César Acevedo. La terre et l’ombre

Fiction, Colombie, 2016

Bella Lehmann-Berdugo

p. 42

Référence(s) :

César Acevedo. La terre et l’ombre. Fiction, Colombie, 2016. VOST. Caméra d’Or, Festival de Cannes 2015 (prix pour un premier long métrage).

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Bella Lehmann-Berdugo, « César Acevedo. La terre et l’ombre », Revue Quart Monde, 238 | 2016/2, 42.

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Bella Lehmann-Berdugo, « César Acevedo. La terre et l’ombre », Revue Quart Monde [En ligne], 238 | 2016/2, mis en ligne le 15 octobre 2016, consulté le 29 mars 2024. URL : https://www.revue-quartmonde.org/6626

Un vieux paysan colombien revient au pays, dans la vallée du Cauca, pour se porter au chevet de son fils moribond. Après dix-sept ans d’absence, Don Alfonso retrouve son ancienne maison, où vivent encore Dona Alicia qui fut sa femme, sa belle-fille et son petit-fils qu’il ne connaît pas encore. Il découvre un paysage transformé par la culture intensive de la canne à sucre. Il va tenter de retrouver une place dans sa famille qu’il a abandonnée.

Dans une petite ferme cernée par des champs de canne à sucre à perte de vue, plongée dans la pénombre des volets clos, pour échapper aux pluies de cendre de la canne brûlée, une famille tente de renouer des liens intergénérationnels et de couple. L’histoire pourrait se résumer à cela : une femme qui refuse d’abandonner la terre qu’elle a défendue toute sa vie ; un fils qui ne parvient pas à quitter sa mère, au risque d’y laisser sa santé ; une épouse courageuse qui se bat pour sauver les siens ; un père confronté à ses erreurs passées pour retrouver la famille qu’il a abandonnée ; un enfant qui rencontre la mort pour la première fois.

Pour survivre, la vieille Alicia et sa jeune bru coupent la canne, la brûlent, sans jamais être payées. Elles travaillent parmi des hommes, n’ont pas la même rentabilité qu’eux. Elles finiront par être chassées de leur emploi. Malgré le soutien in extremis des ouvriers qui, épuisés, les aident pourtant un soir à terminer leur travail.

Tandis qu’elles s’activent loin de la maison de l’aube au crépuscule, Alfonso veille sur son fils alité et apprend à connaître son petit-fils jusqu’alors un peu livré à lui-même. Pour son anniversaire, il parvient à lui offrir un cerf- volant, beau symbole de liberté.

Le réalisateur explore avec fascination et tendresse les visages et les corps exténués de ses protagonistes, comme en hommage à ses propres parents. Malgré ou grâce à une économie de dialogues, un rythme lent, une quasi unité de lieu, une action réduite à quelques scènes clés, il met en valeur avec sobriété la dignité de personnes qui luttent pour leur survie, pour resserrer la solidarité familiale au-delà des anciens conflits, pour retrouver un peu d’espoir en l’avenir (symbolisé par l’enfant et le jeu). Après la mort du fils, Alicia demeurera seule, enracinée aux côtés du vieil arbre séculaire, gardien du passé.

Cesar Acevedo montre comment l’illusion du progrès a pu mettre en péril l’histoire, la mémoire et l’identité d’un peuple. Il veut attirer l’attention sur des problèmes sociaux majeurs liés à l’expansion écrasante de l’industrie sucrière : paysages défigurés, épuisement des sols, petits paysans poussés à la faillite, pauvreté, maladie, déplacements de populations. Ici le sentiment d’appartenance des paysans à une terre, leur résistance, leur combat quotidien deviennent une lutte pour défendre leur liberté et leur dignité.

Bella Lehmann-Berdugo

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