Rire à la vie avec les autres

Jacqueline Chabaud

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Jacqueline Chabaud, « Rire à la vie avec les autres », Revue Quart Monde [En ligne], 227 | 2013/3, mis en ligne le 01 mars 2014, consulté le 16 avril 2024. URL : https://www.revue-quartmonde.org/5675

L’auteure persiste et signe une définition originale du « bénévole », initialement rédigée pour un rassemblement international d’alliés d’ATD Quart Monde en 1995 : l’Accorité ou Assises de l'alliance internationale qui se sont tenues à Pierrelaye (France) du 20 au 26 août 1995. Le terme Accorité signifie, en créole mauricien : « La capacité de faire l'unité, l’harmonie, de recréer l'entente ».

C’est quoi, un allié ? Celui qui rit. De soi, s’il lui est possible. Avec les autres, bien sûr. Sinon, comment pourrait-il continuer à rire à la vie ?

Au commencement était le rire

Pour continuer, il faut avoir commencé. Or, sans cet amour de la vie - cette vie qui a toujours le dernier mot sur la mort - à quoi bon s’engager ? Au commencement était le rire. Pour toute personne qui s’engage puisque de ce fait, elle croit que l’avenir peut devenir plus… beau, juste, pacifique, respirable, fraternel, libre, humain, … selon l’engagement choisi.

Il est pourtant des personnes engagées à la triste figure ! En cours de chemin, les difficultés du combat, la certitude d’avoir raison, la volonté de vaincre, ou autre chose peuvent malheureusement avoir usé le rire originel et pétrifié la personne : devenue statue de la cause à défendre, elle n’a plus que son statut de militant pour ne pas se briser. Qui oserait s’affirmer hors de danger ?

Casser les images

Cette parenthèse refermée sur les égarements possibles, reprenons la définition de l’allié proposée plus haut : celui qui continue à rire à la vie avec les autres.

Elle casse les images toutes faites sur les « bénévoles », les « bonnes âmes », les « gens dévoués » dont on imagine qu’ils sacrifient leur amour de la vie, leurs passions, leurs talents, au service d’une « activité sociale » (à moins qu’elle ne soit « charitable » ou « humanitaire ») et de « personnes sans intérêt ». Lequel d’entre nous ne s’est pas entendu dire qu’il « aimait bien trop la vie pour s’enfermer là-dedans » ? La réponse à ce genre de remarques a toujours l’avantage de surprendre, et à la longue, elle suscitera la curiosité, voire l’intérêt, et peut-être l’engagement.

Elle casse en même temps les images toutes faites sur les personnes qui, vivant dans la misère, auraient seulement besoin d’un toit, de pain et de soins - comme on accorde bien aux chiens une niche, un os, et le recours au vétérinaire. Il s’ensuit que ces personnes et familles ont des talents, des espoirs, des projets et des rêves à mesure humaine, c’est-à-dire sans mesure, puisqu’ils tendent à l’infini.

Casser ces images, n’est-ce pas déjà ébranler le mur de la misère qui enferme tous les hommes, « riches » et pauvres, puisqu’étouffant l’humanité de chacun d’eux, il les sépare ?

Croire en l’avenir

Bien des alliés ont accepté des responsabilités qui les mettent rarement en relation directe avec les familles du Quart Monde. L’avancée d’un dossier de financement, la préparation d’une loi, une démarche auprès d’un élu, la diffusion des publications des Éditions Quart Monde, la tenue d’un secrétariat… fournissent, certes, fort peu d’occasions de rire ! Mais qui persévérerait dans ce travail fastidieux s’il ne continuait pas à rire à la vie - croire à l’avenir- avec les autres ? Parmi ces autres, en ce cas, il est d’abord tous les volontaires grâce auxquels chaque allié peut faire confiance aux familles du Quart Monde et à leur Mouvement, et tous les autres alliés où qu’ils soient sur la planète.

À égalité d’humanité

Rire à la vie avec les autres, pour certains alliés, c’est aussi rire avec les personnes et les familles en grande pauvreté. N’est-ce pas de l’homme en grande pauvreté que chacun apprend cette confiance en la vie, cette foi en l’homme, lui qui répète indéfiniment que « ça ne peut pas durer comme ça », que « ça ne peut pas ne pas changer » ? Et puis, rien de tel que le rire pour se sentir en pleine égalité d’humanité !

La question du père Joseph

Loin d’être une boutade, la définition de l’allié proposée ici s’enracine, à mes yeux, dans la personne du père Joseph et donc aussi dans son message. Aux volontaires qui venaient de passer un moment chez une famille du Quart Monde, il disait : « Au moins, est-ce que vous avez bien ri ensemble ? »

Mieux que tous les discours, cette question montre qu’avec ATD Quart Monde, ce qui compte, c’est l’homme. Le chemin ouvert par le père Joseph nous invite à marcher ensemble à la recherche jamais achevée du plus pauvre pour apprendre à rire avec lui, humains ensemble, et à bâtir avec lui un avenir où tout homme sera libre de rire. J’aimerais que ce « rire à la vie avec les autres » contribue à bâtir l’Accorité.

Jacqueline Chabaud

Journaliste, alliée engagée avec ATD Quart Monde depuis 1968, Jacqueline Chabaud a travaillé à Feuille de Route, organe mensuel d'ATD Quart Monde en France pendant vingt ans. Retraitée, elle collabore à Revue Quart Monde depuis 1988.

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