Les six années de fondation de la Maison des Savoirs à Bruxelles, c'était comme la mise au monde d'un enfant. Cet enfant qui était en nous, qui était dans chacun des participants et qui était aussi le fruit de l'aventure et du travail accompli dans les ateliers de création. Car c'était une aventure et un travail.
Aujourd'hui, l'enfant collectif est dehors, il est sorti de nous, est vu par les autres. D'autres le font grandir, mûrir, évoluer.
Et chaque participant à l'aventure a changé, au cours de ce travail de connaissance de soi, des autres, du monde.
Pour reprendre l'image ancienne d'un mythe toujours jeune : l'enfant-fruit qui naît pendant le travail et l'aventure de création serait caché dans le feuillage de « l'arbre de la Connaissance », autour duquel la main s'active, apprivoise la matière, manipule l'outil, fait sortir les formes, dans la confrontation avec les autres hommes qui s'exercent au même exercice.
Caresse, confrontation, contemplation, mais jamais consommation... Lent travail d'approche. Duquel je sors plus solide, plus paisible et unifiée au fond de moi-même (tout au fond), plus proche de ce qui fait ma dignité d'Homme, mais aucune définition ne peut rendre compte une fois pour toutes du changement opéré en moi et dans les autres. On ne peut que tourner autour, caresser le rêve de connaissance en marche, contempler les progrès en cours, confronter les points de vue de chacun des participants... mais, hélas, on ne peut pas en consommer de définition.
Pourquoi ?
Parce que rien n'est fini, c'est une histoire à suivre de près, une histoire à rebondissements.
Comment mettre la vie qui va et vient en équation ? Je m'émerveille tous les jours - trois ans après avoir quitté la Maison des Savoirs - de tout ce que les participants m'ont donné à voir, à entendre, à connaître d'eux, de moi, du monde, et que je n'ai pas fini de ruminer, d'explorer... « L'homme est une machine très compliquée », disait l'un d'eux.
Et encore ?
Quand l'espace et le temps de l'expression créatrice ont été ouverts, il n'y a plus de riche ou de pauvre, de jeune ou de vieux, d'instruit ou d'illettré. Il y a seulement l'enfant qui veut naître en chacun, qui renaît sans cesse, sur lequel chacun se penche, et grâce auquel nous nous découvrons en parfaite égalité.
Entendons-nous bien : en parfaite égalité, dans l'espace et pour le temps créés exprès, comme un moment choisi... Et après ?... Après, la vie, les soucis, les malentendus, les déménagements, recommencent.
Mais nous sommes aujourd'hui chacun plus forts parce que nous n'oublierons pas, nous n'oublierons plus l'appel de l'enfant, entrevu en nous, chez les autres, et dans l'épaisseur du monde, pendant ce moment choisi où nous nous laisserons guider par ce désir infini de beauté et de grandeur, qui fait de nous des hommes, et nous chercherons à lui donner corps et matière partout où nous irons, et avec tous ceux que nous rencontrerons, dans une création jamais finie.