Une vision commune de la réussite éducative

Participants au séminaire de Ouagadougou 2013

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Participants au séminaire de Ouagadougou 2013, « Une vision commune de la réussite éducative », Revue Quart Monde [En ligne], 228 | 2013/4, mis en ligne le , consulté le 18 avril 2024. URL : https://www.revue-quartmonde.org/5788

Les conclusions du séminaire international Les plus pauvres, partenaires d'une éducation réellement pour tous : sur quels savoirs prendre appui pour ouvrir l'avenir de tous ?, tenu à Ouagadougou (Burkina Faso) du 25 février au 1er mars 2013, sont le résultat de points d'accord forts entre les participants, tenant compte de l’intelligence de tous, dans leur diversité. Elles mettent également en perspective les étapes nécessaires pour arriver à une expression véritablement commune.1

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Burkina Faso

Ce séminaire est né en grande partie de l’interrogation de ce papa dont l’enfant a longtemps vécu dans les rues de Ouagadougou : « Les enfants qui vont à l’école ne veulent plus cultiver, et il n’y a pas assez de bureaux pour tout le monde, alors comment on va faire ? »

La condition indispensable pour aller au bout de cette interpellation était d’associer tous les acteurs concernés.

L’ambition des professionnels de l’éducation que « l’école soit l’affaire de toute la communauté et que la communauté soit l’affaire de toute l’école » est souvent mise à mal.

Nos communautés s’inquiètent que « le système éducatif moderne dans notre pays semble se présenter comme l’antithèse du système qu’est l’éducation traditionnelle ».

Les institutions nationales et internationales ont l’ambition d’atteindre les Objectifs du Millénaire pour le Développement, dont le deuxième portant sur l’éducation pour tous, et s’interrogent sur les difficultés qu’elles rencontrent à le mettre en œuvre.

Les familles très pauvres fournissent chaque jour d’énormes efforts pour éduquer leurs enfants et ces efforts ne sont pas reconnus par la société et la communauté éducative.

« Même dans la misère, un homme a des idées. Si personne ne reconnaît ses idées, il s'enfonce encore plus dans la misère. »

C'est donc ensemble que nous nous sommes réunis du 25 février au 1er mars 2013.

Venus de plusieurs pays, Belgique, Centrafrique, Éthiopie, France, Grande-Bretagne, Mali, Sénégal, et bien sûr de plusieurs provinces du Burkina Faso,

Venus avec des histoires différentes, marquées, pour certains d'entre nous, par la vie très dure,

Venus porteurs de responsabilités différentes : familiales, associatives, professionnelles, institutionnelles…

Nous étions soixante-cinq. Vivre ensemble pendant une semaine, chanter et dessiner ensemble, a contribué à ce qu'on puisse travailler ensemble. Nous avons fait cette expérience qu'il est possible de réfléchir ensemble, même si on ne parle pas la même langue, qu'on ait fait l'université ou qu'on ait appris sans tenir un bic, qu'on soit cultivateur ou qu'on n'ait jamais semé une arachide.

Nous avons d'abord travaillé par groupes de pairs :

- des représentants d'institutions nationales et internationales, des universitaires et des responsables d'ONG,

- des acteurs du monde éducatif ou associatif,

- des familles qui luttent au jour le jour,

- et des citoyens solidaires.

Ensuite, nous nous sommes mis en groupes de partenaires, où se retrouvait la diversité des participants.

Les représentants d'institutions ont été étonnés de découvrir la pertinence du savoir et des réflexions des autres groupes, en particulier celui des familles qui ont si souvent l'expérience de ne pas compter aux yeux des autres.

Nous avons pu nous parler de nos responsabilités, sans nous accuser de ne pas les tenir. Au contraire, nous nous sommes sentis fiers qu'on nous reconnaisse responsables.

Arrivés au terme de ce séminaire, nous avons dégagé une vision commune de la réussite éducative. Nous avons identifié ce qui la freine, et les moteurs qui la poussent. Nous avons fait émerger quelques propositions en faveur d’une éducation réellement pour tous.

La réussite éducative est d'abord l'expression de valeurs fondamentales

C'est la solidarité :

« Nous l'apprenons en voyant ce papa. Il vivait de la mendicité. Mais lorsque l'enfant d'un de ses amis revenait de l'école sans avoir mangé, il prenait 100 F2 de sa boîte pour lui donner, sans savoir s'il aurait quelque chose pour son propre enfant. »

La solidarité est efficace.

C'est la dignité :

« Les amis disent de venir chez eux manger, mais je leur dis que j'ai déjà mangé. Si j'avouais que j'avais faim, je manquerais de respect à mon père. »

C'est le respect, le pardon, l'humilité et le courage :

« Sans le courage, je ne pourrais rien faire aujourd'hui, et un mort sera mieux que moi. »

La réussite éducative, c'est aussi être utile à soi-même, à sa famille, sa communauté et à toute la société.

Dans beaucoup de nos langues et de nos cultures, on dit :

« L’homme est le remède de l’homme ».

« L'homme fait l'homme ».

« C'est par l'autre que je suis quelqu'un »

Et puis, la réussite éducative, c'est être un référent social, un exemple à suivre, être consulté dans sa communauté.

« Quand les enfants viennent ici, je leur donne des conseils comme si je conseillais mon enfant. C'est parce que les parents savent que je ne vais pas mentir et que je ne vais pas leur montrer ce qu'il ne faut pas ».

La réussite éducative a besoin de plusieurs apports : c'est un dialogue permanent entre la famille, la communauté et l'école qui permet de ne laisser personne derrière.

« Tu ne peux pas apprendre seul. Tu ne peux pas élever seul un enfant »

Cela veut dire qu'une éducation pour tous nécessite qu'un enfant appartienne à une communauté éducative large et diversifiée.

Toutes ces valeurs que tu as reçues, quand tu ne peux rien en faire de bon, c'est une souffrance. Parce que trop de freins t'ont bloqué, tu apparais comme quelqu'un qui n'a pas réussi.

Nous avons constaté plusieurs choses qui freinent la réussite éducative de tous

Il y a la pauvreté et tout ce que cela recouvre :

L'absence d'acte de naissance : « J'ai mis des mois à avoir mon acte de naissance. Sans acte de naissance, je ne peux pas travailler, je ne peux même pas me déplacer, j'ai peur. »

Pourtant, « L'acte de naissance, c'est le premier diplôme de la vie. »

La faim :

« Souvent on n'avait rien à manger, même pas la nuit. Si tu pars à l'école avec ça, ton ventre est en train de tourner, tes oreilles sont bouchées, c'est seulement tes yeux qui voient. Je sais que c'est le courage de mes parents qu'on mettait dans nos ventres, sinon ce n'est pas possible. »

La maladie :

«Quand la maladie entre dans ta famille, tu n'as plus d'autre préoccupation que de la faire sortir. »

La non-reconnaissance des efforts de certains parents :

« Un jour ma fille m'a dit : papa, on m'a dit à l'école que j'étudie pour rien et que je n'aurai jamais mon certificat parce que mon papa est pauvre. Il vide les WC, il fait des cordes pour les vendre. »

Il y a la discrimination, l'humiliation, la moquerie :

« Quand j'étais en classe c'était très dur. Le maître me disait : ta maman ne peut pas te payer un sac ! Et il se moquait de moi. Certains élèves rigolaient. Comme je n'étais qu'un enfant, j'avais honte, et je me fâchais souvent. La violence a commencé par là. »

S'il y a la violence, c'est un frein à la réussite.

C'est particulièrement difficile pour les filles d'aller jusqu'au bout, et l'insécurité les frappe encore plus.

Si la famille est disloquée, c'est aussi la perte de solidarités communautaires :

« Aujourd'hui, l'homme a moins de pitié dans le cœur. Il s'occupe seulement de son frère, de son enfant, de sa femme. Mais si tu es trop pauvre, que tu n'as pas de femme, pas de frère... Qui va s'occuper de toi ? Et de qui tu vas t'occuper ? »

Il y a des classes surchargées et des enseignants pas toujours motivés, qui font pourtant parfois face à cent élèves dans leur classe. C'est aussi leur effort pour que tous puissent apprendre.

Il y a le contenu des programmes scolaires, inadaptés, parfois contradictoires aux attentes sociales.

On parle de la gratuité de l'école. Mais à l’école il y a toujours des contributions, que ce soit à la cantine, l'Association de parents d’élèves ou autre, et souvent, ces contributions sont un obstacle pour les parents qui ont le moins de moyens.

Chacun, là où nous sommes, nous actionnons pourtant des moteurs de réussite

« Je n'ai pas peur de la misère parce que je l'ai apprise et que je la connais. Je dis à ma fille que si elle est courageuse, elle saura la vaincre. Cela, on ne l'apprend pas à l'école mais c'est Dieu qui nous l'apprend. »

Ce sont nos enfants qui nous donnent le courage :

« Ma fille vend du piment au marché. Elle a préparé la rentrée scolaire pour elle-même : elle s'est acheté des cahiers et un parapluie. Ma fille, elle comprend comment je vis et quand je l'encourage, elle fait les choses avec plaisir. »

Nous avons entendu la force de l'entraide, de la solidarité et de la coopération entre les élèves eux-mêmes, quand on la favorise :

« Sans ami, je serais dans l'obscurité. »

Pour nous, il faut une complémentarité entre ce qu'on apprend à l'école et ce qu'on apprend dans la communauté :

« Je veux l'éducation à l'école, à la maison, partout ! À la maison, on apprend comment est la vie. À l'école, on m'apprend à régler les problèmes entre moi et mes amis. »

« L'enseignant n'est pas le seul détenteur du savoir. Dans une école ouverte, tous ceux dont les savoirs semblent méconnus peuvent intervenir et apporter quelque chose dans la formation. »

Les enseignants cherchent à aider les parents :

« Nous avons entendu l'exemple d'une maman qui, tous les ans, mettait son enfant à l'école. Cinq années de suite, son enfant a débuté le CP1. Cinq années de suite, il a été exclu parce que la maman ne pouvait honorer les 1500 F de cotisation. L'enfant devenait violent. L'enseignante s'est approchée de la maman, et lui a dit qu'elle ferait son possible pour l'aider. La maman a cotisé, l'enseignante a ajouté. L'enfant a été choisi chef de classe, il a retrouvé la fierté, et avec la fierté, il a retrouvé un chemin de réussite. »

Les parents cherchent à aider les enseignants :

« Quand tu envoies ton enfant à l’école, toi-même tu deviens élève. Il faut partir souvent à l'école pour suivre l'enfant, s'assurer qu'il apprend bien, qu'il participe à l'école. »

«Quand j'avais pu économiser 150 F, je payais un cahier et je le mettais dans le cartable de mes enfants.»

« Comme ma fille voulait vraiment étudier, j'ai payé du ciment et j'ai fait un tableau sur le mur. »

Mais bien souvent, les uns et les autres font des efforts qui ne sont pas vus ou pas compris :

«En mai, je retire mes enfants de l'école, et je les amène cultiver. Je le fais parce qu'il faut pouvoir manger pour pouvoir envoyer les enfants à l'école l'année suivante. »

Nous voyons importante l'adaptation de l'école au milieu, et la possibilité d'y acquérir des savoirs pratiques et manuels.

«Si la réussite c'est travailler dans des bureaux ou faire de la politique, je peux dire que parmi les pauvres, ceux qui réussissent ne sont pas nombreux. C'est la raison pour laquelle beaucoup de familles pauvres se découragent de soutenir leur enfant à l’école. C'est pourquoi je propose qu'à l’école, on apprenne aussi aux enfants la formation aux savoir-faire. C'est ça qui peut nous permettre de croire que l’école est aussi pour nous. »

S'il y a l'humiliation, il y aura la violence. S’il y a violence, il y aura rejet. S'il y a rejet, il y aura abandon et exclusion.

S'il y a confiance, alors, il y aura la reconnaissance. Avec la reconnaissance, il y a la fierté, et avec la fierté, il y a le courage d'ouvrir des chemins de réussite.

« Ces paroles qu'on dit là, ça rappelle des choses qu'on savait, mais on les avait oubliées, et maintenant, il va falloir que ça s'applique. »

Nous, représentants d'institutions nationales et internationales, responsables d'ONG, acteurs du monde éducatif ou associatif, familles qui luttent au jour le jour, et citoyens solidaires, nous sommes prêts à entrer ensemble dans une dynamique de dialogue permanent, où on s'assure qu'on ne laisse personne de côté, où tout le monde aide tout le monde.

Cinq orientations

Pour promouvoir cette réussite éducative pour tous les enfants, il est important de :

- Favoriser la reconnaissance et la coopération entre tous les différents acteurs de la communauté éducative, avec ceux qui sont les moins considérés.

- Adapter l'offre éducative, par un dialogue entre tous les acteurs de la communauté éducative y compris les plus isolés. Par exemple en intégrant des savoir-faire professionnels, en adaptant les rythmes scolaires aux besoins de sécurité alimentaire des communautés.

- Poursuivre les efforts pour la délivrance d'actes de naissance à tous et s'assurer que ces efforts atteignent les populations confrontées à la grande pauvreté et à l'isolement social.

- Poursuivre les efforts pour la gratuité de l'enseignement afin qu'aucun enfant de milieu défavorisé ne soit empêché d'être scolarisé pour des raisons financières. La logique de privatisation scolaire observée actuellement va à l'encontre de l'objectif de gratuité pour les enfants de 6 à 16 ans.

1 Voir aussi sur le site : http://www.atd-quartmonde.org/Les-plus-pauvres-partenaires-d-une.html
2  100 F CFA = 0,15 €
1 Voir aussi sur le site : http://www.atd-quartmonde.org/Les-plus-pauvres-partenaires-d-une.html
2  100 F CFA = 0,15 €

CC BY-NC-ND