Justice au cœur

Joseph Wresinski

p. 48-49

Citer cet article

Référence papier

Joseph Wresinski, « Justice au cœur », Revue Quart Monde, 237 | 2016/1, 48-49.

Référence électronique

Joseph Wresinski, « Justice au cœur », Revue Quart Monde [En ligne], 237 | 2016/1, mis en ligne le 20 août 2016, consulté le 04 novembre 2024. URL : https://www.revue-quartmonde.org/6574

Dans ce texte du père Joseph, adressé aux membres du Mouvement aux Pays-Bas, il s’expliquait sur le slogan Justice au cœur, dont la traduction néerlandaise est beaucoup plus forte : « Recht uit het hart », ou la justice qui vient du cœur, qui en sort1.

« …Toutes les familles en grande difficulté que j’ai connues depuis trente ans, à travers la France, l’Europe et le monde, ne se sont jamais contentées de cette justice des législations, de cette justice qui ne serait fondée que sur le droit. À Paris et Marseille, à Londres et Munich, à Dakar et Port au Prince, les familles m’ont toujours parlé d’une autre justice, de la justice du cœur. “Comment les gens peuvent-ils voir souffrir mes enfants à l’école, sans en avoir, eux-mêmes, le cœur meurtri ?”… “ Comment l’employeur a-t-il pu avoir si peu de cœur, pour renvoyer mon mari ?”… “Comment l’assistante sociale a-t-elle pu avoir le cœur aussi dur, et si injuste en m’accusant de n’être pas une bonne mère ?”… Le vrai cri des familles, votre cri à vous, familles des Pays-Bas, n’est-il pas toujours d’abord celui-là ? “Comment ont-ils eu le cœur à nous blesser, à nous mépriser, à nous humilier, à nous faire sentir sans arrêt que nous n’étions que des moins que rien ?”“Ce n’est pas juste, c’est d’abord cela qui n’est pas juste”, dites-vous souvent, quand je vous rencontre à la ferme de Wijhe2. La première injustice, celle qui doit, la première, s’arrêter, est l’injustice du cœur. Cette plus terrible des injustices qui fait qu’un homme puisse se croire supérieur à un autre homme, se croire en droit de le mépriser.

Je songe à cette maman hollandaise de Koevorden, qui me racontait comment enfant, jeune fille, elle vivait avec ses parents sur une péniche. “Chez nous, c’était bien, c’était propre’, me disait-elle, mais les gens de la ville ne le croyaient pas. Ils nous méprisaient, ils pensaient que nous n’étions pas propres et mes camarades de classe ne pouvaient pas venir jouer chez moi, sur la péniche”.

C’est cette injustice du cœur, cette injustice dans le regard de l’entourage qui a fait que plus tard la jeune fille, devenue elle-même épouse et maman, a compris toutes les autres injustices, celles des lois. Elle comprend aujourd’hui pourquoi, avec sa famille, elle est obligée d’habiter un appartement qui, depuis plus de dix ans, attend des travaux de rénovation. Elle attend une année après l’autre, parce que la ville doit faire des économies. Or, c’est toujours l’immeuble qu’elle habite qui se trouve rayé du budget municipal. Injustice criante, car des familles ayant plus de ressources se voient bien logées par la ville. Mais la maman, elle, comprend d’où vient cette injustice dans la gestion de sa ville. Les fonctionnaires qui traitent de ce dossier dans les bureaux de l’Hôtel de Ville, étaient des enfants quand elle était petite fille. Et dès l’école, on leur disait que sur les péniches vivaient des gens pas propres, des enfants avec lesquels il ne fallait pas jouer. Enfants, ces fonctionnaires n’ont pas appris cette justice au cœur qui dit que tout autre enfant est un frère, un camarade.

Alors, aujourd’hui, comment auraient-ils la justice dans leurs dossiers, dans leurs lois ? »

1 Voir http://www.joseph-wresinski.org/La-justice-des-lois-ce-n-est-pas.html

2 Aijhe, la ferme tZwervel est un lieu de rencontres d’ATD Quart Monde au niveau national depuis quarante ans.

1 Voir http://www.joseph-wresinski.org/La-justice-des-lois-ce-n-est-pas.html

2 Aijhe, la ferme tZwervel est un lieu de rencontres d’ATD Quart Monde au niveau national depuis quarante ans.

Joseph Wresinski

Fondateur du Mouvement international ATD Quart Monde (1917-1988)

Articles du même auteur

CC BY-NC-ND