De quoi les enfants ont-ils besoin pour bien apprendre ?

Agnès Maillard-Romazzotti

p. 38-42

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Bibliographical reference

Agnès Maillard-Romazzotti, « De quoi les enfants ont-ils besoin pour bien apprendre ? », Revue Quart Monde, 219 | 2011/3, 38-42.

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Agnès Maillard-Romazzotti, « De quoi les enfants ont-ils besoin pour bien apprendre ? », Revue Quart Monde [Online], 219 | 2011/3, Online since 01 December 2011, connection on 14 December 2024. URL : https://www.revue-quartmonde.org/5227

En juin 2010, Tapori International lançait une campagne sur le thème : De quoi les enfants ont-ils besoin pour bien apprendre ? et proposait aux enfants d’écrire ce qu’ils voulaient partager dans un livre, leur livre...

« La paix bien sûr, la paix pour apprendre et l’amitié pour avoir la paix ! »

C’est ainsi que Kyliane (France) répond spontanément à la question : « De quoi as-tu besoin pour bien apprendre ? »

C’est également ce que beaucoup d’autres enfants écrivent ou dessinent dans leur livre.

Il ne suffit pas que l’école soit gratuite…

L’idée de cette campagne a germé en décembre 2009, lors de la rencontre Tapori1 en Suisse (pour les vingt ans de la Convention des droits de l’enfant). Nous avions été frappés par tout ce que les enfants partageaient de l’école : ce qui empêche d’apprendre, ce qui au contraire soutient, ce qu’ils inventent pour que tous puissent apprendre.

Des dialogues sur ce sujet ont eu lieu entre les enfants. Ceux de l’Ile Maurice étaient marqués par le fait que les enfants de la République Démocratique du Congo devaient payer « la prime » pour aller à l’école. Ils ont dit : « Nous rencontrons beaucoup de difficultés pour aller à l’école mais au moins chez nous l’école est gratuite. »

Ils faisaient aussi la constatation qu’il ne suffit pas que l’école soit gratuite pour que tous puissent y aller et que tous puissent apprendre.

Dans leur message aux Nations unies le 8 décembre 2009, les enfants délégués de l’Ile Maurice disaient : « Nous avons le droit d’aller à l’école. L’école est gratuite, mais les livres ne le sont pas. A l’école, il y des professeurs qui mettent des élèves à l’arrière parce qu’ils ne savent pas lire. Il ne faut pas faire cela aux enfants. Il faut s’occuper de tout le monde de la même façon. On ne doit pas mettre les enfants qui ne savent pas lire au fond de la classe. Quand un enfant ne sait pas lire, le professeur le met dans la honte. Cela l’empêche encore plus d’apprendre… »

Ils ajoutaient :

« Si on est fâché avec nos amis, on n’arrive pas à apprendre bien dans la classe. On ne peut pas se concentrer... »

Et aussi : « On connaît un enfant qui a une grande famille. Parfois, il ne va pas à l’école quand ses parents n’ont rien à lui donner à manger. Derrière un droit qui n’est pas respecté, il y a un autre droit qui n’est pas respecté. »

Pour pouvoir bien apprendre…

D’autres messages reçus peu après cette rencontre nous montraient combien les enfants ont des idées sur ce qu’il leur faut pour pouvoir bien apprendre :

« C’est important d’aller à l’école pour avoir de bonnes manières, nous dit Boris. Nous allons à l’école pour rencontrer d’autres amis. Il y a des enfants qui ne vont pas à l’école parce qu’il n’y a pas à manger, pas d’argent. Il faut aussi des livres et du matériel… »

« Pour bien apprendre, écrit un autre, il faut bien dormir, manger. Il faut être attentif en classe. Pour avoir une bonne éducation, il faut être bien avec tous les amis. »

« Nous voulons que tous les enfants puissent aller à l’école pour réaliser leurs rêves. Aucun enfant ne doit avoir faim à la maison ni à l’école car il est difficile d’apprendre quand on a faim. Ce n’est pas prudent de manger la nourriture vendue aux alentours de nos écoles. Quand la nourriture n’est pas bonne, ça nous rend malades. Il faut une cantine dans chaque école pour que nous mangions bien, pour être en bonne santé et bien apprendre » nous expliquent les enfants du groupe Tapori d’Abidjan (Côte d’Ivoire).

A travers ces différents messages, nous percevions combien, pour les enfants, de nombreux facteurs empêchent d’apprendre et nous avons alors voulu leur permettre de nous dire ce dont ils avaient besoin. Il s’agit d’apprendre à l’école mais aussi dans sa famille et avec ses amis.

De bonnes conditions matérielles

Nous avons alors reçu des messages d’enfants de différents pays : RD Congo, Centrafrique, Ile Maurice, France, Suisse...

Julien, un des enfants de République Démocratique du Congo, délégué lors de la rencontre en 2009 en Suisse, écrit en novembre 2010 :

« Ce que je veux vous partager c’est la façon dont le secteur de l’éducation continue à être géré dans mon pays. Dans mon école et dans d’autres, la règle de la gratuité à l’école primaire n’est pas encore respectée2. Et pourtant beaucoup de parents n’ont pas la possibilité de payer la prime scolaire qui ne fait que monter d’année en année. Et cela a comme conséquence l’inaccessibilité de beaucoup d’enfants à l’école et l’augmentation considérable du nombre d’enfants vivant dans la rue. En tout cas cette situation me préoccupe beaucoup, même si mes parents ont la possibilité de me faire scolariser ainsi que mes frères et sœurs. La place des enfants ce n’est pas dans la rue, c’est dans leur famille. Nous commençons à remarquer une sorte de discrimination chez certains enseignants en classe : ce sont souvent les enfants dont les parents ont bien payé la prime qui ont droit à la parole, à l’attention et au respect de l’enseignant.

Je demande à tous les enfants du monde de nous tenir main forte pour que notre droit à l’éducation soit un jour respecté en RDC, parce qu’un enfant qui n’étudie pas n’a pas d’avenir. »

Dans leur livre, les enfants Tapori du groupe Enfants de la Mission Amitié et Paix (EMAP, de RD Congo) écrivent : « Dans nos mots de tous les jours, nous les enfants, nous aimons toujours apprendre. Nous voulons apprendre pour être considérés et être utiles demain, pour savoir lire et écrire, pour aider nos parents et nos familles, pour que personne ne se moque de nous, pour soutenir nos amis, pour défendre nos droits et ceux d’autres enfants, pour dire non à l’exclusion et à la misère, pour changer le monde...

Mais bien souvent, la réalité de la vie ne nous permet pas d’aller au bout de nos rêves : certains enfants manquent des moyens nécessaires pour apprendre, des parents ou une autre personne pour les encourager ; d’autres apprennent dans les conditions qui ne leur permettent pas de donner le meilleur d’eux-mêmes. Et donc, dans bien des cas, il y a très peu d’enfants qui peuvent apprendre dans des conditions acceptables. »

Les enfants Tapori de l’Ile Maurice parlent eux aussi des difficultés qu’ils rencontrent à l’école.

« Quand je ne sais pas lire, explique Loïc, le professeur me met dans un coin. Les autres enfants se moquent de moi. J’ai envie d’apprendre, mais je ne sais pas. Lorsque je sors de l’école, j’aurais besoin d’avoir quelqu’un pour m’aider à apprendre mes leçons. ‘Fale mo vant fini kale, lerla mo kapav ekrir’ : Quand mon estomac est bien rempli, c’est à ce moment-là que je peux écrire. »

« Ce n’est pas facile d’aller à l’école, nous dit Cloé, une autre enfant plus âgée. L’école est gratuite mais les livres et les matériels de sport ou de cuisine ne sont pas gratuits. Tous les enfants ne peuvent pas acheter les ingrédients pour la classe de cuisine ou pour les équipements sportifs. »

Se sentir respectés

Le message des enfants EMAP et celui de Cloé posent la question de pouvoir apprendre dans de bonnes conditions matérielles, celui de Loïc aborde le fait de « comment apprendre si on ne se sent pas considéré ? »

Ce que dit Loïc fait écho au dialogue de Boris, un des enfants Tapori avec une des animatrices du groupe de Pointes aux Sables (Ile Maurice)

Boris explique : « Moi, la maîtresse me met à l’arrière parce que je ne sais pas lire. »

L’animatrice lui demande alors : « Comment tu te sens quand elle te met au fond de la classe ? »

Boris répond : « Je ne sens rien. Mais au fond de moi, je me dis : je t’aurai. »

Comment un enfant peut-il alors apprendre ?

Les enfants relèvent également ce qu’inventent leurs enseignants pour leur permettre d’apprendre. Ils sont sensibles à ceux qui les soutiennent, qui cherchent comment faire pour que tous apprennent.

« Dans ma classe, la maîtresse sait que nous ne savons pas beaucoup lire. Elle a alterné les filles qui ne savent pas lire et celles qui le peuvent un peu. Si on ne sait pas, on peut se retourner et demander à une autre. Elle nous donne le droit de le faire. »

Pour qu’un enfant se sente bien à l’école, le rôle de l’enseignant est important mais les enfants nous disent que l’attitude des autres enfants l’est tout autant. Pour certains, il n’est pas facile de trouver leur place.

Émilie raconte :

« J’ai onze ans. A l’école il y a beaucoup d’enfants qui me traitent mal. Quand on me traite mal, je me sens ‘étirée’. Je me sens très mal dans ma classe parce que mes amies me traitent mal. »

Les enfants insistent sur l’importance d’être respectés :

« Quand nous nous moquons des enfants, ils ne viennent plus à l’école. Ensuite, ils n’ont pas une bonne éducation. Ils n’ont pas d’amis. » Alexia.

« Pour bien apprendre, il faut qu’il y ait la paix. Quand nous nous querellons, nous ne pouvons pas apprendre. »

Les enfants Tapori du groupe des Enfants Étoiles (RDC) écrivent dans leur livre :

« A l’école beaucoup d’enfants échouent parce qu’ils sont exclus par les autres ou parce qu’on se moque d’eux. »

Mais les enfants ne veulent pas baisser les bras devant ces difficultés. Ils ajoutent et terminent ainsi leur livre :

« Chacun a besoin qu’on lui adresse la parole. Pour mieux apprendre chacun doit se retrouver, chacun doit avoir sa place. »

Inventer des gestes de soutien

Et les enfants inventent mille et un gestes pour se soutenir :

« Mon amie ne pouvait pas apprendre parce qu’elle avait des poux. La maîtresse ne voulait pas corriger ses devoirs. Elle ne voulait pas que la fille s’approche d’elle. Nous sommes allées parler à cette maîtresse. Nous lui avons dit que son enfant pouvait attraper des poux à l’école primaire. Est-ce qu’elle ne va pas s’approcher de son enfant ? Le lendemain, elle s’est excusée auprès de la fille. Maintenant elle corrige ses devoirs. »

« Quand j’étais en forme une3 et deux, mes amies m’ont beaucoup aidée pour mes équipements de sport. En forme trois, pour la classe de cuisine, il nous faut apporter nos équipements.

Quelques fois il y a des enfants qui n’ont pas de bols. Elles ne peuvent pas préparer leur recette. Pour nous entraider, nous leur passons nos bols. Mais parfois le temps pour la classe de cuisine est écoulé. Il est trop tard, elles ne peuvent pas préparer leur recette. Alors nous disons à celles qui n’ont pas d’équipements de venir nous regarder faire. Ainsi quand elles auront à cuire, elles sauront déjà comment faire. Il y a aussi des enfants qui apportent des équipements en plus. Nous nous entraidons. Une fois on a partagé un tout petit peu de coco en poudre entre quatre filles. »

Loïc qui disait combien c’est difficile d’aller à l’école quand on n’a pas à manger, ajoutait dans son message : « Nous pouvons aider nos amis, donner du pain à celui qui n’en a pas. Ceux qui vont à l’école doivent apprendre à lire à celui qui ne sait pas. »

Queenscey dit aussi que seul, ce n’est pas facile de soutenir celui qui a du mal, d’aller vers celui dont tout le monde se moque : « Un enfant tout seul ne peut pas réussir tout cela ». La solidarité, c’est important.

Ainsi les enfants disent clairement combien les choses sont liées… et que chacun a un rôle à jouer : responsables politiques, parents d’élèves, enseignants et élèves…

C’est ensemble qu’on peut créer une école où chaque enfant apprend et bâtit son avenir en confiance.

1 Courant mondial d’amitié entre les enfants, animé par ATD Quart Monde. Des enfants de différents milieux deviennent amis. Ils créent des projets

2 Depuis septembre 2010, l'école est devenue gratuite mais du fait que les enseignants ne perçoivent pas toujours leur salaire, cette gratuité

3 Formes une et deux : première année et deuxième année de l'école secondaire à l'Ile Maurice.

1 Courant mondial d’amitié entre les enfants, animé par ATD Quart Monde. Des enfants de différents milieux deviennent amis. Ils créent des projets pour apprendre des enfants dont la vie quotidienne est très différente de la leur. Ils inventent une manière de vivre ensemble qui ne laisse personne de côté. Voir le site : http://www.tapori.org/site/

2 Depuis septembre 2010, l'école est devenue gratuite mais du fait que les enseignants ne perçoivent pas toujours leur salaire, cette gratuité inscrite dans les textes n'est pas encore vraiment appliquée.

3 Formes une et deux : première année et deuxième année de l'école secondaire à l'Ile Maurice.

Agnès Maillard-Romazzotti

Juriste de formation, Agnès Maillard-Romazzotti est volontaire permanente d’ATD Quart Monde depuis 1985 ; dans l’équipe de Tapori International depuis 2002.

CC BY-NC-ND