Paradoxe : le développement peut-il se retourner contre ceux-là mêmes dont il cherche à rendre la vie digne et décente ?...Oui, assurément. C’est ce que notre dossier tend à montrer, qui s’appuie sur l’expertise des personnes vivant dans l’extrême pauvreté, sur celle de professionnels, d’universitaires et de décideurs politiques examinant les domaines variés de l’éducation, du logement, de la santé, du travail, de la participation, de la lutte contre les discriminations, durant ces quinze dernières années.
Et pourtant… Réduire l’extrême pauvreté et la faim, assurer l’éducation primaire pour tous, mettre en place un partenariat mondial pour le développement…, voilà quelques-uns des Objectifs du Millénaire pour le Développement (OMD), adoptés en 2000 par les États membres de l’ONU et les organisations internationales, objectifs qui auraient du être atteints d’ici à 2015. Las, en 2011, le secrétaire général des Nations Unies, Ban Ki Moon, a averti que ces Objectifs n’avaient pas profité aux personnes les plus vulnérables.
Dans le cadre du processus d’évaluation du programme des OMD, les Nations Unies ont invité des organisations de la société civile à partager des bonnes pratiques qui permettraient que les programmes de développement bénéficient enfin aux personnes les plus affectées par la pauvreté. Cette demande a poussé ATD Quart Monde à lancer son propre programme de recherche-action participative afin d’évaluer les OMD : Le savoir tiré de l’expérience : construire l’agenda post-2015 avec les personnes en situation d’extrême pauvreté, qui a rassemblé environ 2000 personnes, d’une douzaine de pays, depuis 2012, lors de séminaires régionaux1, jusqu’au séminaire final à l’ONU à New York.
Ce dossier fait un large écho à la réflexion de ceux-là mêmes que les objectifs définis par les Nations Unies ont le moins atteints, et qui ont participé à ces séminaires. Leur parole et leur réflexion ont été activement sollicitées et entendues dans leur langue - avec emploi de méthodes adaptées, notamment l’utilisation de la vidéo2. Ainsi ont pu se dire la honte et le sentiment d’inutilité, de compter comme quantité négligeable dans l’agenda mondial du développement. « Si tu ne peux même pas dire ce que tu penses et ressens, cela te casse, cela te blesse. Et des personnes cassées qui vivent ensemble, deviennent une communauté cassée, une société cassée », interpelle Moraene Roberts3.
Xavier Godinot4, qui a coordonné pour ATD Quart Monde la recherche-action participative, pointe en conclusion les terrains de vigilance sur lesquels sont appelés à se retrouver tous ceux qui veulent (continuer à) construire après 2015 un développement réellement fondé sur les droits de tout homme.