait de cette étude que plus que le chômage, la solitude était le principal handicap à l'insertion sociale. Les chômeurs les plus en difficulté n'avaient pas l'appui d'une parenté ou de relations sociales. C'était des hommes seuls, plus âgés que la moyenne des chômeurs en fin de droit ou des femmes seules avec très souvent la charge de plusieurs enfants. La principale caractéristique de la situation de pauvreté était l'absence de choix, l'impossibilité de construire des stratégies pour sortir d'une situation difficile.

Que retenir de ces quelques considérations pour la construction d'indicateurs participatifs de la lutte contre la pauvreté ? En premier lieu, que toute méthode est normative. Privilégier les biens premiers au détriment des capacités correspond à une vision utilitariste de la justice. Le bien-être est supposé provenir des utilités détenues et celles-ci sont exclusivement le résultat de la détention d'un revenu, d'un travail, d'un minimum d'éducation scolaire ou d'un logement. Peu importe si on ne sait pas gérer son revenu, si le travail vous installe dans la précarité et vous oblige à avoir plusieurs activités, si l'éducation obligatoire vous laisse dans l'illettrisme ou si votre logement décent vous exclut des réseaux qui vous permettraient de construire une identité. Cette vision utilitariste de la justice correspond à une certaine conception de la personne : un individu isolé de tout lien social qui sait toujours optimiser l'utilisation de ses biens pour en faire des capacités. Le pauvre vu par les indicateurs sociaux traditionnels est un homo-economicus en miniature.

La réalité est moins simpliste. L'aptitude à transformer les opportunités en capacités est une des difficultés essentielles de l'exclusion. Le refus de considérer la personne dans sa culture et ses liens sociaux est une offense à la dignité humaine qui est contraire à la Charte des droits fondamentaux et ne peut conduire qu'à des déboires dans la lutte contre la pauvreté. Donner une image tronquée de la pauvreté à travers des indicateurs sociaux portant sur les moyens des libertés plutôt que sur les libertés elles-mêmes, contredit le droit à l'information de tout citoyen européen qui est rappelé à l'article 11 de la Charte de l'UE.

Une objection pourrait être faite ici qui relèverait en fait d'un malentendu. Dans les derniers paragraphes la méthode proposée par la Commission a été qualifiée de « méthode des moyens » à l'opposé de la « méthode des capacités ». Or, les statisticiens considèrent les indicateurs proposés comme des évaluations de résultats ou d'états et non des évaluations de moyens. Le qualificatif d'indicateurs de moyens n'est-il pas ainsi abusif ? Il l'est si on se place dans une logique de production qui consiste à comparer les moyens d'une production avec les résultats de celle-ci. Les indicateurs proposés prennent bien en compte le niveau d'éducation atteint de façon théorique et non les dépenses d'éducation consacrées pour y parvenir. Mais le qualificatif d'indicateurs de moyens n'est pas exagéré si on se place du point de vue des libertés. Tant le revenu, que la taille du logement ou l'obtention d'un travail mesurent des moyens de la liberté. Ils ne mesurent pas les dimensions réelles de cette liberté. Et nous faisons face ici à un paradoxe de notre société libérale qui propose d'excellentes analyses des libertés dans ses Chartes et refuse de les mesurer dans ses indicateurs. Il serait temps de revenir à l'inspiration des libéraux classiques anglais (comme par exemple Adam Smith dans La Richesse des Nations) qui voyaient dans la division du travail, l'échange, l'épargne… des outils de la liberté et non ces libertés elles-mêmes. À la différence d'Adam Smith, nos sociétés libérales contemporaines commettent le plus souvent une confusion entre les moyens et les fins.

Enjeux et modalités d'une mesure par les capacités

La substitution de la méthode des capacités à la méthode des biens premiers suscite immédiatement plusieurs interrogations.

- Ne préjuge-t-elle pas des valeurs morales choisies par les individus ? Autrement dit, la définition des capacités n'intègre-t-elle pas la définition d’un mode de vie précis ce qui rentrerait en conflit avec la vision occidentale des libertés ?

- En quoi la méthode des capacités permet-elle un empowerment des informations par les intéressés eux-mêmes qui est impossible par la méthode des biens premiers ?

- Une dernière interrogation porte sur la faisabilité même de la méthode. Quitter le terrain des biens premiers pour entrer dans le domaine des compétences n'est-ce pas ouvrir une boîte de Pandore qui ne permet pas d'aboutir à des indicateurs précis et aisément compréhensibles ?

La première interrogation trouve une réponse rapide. La méthode des capacités prend en compte la liberté qu'a une personne de choisir ses modes de fonctionnement. Elle n'implique pas le choix d'un mode de vie précis. Elle évalue les capacités stratégiques d'une personne et non le résultat de ces stratégies. Elle est donc normative dans le choix des compétences à prendre en compte, mais elle ne l'est pas à propos des résultats de ces compétences.

La deuxième interrogation est centrale pour nos journées d'étude. En quoi la méthode des capacités est-elle facteur d'empowerment, d'appropriation par le sujet de ses actes ? La réponse est simple, mais exigeante dans sa mise en œuvre. La définition des capacités doit venir des personnes concernées, c'est-à-dire des acteurs. Il ne peut être question de définir universellement les différents modes de fonctionnement bons pour toutes les personnes. « Il y a de bonnes raisons de penser qu'il existe une pluralité de capacités parce qu'il existe une pluralité de fins et d'objectifs que les êtres humains peuvent poursuivre »6. Dans la méthode des capacités, les compétences nécessaires à l'inclusion sociale doivent être définies avec la participation des personnes "pauvres" ou des institutions qui les représentent. Cette démarche participative permet de préciser les champs d'activités cruciaux pour la lutte contre la pauvreté et donc les capacités nécessaires pour y faire face. Cette démarche a été suivie par notre institut dans sa recherche sur l'effectivité du droit à l'éducation en Afrique subsaharienne.

Partis avec des hypothèses classiques sur les compétences devant être acquises dans un système scolaire, nous avons découvert, par la confrontation et la discussion avec les acteurs de l'éducation de base que notre vision des capacités respectait un ordre de valeurs différent du leur. Pour eux, l'acquisition des capacités met en cause par ordre d’importance les quatre types de valeurs suivants :

- en premier lieu, des valeurs relatives à l'acceptabilité du système de formation : la clarté des objectifs, la diversité des acteurs, la diversité culturelle, la liberté de l'enseignement, le dialogue démocratique entre les acteurs ;

- en second lieu, son adaptabilité : l'efficacité, la souplesse des programmes, la qualité de l'information, la diversité des filières ;

- en troisième lieu, son accessibilité : la non-discrimination (par genre, par âge, par région), l'accessibilité économique (en particulier la gratuité de l'enseignement de base), l'accessibilité spatiale (caractérisée par la proximité et la sécurité physique des personnes) ;

- enfin, la dernière valeur citée étaient les dotations humaines et matérielles des systèmes de formation.

Sans l'intervention des personnes concernées, et en tant qu'experts, nous aurions eu tendance à fonder la construction des capacités sur les dotations alors que les valeurs d'acceptabilité et d'accessibilité sont apparues au bout du compte les plus importantes. Il existe dans ces pays subsahariens une non-effectivité du droit à l'éducation qui est liée à l'inadéquation profonde des systèmes de formation à la vie réelle des personnes.

Notre exemple indique que la définition des capacités à prendre en compte pour la réalisation du droit à l'éducation ne peut se faire entre experts. Tout porte à croire qu'il en est de même pour la lutte contre la pauvreté. Avant de formuler des indicateurs, il faut préciser les valeurs à prendre en compte et ce résultat ne peut être obtenu qu'avec la participation des acteurs des champs concernés.

Dans l'exemple que nous citons, il est intéressant de souligner la synergie des capacités institutionnelles et personnelles. En fait, il n'existe pas de conflit entre les deux, car les capacités institutionnelles n'existent que comme mécanisme d'interaction entre les personnes. Si l'on se limite aux moyens des libertés comme le font les indicateurs sociaux traditionnels, on oublie facilement les institutions. Si l'on raisonne sur l'étendue des libertés elles-mêmes, les acteurs rappellent l'importance de l'existence des capacités institutionnelles dans le champ d'étude. Nous l'avons constatée dans le domaine des capacités éducatives. Mais les travaux récents en matière de développement le confirment en rappelant l'effet multiplicateur des capacités personnelles et institutionnelles les unes sur les autres7.

Il reste une dernière interrogation. En ouvrant le champ des indicateurs à la question des capacités ne va-t-on pas se retrouver face à une multitude de variables entre lesquelles il sera impossible de se déterminer ? Comme nous l'avons signalé plus haut, les différentes capacités sont nécessairement adaptées au contexte. Ne sommes-nous pas confrontés à une pluralité de valeurs ou de dimensions que nous serons incapables d'intégrer dans les indicateurs ?

Cette crainte serait fondée si le passage des libertés aux capacités ne se faisait pas par un certain nombre de droits fondamentaux qui ont une portée universelle. Certes, les capacités sont diverses mais les droits qui les fondent sont en nombre limité. Si la lutte contre la pauvreté est nécessairement pluridimensionnelle, elle se réfère à un nombre de droits qui est fini. Il est intéressant de les répertorier dans la Charte des droits fondamentaux de l'UE. Dans le chapitre 1, les articles 1 et 5 sont plus particulièrement concernés. De même au chapitre 2, les articles 6, 9, 11, 12, 14, 15 et 17. Au chapitre 3 on peut faire référence aux articles 21, 22, 23, 24, 25, 26. Au chapitre 4, les références sont plus spécialement les articles 29, 31, 32, 34, 35. Au chapitre 5, doit être cité l'article 41. Au total dans une première approche, 21 articles sur 54 sont particulièrement importants pour les situations de pauvreté. Le champ des libertés à envisager est donc substantiel. Il n'est ni illimité, ni indéterminé. Plusieurs programmes de recherche conduits en partenariat avec les acteurs concernés permettraient de le sillonner et de déterminer les principales valeurs que devraient prendre en compte les indicateurs.

Par ailleurs, les droits ont une propriété d'indivisibilité qui est intéressante pour notre propos. Elle démontre qu'il est impossible de lutter contre la pauvreté par une seule capacité. L'action doit nécessairement porter sur un ensemble de compétences qui se renforcent les unes les autres.

Cette dimension systémique des compétences, qui provient de l'universalité des droits et de l'unité de la personne humaine, est précieuse du point de vue stratégique. Elle permet que la détermination des indicateurs ne soit pas un pur travail de dénombrement, mais ouvre sur l'action. Dans notre programme de recherche sur le droit à l'éducation8, les acteurs concernés ont mis en lumière par exemple la synergie parents-enfants. Il est impossible de faire reculer l'analphabétisme des filles si les mères ne peuvent pas avoir accès à des programmes d'alphabétisation adaptés, dans des pays où les gouvernements n'ont pas les moyens financiers d'imposer la scolarité obligatoire et où le niveau de vie est proche du minimum de subsistance.

Conclusion

Dans cette première approche par les capacités, il a été démontré que tout ensemble d'indicateurs est nécessairement normatif. À la différence de la méthode des biens premiers, celle des capacités fait référence à l'étendue des libertés et non aux moyens de ces dernières. Elle est donc plus exigeante, mais plus conforme aux idées de la justice sociale qui prédominent dans nos sociétés contemporaines. À l'orée du XXIe siècle, un ensemble d'indicateurs sur la pauvreté ne peut se contenter de compter les pauvres comme le faisaient les recensements du XIXe siècle. Il doit favoriser une appropriation de leurs capacités par les populations concernées. Plutôt que de donner la priorité au manque (de logement, de santé, d'éducation, de revenu,…), la recherche sur les indicateurs sociaux devrait mettre l'accent sur les capacités déjà acquises ou à acquérir pour lutter contre la pauvreté. Il s'agit d'une autre perspective ouverte par A. Sen et qui s'avère, comme nous l'avons vérifié sur la question du droit à l'éducation, particulièrement fructueuse.

1 IIEDH : Institut interdisciplinaire d’éthique et des droits de l’homme
2 VACQUIN M. (1995), Préface à la responsabilité, la condition de notre humanité, Paris, Autrement (n. 14)
3 FRIBOULET J.-J. et GAPANY H. (2001), « Droits culturels et développement, à la recherche de principes d'indication » in La pierre angulaire, le flou
4 SEN A. (1993), Ethique et Economie, Paris, Puf traduit de Ethics and Economics, Oxford (1991)
5 Charte des droits fondamentaux de l'UE (2000, Journal des Communautés européennes, C364/1)
6 SEN A. (1999), L'économie est une science morale, Paris, La Découverte, n°31
7 Banque mondiale. Rapport sur le développement dans le monde (2000/2001), Combattre la pauvreté, Washington DC
8 Tous les documents le concernant peuvent être consultés sur le site internet suivant: http://www.unifr.ch/hepe
1 IIEDH : Institut interdisciplinaire d’éthique et des droits de l’homme
2 VACQUIN M. (1995), Préface à la responsabilité, la condition de notre humanité, Paris, Autrement (n. 14)
3 FRIBOULET J.-J. et GAPANY H. (2001), « Droits culturels et développement, à la recherche de principes d'indication » in La pierre angulaire, le flou crucial des droits culturels, M. Borghi, P. Meyer-Bisch, Fribourg, Edition Universitaires
4 SEN A. (1993), Ethique et Economie, Paris, Puf traduit de Ethics and Economics, Oxford (1991)
5 Charte des droits fondamentaux de l'UE (2000, Journal des Communautés européennes, C364/1)
6 SEN A. (1999), L'économie est une science morale, Paris, La Découverte, n°31
7 Banque mondiale. Rapport sur le développement dans le monde (2000/2001), Combattre la pauvreté, Washington DC
8 Tous les documents le concernant peuvent être consultés sur le site internet suivant: http://www.unifr.ch/hepe

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