Nout' Tout'
Oté, zoreil !
Mi commence par toué,
Parce que mi conné,
Toué même promié pou parti
Quand l' « beau temps » y sra fini.
Mais si ti vé resté pou travaillé
Ta trouve in place à nout' côté.
Oté, Cinois !
La Cine in bon pays,
Mais ti conné pi planté de riz ;
Langaz ti gaingne pi causé
Res'la, na fé riz cantonné ;
Si ti vé manz zoreil lo çate
Na fé vni çaq lé en boite.
Oté, zarab !
Ta rode touzour in zoint
Si lo prix, si la toile, si lo mèt'
Pou paye in voyaze la mec !
Mais sans toué la pi magasin
Alors, vaut mié qu' ti res' là ;
Ta mont' à nous f‚ samoussa.
Oté, ti yab !
Toué lé habitié dans lé haut.
Ec ton tace codène, ec ton pat' zonne
Toué lé pas comme y faut
Pou artourne si la côte bretonne.
Res' la même, na plante patate,
En guise soulier, na porte savate.
Oté, malbar !
Y di toué nana la tripe goni ;
Fé rien, mon fra, res' la même ;
Ti pé pi allé dans l'Ene :
Ti cause pi Indi ;
Ta marce dan' fé ;
Ensemb' na manze massal.
Oté, lo caf !
Ec ton grain poiv' si la tête
Ec ton rossort briquet.
Ton l'avnir lé assiré !
Quit' pas nous, fé pas lo bète !
Ti pé allé, tout' façon
L'Afrique y conné pas ton nom !
Nout' sière, nout' colère, nout' çanté, nout' dansé, nout' volonté, pou totoçé‚ nout' couraze cont' çomaze, tout ça pou domain allons mète en commin. Voilà qu’ lé né, lo Rénionné !
Karine Lelan.: Quelques explications avant de proposer une « traduction » :
Le zoreil : personne blanche originaire de métropole. Au figuré, c'est un profiteur.
Le chinois : Réunionnais d'origine asiatique. Au figuré, c'est une personne un peu enfermée dans son monde.
Zoreil lo çate : les oreilles de chat sont des champignons chinois.
Le zarab : Réunionnais d'origine indienne de religion musulmane. Les zarabs tiennent presque tous les magasins de confection. Au figuré, ce sont des voleurs.
Le yab : Réunionnais descendant des pauvres colons blancs. Ils ont colonisé les endroits escarpés de l'île, cherchant à être propriétaires de leur terre (comme les gros colons) et fuyant le travail dans les plantations qu'ils auraient effectué en compagnie des esclaves noirs (ce qui n'est tout de même pas permis !). Le yab a aussi comme nom « ti blanc des hauts ». Au figuré, c'est une personne mal dégrossie, un « plouc », un imbécile voire un taré.
Tace codène : tâche de rousseur.
Pat zone : patte jaune. L'expression est intraduisible. Elle équivaut à l'expression « pieds noirs » qui désigne les Français originaires d'Afrique du Nord.
Le malbar : Réunionnais d'origine indienne et de religion hindoue. A la fin de l'esclavage, les malbars ont remplacé les esclaves dans les plantations. Au figuré, ce sont des personnes serviles, un peu hypocrites.
Nana la tripe goni : avoir la tripe goni. Le goni est un sac en toile de jute. Avoir la tripe goni, c'est ne rien avoir dans le ventre, être un lâche.
L'Ene : l'Inde
Le caf : Réunionnais d'origine africaine, descendant des esclaves. Le cafre accorde beaucoup d'attention à ses tenues vestimentaires, et à l'apparence en général. Au figuré, le cafre est une personne vantarde.
Totocé : taper, se bagarrer, cogner. Au figuré, pousser, encourager, renforcer.
Nous tous
Hé, zoreil !
Je commence par toi,
Parce que je sais bien que toi
Tu seras le premier à te sauver
Quand le « beau temps » sera terminé.
Mais si tu veux rester pour travailler
Tu as ta place à nos côtés.
Hé, chinois !
La Chine, c'est un bon pays,
Mais tu ne sais plus planter le riz ;
Tu ne sais plus parler la langue
Reste ici, on fera un riz cantonnais ;
Si tu veux manger tes champignons chinois
On en fera venir en boîte.
Hé, zarab !
Tu es prêt à nous gruger sur tout
Sur le prix, sur le tissu, sur le métrage
Pour te payer un voyage à la Mecque !
Mais, sans toi, il n'y aura plus de magasin
Alors, il vaut mieux que tu restes ici ;
Tu nous apprendras à faire des samoussas.
Hé, ti blanc des hauts !
Tu es habitué à tes montagnes.
Avec tes tâches de rousseur et tes « pattes jaunes »
Tu n'es pas en état
De retourner sur la côte bretonne.
Reste ici ! On va planter des patates.
On portera des tongues en guise de chaussures.
Hé, malbar !
On dit de toi que tu n'as rien dans le ventre ;
Ne t'en fais pas mon frère, reste ici ;
Tu ne peux plus aller en Inde :
Tu ne parles plus l'indi ;
Tu marcheras dans le feu ;
Ensemble on va manger du massalé.
Hé, le cafre !
Avec tes cheveux crépus sur la tête
Comme des ressorts de briquet.
Ton avenir est assuré !
Ne nous laisse pas, ne fais pas l'imbécile !
Tu peux t'en aller, de toute façon
L'Afrique ne sait pas qui tu es !
Notre sueur, notre colère, nos chants, nos danses, notre volonté, pour renforcer notre courage contre le chômage, tout cela pour demain allons le mettre en commun. C'est comme ça qu'est né le Réunionnais !