J'avais décidé d'en finir avec cette vie en janvier. Je ne m'en sortais plus. Trop de malheur pour une personne seule. Pire : pour une personne restée seule. Mon père est mort il y a cinq ans dans un accident sur l'autoroute. Mon frère adoré a été tué par un ivrogne en décembre 2009. En 2009, une maladie a emporté mon compagnon. Mon fils de vingt-neuf ans a épousé une jeune fille sicilienne, et ils vivent en Sicile. Il ne sait rien de mes ennuis récents car je les lui ai cachés. J'ai dû quitter la maison que je louais à Pistoia. J'ai travaillé au noir, et sous-payée: baby-sitter, femme de ménage, garde-malade à domicile. Trois amies m'ont accueilli chez elles, l'une après l'autre. Puis, j'ai refait mes valises, à destination de ce qui semblait un emploi permanent : assistante à domicile pour un homme âgé de quatre-vingt-deux ans. Cela n'a duré que quelques semaines. Il m'a demandé des « services » supplémentaires : imaginez lesquels ! J'ai refait les valises, mais sans aucune sécurité. Je me suis retrouvée dans ma ville natale, Prato, avec cinquante euros en poche. « Ce soir je dors à l'hôtel et demain est un autre jour », me suis-je dit. Je ne m'étais pas encore effondrée.
Je me suis écroulée après avoir passé une nuit couchée sur le sol de la gare. J'ai alors décidé d'en finir. J'ai pris une fleur sur la tombe de mon père, une photo de lui et une autre de mon frère. J'ai écrit une lettre à Marcella, ma meilleure amie, en lui demandant de rester très proche de mon fils. J'ai caché tout cela dans mon soutien-gorge, persuadée qu'ainsi ils les trouveraient. Ensuite, j'ai escaladé le talus, j'ai enjambé le rail de sécurité et je me suis retrouvée sur l'autoroute. Je me suis assise et j'ai allumé une cigarette. On dit que dans ces moments-là on revit toute sa vie. C'est vrai. Je me suis revue à l'âge de treize ans, la dernière de six enfants, de passer de la province de Cosenza à Prato. Je me suis revue heureuse. Je me demandais en moi-même : « Vaut-il mieux se jeter sous un camion ou sous une voiture ? ». Une voix de femme s'est alors adressée à moi « Qu'est-ce que tu fais ici ? ». Je me suis retournée: c'était Lila, une Rom, d'âge moyen, robuste. Deux jours plus tôt, elle m'avait offert un café en me demandant ce que j'avais. J'avais répondu évasivement sans réussir à tromper son sixième sens. Elle était en voiture avec son mari, ils étaient sortis à Prato Ouest et elle aussi avait gravi le talus. « Ne fais pas de bêtises », me dit-elle. Quelques minutes plus tard, j'étais enveloppée dans des couvertures dans la caravane de Lila. Et j'y suis restée, au milieu de ces gens qui ne jugeaient pas et ne posaient pas de questions. J'ai retrouvé la volonté de vivre, grâce ou malgré les douches froides et le lavage à la main des vêtements dans des fontaines de fortune.
Première étape, le bureau de l'état-civil. Je suis une « sans domicile fixe » et pour l'État italien, je n'existe pas. Depuis que j'ai été expulsée, je n'ai plus de résidence et donc plus aucun droit. Je ne peux plus voter ni recevoir l'aide sociale. Les soins de santé sont devenus un mirage. Je suis une « Madame Personne ». Si j'avais une résidence, je pourrais retrouver mes droits et revenir à une situation plus normale. Mais comment faire si je n'ai pas de travail ? Et sans papiers, qui me donnera un emploi ? Seule l'administration communale pourrait briser ce cercle vicieux en me concédant une résidence fictive à la rue de la Maison communale. C'est un stratagème qui a été imaginé précisément pour venir en aide à ceux qui sont tombés dans l'oubli social. Mais la liste d'attente est très longue et je continue à vivre dans le camp avec les Roms. Leur vie est compliquée, faite d'expédients et de solidarité. Ceux qui font partie de la communauté savent que tout est à tous mais aussi que chacun doit faire sa part. Heureusement qu'il y a les Roms Je peux vraiment le dire. Je serai toujours reconnaissante à ces personnes qui m'ont accueillie. Mais je m'en irai bientôt car je veux retrouver ma propre vie. Je n'arrêterai plus de frapper à la porte vitrée de la greffière de l'état-civil, à la porte de l'assistante sociale et au portail de la Maison communale. Je veux tout simplement pouvoir me regarder dans un miroir chez moi à la maison, et dire en riant et comme par surprise : «Je m'appelle Teresa Costantino, j'ai cinquante ans et je ne suis plus un fantôme».