Des actes, pas des paroles
- Georges de Kerchove
Se trouvent ici des personnes que j’ai déjà eu l’occasion de présenter :
Mme Delatte, M. Naves et M. Tapsfield, qui a travaillé pendant quelques années comme travailleur social avant de se spécialiser dans le domaine de la famille et de l'enfance. Responsable pendant cinq ans d'une équipe en charge du suivi auprès des enfants placés, il a ensuite travaillé comme « directeur régional » (District Manager) des services de la famille et de l'enfance. Il devient directeur (Chief executive) de Family Rights Group en avril 99. Family Rights Group travaille en lien avec des familles, des professionnels, des responsables politiques et des chercheurs, en vue d'améliorer la qualité des services offerts aux familles en contact avec les services sociaux. Il assure la promotion de mesures et de pratiques qui permettent une totale participation de ces familles aux projets et aux décisions prises par rapport à leurs enfants. Family Rights Group participe aussi à la conception et la mise en place de tels services. Nous pourrons lui poser certaines questions au sujet de la façon dont les choses se passent en Grande-Bretagne.
- Pierrette Thèbe, travailleuse familiale
Je voudrais d'abord dire que les familles m'ont beaucoup apporté. Si je suis ce que je suis, c’est en grande partie grâce à elles. Quand je vais dans une famille, même si on me dit que ce sont des familles qui ne valent rien, moi je pense qu’il y a toujours du positif en elles et c'est à moi de le découvrir ; jusqu’à maintenant, j’ai toujours découvert du positif dans ces familles, toujours. Ainsi, on parlait avec une maman de livres, elle me dit : « J’ai des livres à la maison ». Comme je n’en avais jamais vu, on a continué à parler et j’ai compris que les livres, ce n’était pas des livres comme je les entendais moi, dans ma tête, c’était la pub qu’on trouve dans les boîtes à lettres. Et moi qui avait vraiment envie d’amener des livres dans cette maison, j’ai apporté un petit livre (elle avait un enfant de trois ans je crois) uniquement avec des dessins. J’ai raconté l’histoire du dessin à l'enfant et j’ai dit à la maman : « Mais ça, vous pouvez le faire aussi ! » Et la fois suivante, j'en ai apporté un autre, sans texte et j’ai laissé le livre à la maman. Je pense qu’elle l'a lu avec son enfant et ensuite, je lui ai proposé d’aller à la bibliothèque pour inscrire son enfant et rapporter des livres chez elle. Et elle me disait : « Je ne sais pas bien lire, je ne saurai pas » et je lui ai répondu : « Mais justement, en inscrivant votre enfant, vous pouvez prendre des livres où il n’y a pas beaucoup de choses à lire, et, petit à petit, vous pourrez prendre des livres avec plus de texte ». Je crois qu’elle l’a fait et j'en suis contente.
- Nadine Boigelot, psychologue
J'ai été chargée par trois personnes d’être leur porte-parole : elles souhaitent vous transmettre leurs réflexions à la suite de ce qui a été dit lors de la plénière.
Il existe des lois pour défendre le droit de vivre en famille mais les parents constatent que ces lois ne sont pas très bien appliquées. Ils disent : « Quand on veut faire entendre nos droits, on se rend compte que les professionnels n'ont pas le temps de nous écouter, certains oublient même nos dossiers ! » Les parents estiment que la révision d’un dossier tous les ans, c’est trop long comme laps de temps et que ça ne sert à rien parce qu’ils ont l’impression que le placement est chaque fois prolongé.
Ces personnes veulent aussi réagir par rapport au fait qu'il a été dit ce matin qu'il y a moins d'enfants placés en Belgique : elles n’y croient pas, elles constatent que les institutions en Belgique restent surpeuplées. Pour elles, il n’y a pas assez d’éducateurs dans les institutions.
Vous avez parlé de la notion d’accord : qu’est-ce que ça veut dire, l’accord ? Trop souvent encore, les services sociaux font des dossiers sans les montrer aux parents ; qui nous garantit aussi, à nous parents, que les services sociaux n’ajoutent pas des choses sans nous les montrer ? Comment peut-on vérifier que les parents sont vraiment d'accord avec ces décisions et qu’ils ne se sentent pas obligés d’être d’accord ?
Un autre terme qui a suscité des réactions, c’est la notion « d'inévitable. » Il a été dit ce matin qu’on peut décider d’un placement lorsqu’il s’avère inévitable Que veut dire inévitable pour les professionnels ? Que veut dire inévitable pour les parents ?
Une réaction générale des parents : ils disent que, pour eux, ils ont le droit de savoir tout ce qui concerne leurs enfants et le droit d’avoir accès au dossier.
Un dernier point, en ce qui concerne l’obligation faite aux services sociaux de motiver l'aide accordée. Que fait-on du libre choix de la famille, c’est-à-dire du désir de la famille de s’adresser à tel service plutôt qu’à tel autre ? Qui motive l'aide : les professionnels ou les parents ?
- Paulette Liard, militante Quart-Monde
Ces journées nous ont apporté, à chacun, matière à réflexion : beaucoup d’entre nous repartent avec l’espoir que les paroles entendues seront déterminantes pour que la parole des familles et celle des enfants soient prises en compte et soient écoutées. Chaque fois qu’un dossier sera monté, il faut éviter d'invoquer un danger pour l’enfant sans avoir pris compte de l'avis de ses parents, sans les avoir consultés. Paroles déterminantes pour que soient reconnus le droit d’accès au dossier écrit par les assistantes sociales, le droit de vivre en famille. Éviter de porter des jugements sur la pauvreté et la misère, expliquer à ceux qui ne savent ni lire ni écrire ce qui est leur droit, aller au delà des préjugés, des a priori. Notre combat à nous ne sera appliqué que dans quelques années, mais nous sommes prêts à cueillir les fruits de nos efforts ensemble, nous les familles, les alliés, les volontaires et tous ceux qui, autour de nous, auront compris que la vie n’est pas toujours facile et que c’est ensemble qu’il faut se battre. Car la réponse se trouve dans les familles qui ont souffert et qui souffrent encore.
- Susan Harris, militante Quart-Monde
« À l’avenir, il faudrait que les enfants restent avec leur famille et que les familles soient soutenues » : nous en avons assez d’entendre ça, maintenant le temps est venu d’agir !
- Marlène Combot, militante Quart-Monde
Quand je suis arrivée avec mes enfants en Bretagne, je pensais me faire aider par les travailleurs sociaux, mais ça n’a pas marché. Je vois aujourd’hui que quelques travailleurs sociaux veulent aider les parents. Il faut soutenir les parents, même quand les enfants sont placés. Il faudrait aussi essayer de nouvelles pistes avec les familles et aller jusqu’au bout des choses, jusqu’à ce que cela réussisse. Pour prouver que c'est possible, il faudrait faire un endroit pilote où on suivrait la famille, pour voir ce que ça donne.
- Danièle Delatte-Gévaert
Je vais réagir à ce qui me paraît concerner plus directement la Belgique. Si j’ai bien retenu, la première question posée c’est : « Les travailleurs sociaux n'ont pas le temps d'écouter la famille. » Il est certain que les textes sont très importants parce que c’est à partir de là qu’on peut se défendre, néanmoins les textes ne se suffisent pas à eux-mêmes. Il faut voir la manière dont ils sont mis en pratique et il faut aussi se battre pour que les textes soient bien mis en pratique. Donc, autant je pense que les textes, dans la plupart de nos pays, sont bons, autant toute la discussion a montré que la pratique, elle, était loin d’être à la hauteur des textes. En ce qui concerne le temps, c’est clair, on l’a dit, pour pouvoir bien travailler avec les familles, il faut prendre le temps et c’est vrai aussi, je suis convaincue que les travailleurs sociaux ne prennent pas suffisamment le temps. Mais, eux, ce qu'ils disent – je ne suis pas travailleuse sociale moi-même et donc je suis obligée de me fier à ce qu'ils disent – c’est qu’ils voudraient pouvoir prendre le temps, c’est même une revendication de leur part (je suis témoin de cette revendication), mais qu’ils n’ont matériellement pas le temps parce qu’ils ne sont pas en nombre suffisant. C'est certainement une réalité en Communauté française mais j’ai cru comprendre que partout ailleurs c'est aussi le cas. Donc, c’est vrai qu’ils n’ont pas le temps. D’autre part, les moyens sont ce qu’ils sont et comme il ne faut pas espérer doubler brusquement le nombre de travailleurs sociaux, il y a peut-être une réorganisation du temps à faire, c’est là que la réflexion doit porter.
La deuxième question est très importante, c’est la notion d’accord et ça, je ne sais pas si ça existe ailleurs mais en Belgique, et en Communauté française en particulier, pour l’aide volontaire, on demande aux parents et au jeune aussi, s’il a plus de quatorze ans, de formaliser un accord et donc une signature de leur part. Quelle est la réalité de cet accord ? Là aussi, je dois avouer que c’est une réflexion que nous avons eue et nous avons été incités à réfléchir à ce problème grâce aux réunions qu’on a eues avec ATD Quart Monde et Lutte Solidarité Travail (LST), dans la mesure où on se rend compte que, derrière cette notion d’accord, il y a des tas de choses qui sont sous-jacentes, parce qu'on sait très bien que, pour certaines familles, à tort ou a raison (peut-être parfois à tort mais parfois et souvent à raison), elles se disent : « Si on ne donne pas notre accord, ça va aller au tribunal », c’est donc vrai qu'il faut avoir une réflexion sur cette notion d’accord.
Quant à l’accès au dossier, c’est une réalité, en tout cas au niveau des textes : les familles ont accès à leur dossier mais il y a des limites à cet accès. J’ai cru comprendre que la revendication portait sur ce point-là, c’est-à-dire que l’accès direct des personnes aux pièces du dossier social est limité aux pièces qui les concernent personnellement. J'ai cru comprendre que le souhait des familles était d’avoir accès aussi aux pièces qui concernent leurs enfants. C’est une discussion qu’on peut avoir: on a limité cet accès dans la mesure où, si un jeune (à partir de quatorze ans) sait que ces parents vont pouvoir lire son dossier ou, si les parents savent que leur adolescent va pouvoir lire ce qu’ils ont dit, et bien, on craint qu’il y ait peut-être une restriction au niveau de la liberté de la parole. Mais je pense qu’effectivement ça peut être discuté aussi.
Qu'en est-il du nombre de placements ? Je ne pense pas avoir dit que le nombre de placements a diminué. Le souhait était que les placements diminuent, et, en élaborant les textes en Communauté française, le souhait était celui-là. Mais j’ai aussi évoqué des chiffres et j’ai dit, dans le rapport que nous avons fait à l’administration, que les placements ne diminuent pas, qu’au contraire ils sont proportionnellement en augmentation. Il y a plusieurs raisons à cela : il y a notamment un plus grand contrôle social. Tout d’abord, la situation économique se détériorant, il y a un plus grand nombre de situations qui arrivent vers les services sociaux, c’est peut-être une raison ; il y aussi - on en a parlé - le manque de temps, qui est évoqué par les travailleurs sociaux, qui fait qu'on va parfois à la solution de facilité. Mais la diminution des placements reste un combat, c’est clair, même si, dans les faits, ils n’ont pas diminué comme on l’aurait souhaité.
Quant au « placement inévitable », je suis mal placée pour répondre à cette question, je pense que c’est aux travailleurs de terrain d'en parler. Il y aussi toute une réflexion à avoir, et je pense que cette réflexion est entamée dans le cadre des réunions qu’on a maintenant avec l’administration et les associations ATD Quart Monde et LST, mais aussi avec les décideurs, c’est-à-dire les conseillers et les directeurs de l’Aide à la jeunesse, qui sont les autorités administratives qui décident du placement, et des représentants des travailleurs sociaux.
- Georges de Kerchove
Ce que je trouve extrêmement interpellant, c'est qu'on voit en Belgique des textes qui ont été revus il y a peu, qui semble-il, correspondent bien à la sensibilité actuelle et pourtant les placements restent constants, et pourtant il y a un manque flagrant de temps donc de moyens. Quelle serait la réponse à apporter ?
Enfin, il y a tout ce travail qui doit encore être fait, et je dirais que le texte législatif est à mes yeux un préalable mais est insuffisant et ne répond probablement pas à l'obligation positive dont Françoise Tulkens nous parlait.
- Danièle Delatte-Gévaert
Je voudrais ajouter à quel point les textes ne font pas tout. J'ai parlé ce matin de la loi de 1965, en disant que c'était une loi beaucoup moins évoluée, en tout cas beaucoup plus paternaliste que le décret. On a fait, en 1972 si je me souviens bien, une expérience dans deux arrondissements belges, l'un en Wallonie et l'autre en Flandre : avec la loi telle qu'elle était, on a pratiquement doublé le nombre de travailleurs sociaux dans ces arrondissements et, comme par hasard, on a constaté que les placements avaient diminué de manière extraordinaire. Et ça, c'est vraiment une question de moyens.
- Pierre Naves
J'aurais quelques remarques, compléments ou parfois quelques éléments de réflexion complémentaires à apporter.
À propos de Mme Thèbe, qui est travailleuse familiale, même si maintenant il faut dire « technicien d'intervention sociale et familiale », Bruno Cathala et moi nous répétons souvent que ce mode d'intervention est particulièrement bien approprié, mais il n’est malheureusement pas assez développé. Certains conseillers généraux croient faire des économies en préférant une mesure de milieu ouvert avec un éducateur à l'intervention d'une travailleuse familiale. Comment arrivera-t-on à sortir de cette contradiction, aujourd'hui, entre un certain nombre de personnes qui disent qu'il faudrait développer ce mode d'intervention et les deux contraintes actuelles : des contraintes budgétaires que certains conseillers généraux mettent en avant et la faiblesse du nombre des travailleuses familiales formées et devant être formées. Actuellement, sur les postes ouverts en France, on manque de huit cent professionnelles formées. Alors comment arrivera-t-on à sortir de ces contradictions ? D'abord, je crois savoir qu'il y a un effort exceptionnel prévu d'augmentation des promotions formées, mais ça prendra du temps ; deuxièmement, la façon dont peuvent être conçus les modes d'intervention évoluera progressivement, département par département, conseil général par conseil général.
C'était ma première réflexion. Je vais un tout petit peu la compléter après avoir entendu pas mal de travailleuses familiales et avoir travaillé avec un certain nombre d'entre elles : j'ai cru comprendre qu'il y avait, au-delà de l'action individuelle, la possibilité de se lancer dans une action collective, une fois que la confiance s'est constituée entre familles/parents et intervenant social et reprise de confiance en soi des parents. Il s'agit de dépasser un mode d'intervention au domicile où on appuie une personne jusqu'à arriver à mobiliser plusieurs personnes dans une proximité géographique, dans une proximité de problèmes posés. Je pense donc que c'est extrêmement porteur d'évolution quant à la façon de comprendre quels sont les besoins des familles et pour permettre à ces personnes-là de bâtir, par elles-mêmes, une autre façon d'être.
Je vais maintenant aborder la question des moyens en rappelant trois chiffres qui sont assez significatifs. En France, les dépenses de l'aide sociale à l'enfance (ASE) c'est 30 milliards de francs ; les dépenses d'action sociale des CAF, 15 milliards et les prestations versées par les CAF (allocations familiales, allocation parent isolé, allocation logement…) c'est 250 milliards. Donc il y a des sommes considérables qui sont en jeu. Et je pourrais encore ajouter d'autres sommes, qui n'ont pas forcément de traduction budgétaire facile à appréhender dans les documents officiels mais qui peuvent être appréhendées par rapport au nombre de personnes intervenant, c'est-à-dire tout le personnel de l'Éducation nationale en France : non seulement le directeur d'école qui a un énorme rôle à jouer mais aussi toutes les autres personnes qui travaillent à l'Éducation nationale, assistantes sociales, infirmières, les personnes qui sont dans les RASED (Réseau d'aide spécialisée aux élèves en difficulté), etc. Il y a vraiment énormément de moyens qui sont disponibles.
Nous avons, Bruno Cathala et moi, fait trois types de préconisations :
D'une part, cibler quelques créations de postes là où il y a manifestement des faiblesses, en particulier le nombre de juges des enfants. Actuellement, un juge des enfants suit facilement entre cinq cent et mille dossiers, ce qui lui impose de travailler de façon sommaire, parce que, s'il ne travaille pas de façon sommaire, il ne peut pas prendre les décisions que la loi lui impose de prendre.
Deuxièmement, à travers la diminution du nombre de placements, dégager des marges de manœuvre financière qui peuvent être injectées sur du milieu ouvert.
Troisièmement, à travers un autre pilotage du système au niveau départemental, éviter ce qu'on pourrait qualifier « d'emballement bureaucratique », c'est-à-dire la multiplicité d'intervenants non coordonnés, qui amène à des répétitions des tâches, des procédures qui pourraient être repensées de façon beaucoup plus efficaces.
Donc, dans certains cas, il y a des moyens complémentaires à obtenir, dans d'autres, il faut peut-être uniquement travailler différemment. Et je peux assortir mon propos de quelques réflexions qui iront dans le sens d’une intervenante qui disait tout à l’heure : « Il y a des expériences qui doivent être tentées, il y a des essais… » Il y a beaucoup d’essais, il y a beaucoup d’expériences, il faut beaucoup d’innovations. Il existe des innovations que l’on peut décrire et qui sont d’ailleurs reprises un peu partout, lisez le rapport1 fait par la Fédération Nationale des Associations d'Accueil et de Réinsertion Sociale (FNARS) et l'Association Nationale des Assistants de Service social (ANAS), c’est une sorte d’expérience. Neuf ans de travaux y sont synthétisés. Ce qu’on peut arriver à en conclure, c’est que dans certains départements, il y a des organisations intelligentes qui arrivent, avec des moyens qui ne sont pas extrêmes, à un nombre de placements particulièrement faible. Par exemple, on peut citer un département, parce que je crois qu’il est vraiment très intéressant à étudier, le Gard, où le nombre de placements est relativement faible, grâce à la mise en place d’une coordination présente et active et une innovation dans les modes de placements, entre placements et milieu ouvert, avec des modes d’intervention qui sont a priori dérogatoires du droit mais qui, en fait, peuvent être réinscrits dans le droit dès lors qu’il y a une interprétation intelligente des textes.
- Robert Tapsfield
Je voulais revenir sur certains points :
Il me semble tout à fait fondamental que l'on ouvre les dossiers. Comment peut-on prendre des décisions concernant des enfants sans connaître leur dossier, sans s'y être penché ? Il est évident qu’il faut se pencher sur ces dossiers pour pouvoir faire preuve d’équité.
Deuxième point, c’est un fait que les travailleurs sociaux n'écoutent pas toujours les familles, il y a bien sûr des exemples plus positifs certes, mais c'est hélas trop souvent le cas. Revenons aussi sur le fait que les travailleurs sociaux n'ont pas le temps d'écouter les familles : j'ai été confronté à ce problème, mais, en fait, c'est une excuse ; nous manquons tous de temps mais c'est trop facile de dire que nous n'avons pas le temps. C'est une question d'attitude, une question de respect.
Enfin, ce qui est important pour moi dans cette conférence, ce que j'ai vu, c'est qu'il n'y a pas seulement des professionnels et des familles, il y a des collègues, des amis, qui luttent ensemble et qui se battent pour essayer de trouver des solutions, pour faire avancer les choses, pour faire partager leurs problèmes. Cette approche est tout à fait différente et c'est une bonne chose.
Donc si je retenais deux choses de ce colloque, ce serait :
1) L’importance d'impliquer les familles dans la formation des travailleurs sociaux. Les familles qui sont en lien avec les travailleurs sociaux, avec les professionnels, il faut les intégrer dans ce processus. En Angleterre, il est tout à fait possible que les travailleurs sociaux soient formés et bien sûr, pendant cette formation, ils apprennent beaucoup sur les familles, sur les conséquences de ce qu’ils font ou de ce qu’ils vont faire, et de ce qu’ils appliquent.
2) Nous devons écouter les familles, nous devons développer davantage nos services, nous devons les concevoir de telle sorte que les enfants placés puissent être entendus, nous devons aussi pouvoir écouter les familles qui vont être bénéficiaires de ces services. Nous devons être les arbitres.
- Nicola Ferns, militante Quart-Monde
Je viens d’Angleterre, cela fait trente et un ans que je fais partie du Mouvement ATD Quart Monde. Je voulais vous poser la question suivante : de quel droit les services sociaux disent-ils aux enfants qu'ils doivent être adoptés, avant même d’être passés par les tribunaux ? Ils n’ont absolument pas le droit de le faire. Mes deux petites filles ont connu cela, c’est tout à fait injuste, c’est injuste qu'un enfant soit placé sans son accord.
Deuxièmement, en principe, les services sociaux devraient aider les familles, mais dans mon cas, malheureusement, je n'ai reçu absolument aucun soutien. Et mes deux petites filles ont été enlevées, elles ont été placées et on m’a dit qu’elles avaient été adoptées. Nous devons agir dès maintenant, il ne faut pas nous confiner à des mots.
- Madge Adams, travailleuse sociale
Je viens de Glasgow, je lutte contre la pauvreté moi aussi. Avant de venir à la conférence, j’avais parlé avec certaines familles des évaluations que nous avions en Écosse pour les enfants. Ce système a été lancé il y a environ une trentaine d’années : les enfants rencontrent les membres d’un panel qui les écoutent. Tout le monde est impliqué, toutes les parties, les travailleurs sociaux, les enfants, les familles mais nous manquons de moyens pour agir. Si la famille n’est pas d’accord avec la décision qui a été prise, ou si l’enfant est trop jeune pour comprendre cette décision, il est possible d’aller devant le tribunal, cependant nous manquons de ressources. Une personne devrait être nommée pour suivre les dossiers et voir à ce qu’il y ait des ressources allouées à chacun de ces dossiers. Voilà ce qu’il faudrait faire.
- Frédérique Botella, inspectrice ASE
Je voulais faire deux réflexions :
On a abordé tout à l’heure le manque de temps et de moyens. Effectivement c’est une réalité en Ile-de-France, il manque beaucoup de travailleurs sociaux mais je pense qu’il ne faut pas non plus se voiler la face, il y a des problèmes de fond. Et ce n'est pas parce qu'il y aura plus de travailleurs sociaux qu'on réglera forcément les problèmes de fond. Je pense notamment aux enfants confiés. Je ne parle pas en terme de nombre de placements, mais quand un enfant est confié, si dès les trois mois – pour moi c’est à partir de trois mois qu’on peut commencer à élaborer un projet pour un enfant – si ce projet là n'est pas monté au bout de trois mois, je pense que le placement est mal parti et il peut perdurer pendant des années jusqu’à la majorité. Il faut donc mener un travail de fond.
La deuxième réflexion concernait l’accès au dossier, mais je pense qu’on ne va pas pouvoir en parler aujourd’hui : il faut bien faire la différence entre les documents administratifs et les documents judiciaires. Il y a des choses qu’on peut communiquer aux familles, qu’on note dans les contrats, qu’on signe avec les familles, qu’on évoque également avec les jeunes majeurs. Mais dans les documents judiciaires, il y a des choses que nous, départements, nous ne pouvons pas communiquer de manière un peu informelle.
- Chantal Jouan, militante Quart Monde
On peut aussi avoir l'aide d'une personne, en dehors des travailleurs sociaux. Moi, j’ai quelqu’un, un grand ami que j’ai connu par le biais du chant en chorale, et il s’est installé, entre nous, une amitié qui est vraiment intéressante. Cet ami là, il n’enseigne que la musique mais il a réussi à comprendre que j’étais en détresse avec mes enfants, surtout avec ma fille qui est âgée de quinze ans aujourd’hui. Il l’a prise en charge à partir de l’âge de douze ans, quand elle était en 6ème. Il lui a donné l'idée non pas de partager ma souffrance mais d'apprendre, avec moi, la musique. Ce qui fait que ma fille a pu développer sa connaissance de la musique, elle sait jouer de la flûte à bec et aussi du piano, grâce à ce monsieur-là, elle a même envisagé d’apprendre à jouer de la cornemuse. À chaque fois que je vais dans les chorales, elle nous accompagne, il la met toujours en avant parce qu’il s’est aperçu qu'elle et moi, nous étions des personnes écrasées par la société. Il nous a dit : « La richesse et la pauvreté ça ne veut rien dire, donc tu as le droit aussi de t’exprimer devant tout le monde comme tu veux. »
- Patrick Martin, responsable d'une association de protection de l'enfance et de prévention
Je parle ici en tant que professionnel. Je pense que chacun détient une partie des évolutions des questions traitées, et que ça avancera si chacun reconnaît les contraintes et les peurs de l'autre. Il faut savoir que nous tous, y compris les travailleurs sociaux, nous sommes pris dans des débats de société, entre, par exemple, l’obligation de signaler, voire même une certaine pression sociale pour signaler des situations et le fait d'être critiqué et critiquable quand il n'y a pas de collaboration avec les familles, ou quand on signale trop tôt ou trop tard. Il faut savoir que les parents, les familles, les enfants et les travailleurs sociaux subissent ces contraintes et le reconnaître, cela permettra de construire et de trouver des solutions ensemble.
En matière de solutions, je suis responsable d’une association et je pense que c'est le rôle des institutions que de permettre l'évolution des questions et de faire en sorte que chacun des intervenants soit à l'aise dans le dialogue avec l'autre, pour trouver des solutions.
Prenons des exemples :
J’ai entendu dans les débats une piste qui me paraît réalisable assez facilement : c’est le fait que, dans les dossiers, il y ait un écrit des parents (des deux parents), voire des personnes qui momentanément élèvent des enfants. Puisqu’il y a bien des droits, le problème c’est que le droit garantit les libertés individuelles et pas des libertés individuelles juxtaposées. Nous avons articulé les droits de l’enfant, les droits de l’un et l’autre parent, voire de la famille plus globalement. Il ne faut pas l’oublier, ce n’est pas si simple que ça l’articulation de ces droits, qui ne sont pas que juxtaposés. Donc, je pense que prendre le temps de réfléchir avec les parents au fait de vérifier qu'on est d'accord sur les mots, et faire en sorte qu'il puisse y avoir un écrit de leur part, même aidé, dans un dossier, pourrait être un élément supplémentaire au contradictoire.
Deuxièmement, il y a énormément de petites expériences menées à partir de placements séquentiels, d'AEMO renforcées, de groupes de parole, de structures de placements provisoires où les parents peuvent amener d’eux-mêmes leur enfant pour une nuit, un jour, deux jours, sans aucune décision d’un inspecteur ou d’un juge. Ce sont des choses qui fonctionnent dans mon département, la Loire-Atlantique et qu’il faudrait faire connaître, mais, comme l’a dit très justement M. Naves, il faut une interprétation plus qu’intelligente des droits et des structures financières qui existent, qui nous attachent bien souvent les mains dans le dos.
Troisième élément, c’est un projet qui a déjà démarré en Loire-Atlantique, la création d'un groupe de travail constitué de travailleurs sociaux, de personnes d’ATD Quart Monde, ou de la CSF (Confédération Syndicale des Familles) etc., de juges et d’avocats, pour essayer de repérer ensemble comment on peut faire avancer les questions, d'examiner les contraintes que l’on a les uns et les autres et de trouver des solutions, modestes, locales, mais qui fonctionnent. Donc voilà ce que je voulais dire, c’est que ce sont des propositions d’ordre diversifié mais je pense que, dans tous les cas, il faut prendre le temps de créer les conditions de parler ensemble dans la durée, pour dépasser les craintes mutuelles et trouver des solutions.
- Lydie Pierrard, militante Quart Monde
Je viens de Bretagne, j'ai été une enfant placée Je voudrais revenir sur la question du dossier. J’ai pu obtenir une partie de mon dossier et j'ai besoin, et je dis bien "besoin", des enquêtes qui ont été faites sur mes parents. J’en ai besoin pour des questions psychologiques, parce qu’on m’a dit des choses mais on ne m'a pas tout dit un certain nombre d’années après. Par exemple, dans le monde entier on peut consulter le dossier de M. Kennedy maintenant alors qu’il est mort il y a quarante ans.
Est-ce qu'il ne serait pas possible pour nous, pour les familles, de consulter le dossier, par exemple vingt ans après ? Qu'est-ce que ça change dans les faits ? Moi, mon dossier je l’ai mais je ne l’ai pas en totalité et j'ai justement besoin de cette partie là.
Bref, je suis un peu en colère, excusez-moi.
Je voulais dire autre chose : vous vous donnez le droit d'élever les enfants, des enfants qui ne sont pas les vôtres parce que vous estimez que la famille n'en est pas capable. Mais vous devenez garants de ce que deviendra cet enfant. Alors je voulais vous dire de faire attention quand vous enlevez des enfants, ne faites pas n'importe quoi ! Merci.
- Dominique Le Courieux, Aide sociale à l'enfance
Nous nous posions, avec ma collègue, la question des parents démissionnaires. Nous sommes de plus en plus saisis actuellement de situations où on retrouve des enfants dans la rue, des enfants d’une dizaine d’années, 8-10 ans, non scolarisés, qui ne sont plus au domicile familial, qui sont en situation de grande détresse, et avec des parents qui ne sont pratiquement plus mobilisables dans l'immédiat, qui sont démissionnaires sur un certain nombre de leurs responsabilités. Le problème se pose de savoir comment on peut les remobiliser. Tout ce que nous avons dit hier en termes de perspectives de travail avec les parents, on peut l'assurer à partir du moment où la famille a ce souci du droit de vivre en famille.
Si on est face à une situation de démobilisation, de démission par rapport à des responsabilités, les placements durent, s'installent, et ça, c'est très dur à gérer en terme d'ASE.
Je pense notamment que l’une des perspectives qu'on évoquait dans nos travaux d'ateliers, c'est celle de la famille élargie, c’est-à-dire dans certaines situations, si les parents directs de l'enfant sont en situation trop difficile, il faudrait avoir des solutions de substitution plus facilement utilisables qu'on ne peut le faire actuellement, c'est-à-dire pouvoir faire appel, avec l'accord des parents, à une famille élargie (aux grands-parents, aux oncles et tantes) et qui pourrait constituer un réseau avec les parents de l'enfant.
C'est vraiment inquiétant d'avoir de très jeunes enfants pratiquement en situation d'abandon, au moment où ils nous sont confiés et d'avoir peu de réponses, de sollicitations de la part des parents. Autant avec des parents qui contestent - on en a entendu hier et aujourd'hui, des parents qui ont contesté, qui ont pu se mobiliser - je pense que l’on peut réellement faire un travail, même plus important que ce que l'on fait actuellement. Par contre, dans ces situations de démission, mes collègues disent toutes leurs difficultés à pouvoir élaborer des projets, tout simplement.
- Gisèle Contrain Etrayen, responsable du service Famille Enfance
Devant tous ces témoignages de détresse, de souffrance, d'intelligence aussi, de détermination des familles, je reste perplexe quant à la langue institutionnelle. Quand on parle des moyens et du temps, quand on dit qu'un travailleur social n'a pas le temps d'écouter la famille, je me dis : « Mais qu'est-ce qu'il fait ? Qu'est-ce qu'il fait s'il n'a pas le temps d'écouter une famille, puisque son rôle est quand même d'accompagner cette famille ? »
Quand on parle des moyens, quand je commence une réflexion avec des travailleurs sociaux ou des collègues, je dis : « Ne parlons pas des moyens. Demandons-nous ce que l'on veut faire ? Comment va t-on travailler différemment ? On verra après le problème des moyens. » Et c'est vrai que, souvent, on brandit le problème des moyens. Je ne dis pas que ça n'existe pas, mais je dis que c'est aussi une forme de résistance pour ne pas de travailler autrement.
Tout à l'heure, M. Naves disait qu'il y avait beaucoup de départements qui innovaient dans les modes de placements. Je me disais que, tant qu'on va parler de placements, on ne va pas innover. Il faut donc trouver autre chose que des placements, même des placements séquentiels. Il faut peut-être chercher autre chose et là, on innovera.
Je pense aussi aux différentes circulaires qu'on reçoit, il y en a beaucoup ces temps-ci. La Réunion était l'un des 16 départements pilotes pour une expérimentation avec le ministère de la Justice et l’Assemblée des Départements de France. Et je me rends compte que la circulaire, qui est sortie en janvier, ne tient pas du tout compte du travail qui a été fait depuis deux ans et a proposé d'autres consignes mais les mêmes choses, c'est-à-dire : le signalement, les circuits de signalements, comment on gère la maltraitance, comment on va faire des groupes institutionnels, etc. Donc, on est toujours dans les mêmes problèmes, tant qu’on en sera toujours à faire « plus », à avoir « plus » de travailleurs sociaux, « plus » de structures, « plus » de modes de placements, encore une fois, on ne va pas innover. Donc, il faut vraiment qu’on change, et changer c'est faire autre chose justement.
- Nicole Denecque, militante Quart-Monde
J'ai pu récupérer ma fille grâce à l’aide et au soutien du Mouvement Quart Monde devant le juge des enfants, parce que ma fille a été placée à la suite de ragots de voisinage. Mais ce n’est pas de cela dont je veux vous parler. Pendant 8 ans et demi, j'ai eu un service d’AEMO ; ma fille voulait faire des activités, aller à la patinoire, parce que c’est vraiment le sport qu’elle préfère. Par l’intermédiaire de l’AEMO, elle a pu aller à la patinoire. Maintenant que le juge a fait la main levée, j’ai récupéré mon enfant. J’ai fait une demande à la ville pour que ma fille puisse pratiquer le sport qu’elle désire et en fin de compte la ville m'a dit – c’est passé en commission, naturellement – : « Vous devez donner 500 F de votre poche ». Ils ne m’ont accordé que 1000F alors que ma fille veut aller à la patinoire, mais aussi à la piscine. J’ai dit à l'assistante sociale que ce n'était pas normal. Parce que, si un enfant veut faire un sport, on n’a pas à le lui interdire ! Alors je dis, il faut que l'enfant soit placé avec l'AEMO pour que l'AEMO paie alors que nous, les parents, on n'a pas de sous, on est obligé de participer aux frais en vivant avec très peu de moyens. Il faudrait que l’on en tienne compte ; je reviens à ce qu'on a dit, qu’il y a beaucoup de dépenses dans les familles d'accueil. Mais si on aidait plus les parents financièrement, parce que les parents ont très peu de moyens, je pense que cela irait mieux et qu'il y aurait moins de gaspillage d'argent.
- Monique Prodorutti, militante Quart-Monde
Je voulais dire que plusieurs familles sont découragées et disent que rien ne bouge, elles ne viennent plus ni aux réunions ni aux universités populaires.
- Chantal Jagault, militante Quart-Monde
Je voudrais répondre à ce qu’a dit monsieur au sujet de la famille élargie, voire les grands-parents. Je suis grand-mère moi-même ; il y a environ huit ans on m'a confié quatre de mes petits-enfants, par jugement, c’est un juge qui me les a confiés. Il y a six ans, on me les a retirés, et je me demande maintenant pourquoi ; le papa demande à ce que les enfants reviennent à la maison, chez nous, un des enfants demande à revenir à la maison, mais juges ou éducatrices n’écoutent vraiment pas la parole du père ni de l’enfant. Les enfants étaient certainement mieux chez nous que tous les quatre séparés dans un milieu différent. Et je parle de ça parce que j’ai vu qu’il y avait un monsieur qui est de Loire-Atlantique et je suis de Loire-Atlantique.
-Nicole Lambert, militante Quart-Monde
Moi, le problème, c’est que je suis une enfant de la DDASS depuis ma tendre enfance. J'ai eu des frères et sœurs que je n'ai pas connus, on a été éparpillés dans toute la France et quand j’ai demandé à rencontrer mes frères et sœurs, la DDASS a répondu : « Vous n’aurez aucun lien entre vous, parce qu’ils sont placés. » Alors ça, c'est un droit qu'on m'a enlevé, le droit de connaître ma famille. Et ça, ce n’est pas juste. Alors, j’espère que la loi va changer de ce côté-là. On ne doit pas séparer, ni les frères, ni les sœurs. On doit rester en famille.
- Gem Solomon, militante Quart-Monde
Je suis mère et je voudrais dire ceci : si un parent a perdu son enfant à cause de l'adoption et s'il y a des preuves claires qu’il s’agit d’une erreur de la justice, pourquoi n'y a-t-il pas une loi ou un article qui pourrait permettre aux parents de retrouver leur enfant ? Parce qu’après tout, nous avons précisé que le fait qu’un parent vive avec son enfant est un droit fondamental. Et j’aimerais le répéter.
J’aimerais aussi préciser que les autorités locales devraient faire tout leur possible pour faire face, pour renforcer le contact entre la famille et l’enfant, une fois que l’enfant a été placé. Surtout si l’enfant souhaite retrouver ses parents et s’il souhaite rejoindre sa cellule familiale d’origine.
- Danièle Delatte Gévaert
J’aurais envie de réagir par rapport à l'adoption, mais je pense que ça demanderait plus de temps, donc malheureusement je ne dirais rien à ce sujet, mais je pense que c’est un problème vraiment très important.
Je vais réagir surtout par rapport à ce qu’a dit Madame Contrain Etrayen. Je pense que, dans certains cas, les moyens sont effectivement un prétexte. Et ce que j'ai envie de retenir de tout ça, c’est qu’il faut vraiment privilégier l'imagination, et cette imagination, les travailleurs sociaux ne peuvent l'avoir qu'avec les familles. Je pense que c'est vraiment dans cette relation avec les familles – puisqu’on manque de moyens – qu'on peut essayer de trouver des solutions qui coûtent moins cher, parce que c’est vrai que le placement, c’est en plus ce qui coûte le plus cher. Quand on dit qu’on manque de moyens, il faut essayer d’éviter le placement, on satisfait ainsi le désir de tout le monde, à la fois des autorités qui font des économies et des familles qui peuvent garder leur enfant. Je crois donc qu'il faut vraiment privilégier l’imagination, ce n’est certainement pas ce qu’il y a de plus facile, mais c’est ce qui marche le mieux à long terme, à mon avis.
- Pierre Naves
Je reviendrai sur ce qu'ont dit deux intervenants : « Action not words » (des actes, pas des paroles).
Je pense que ce que nous faisons ici, qui est de l’échange de paroles, c'est déjà de l'action, parce que cela nous permet de mieux comprendre quelle est la position de l'autre. C'est aussi utile parce que chacun d'entre nous, dans nos pratiques, dans nos situations, quelles qu'elles soient, qu'on soit parent, travailleur social ou qu’on ait des responsabilités dans d’administration, on a besoin de mieux comprendre quelle est la situation de l'autre, on a besoin de se mettre en question. Je pense que cette mise en question, ou en cause, ou en interrogation – le propos que je vais tenir, n'est pas simple – je crois que les travailleurs sociaux l'ont assez régulièrement, je crois que les responsables le font beaucoup plus souvent que ce que l’on veut caricaturer. Ce n'est pas simple de devoir prendre des décisions qui sont difficiles, y compris dans des restrictions de moyens. Mais je crois que les parents qui vivent dans des situations difficiles doivent aussi se poser des questions sur ce qu'ils sont, ce qu'ils vivent, et éventuellement les préjugés qu'ils peuvent, eux aussi, bâtir vis-à-vis des gens avec lesquels ils sont en relation. C'est un propos qui n'est pas simple, parce qu’il prend peut-être à contre-pied certaines des personnes qui sont dans la salle et qui ont pu dire, fort légitimement : « On ne m'a pas compris, moi ». Mais, moi, je renvoie la question : « Est-ce que vous avez essayé de comprendre les gens avec lesquels vous étiez en relation, est-ce que vous avez essayé de comprendre tout ce que vous pouviez être vous-mêmes ? »
- Robert Tapsfield
Je voudrais ajouter deux choses :
Tout d’abord je suis entièrement d'accord avec ce qui vient d'être dit ici, à savoir qu’il ne faut pas immédiatement parler des moyens ; j’estime que c’est tout à fait juste. Ce sur quoi il nous faut nous mettre d’accord, c’est sur les objectifs à atteindre et ensuite sur les moyens qu’il faut mettre à disposition. Sinon les moyens entravent tout.
Deuxième chose : les parents peuvent être dépassés, peuvent être dans l'incapacité de trouver l'énergie, mais si les parents abandonnent, c’est parce qu’ils sont obligés d'abandonner, pas parce qu'ils ont choisi de le faire. Ce que nous voulons, c'est que les familles se sentent responsables de leurs enfants, et il se peut qu'ils aient besoin de ressources ; l’exemple qui nous a été donné par Rob Hutchinson, lorsqu'il a parlé de la communauté à Portsmouth, qui a été consultée et à qui on a donné le temps et les moyens d'agir, est concluant. Cela concorde avec ce qui se produit lorsqu’on utilise les conférences, les groupes de familles pour aider les familles à trouver leurs propres solutions et à fournir les ressources. Tout cela montre que lorsqu'on rend les familles responsables des solutions, leurs propres solutions sont plus pratiques. Elles construisent sur les forces qui existent déjà au sein des communautés et leurs solutions sont toujours moins coûteuses et, de toute façon, moins bureaucratiques. Merci.