La révolution numérique est souvent décrite comme un phénomène inévitable, global, qui modifie nos façons d’interagir, de travailler, de concevoir nos identités mêmes. Dans le secteur social, cette révolution est en cours, et modifie en profondeur les liens existant entre les citoyens, les administrations publiques, et les acteurs sociaux. On peut considérer cette révolution comme un risque, notamment pour toute une frange de la population, exclue de ces technologies, ou à l’inverse comme une chance, dans la mesure où une technologie peut être un outil permettant de résoudre des problèmes sociaux.
Pas de papiers d’identité, pas d’accès aux droits
Chez Reconnect1, nous pensons que le numérique n’est qu’un outil, qui présente de formidables opportunités, s’il est adapté à ceux qui en ont le plus besoin. C’est dans cette logique que Pierre Digonnet et Vincent Dallongeville, deux ingénieurs de formation, ont décidé de s’attaquer à un problème récurrent pour les populations en situation de précarité : le problème de l’identité, et de la capacité de n’importe quel citoyen à prouver son identité pour faire valoir ses droits les plus fondamentaux.
Le dernier rapport de la Fondation Abbé Pierre2 fait état de 141 500 personnes sans-domicile en France en 2012. Contraintes de ne conserver que le strict minimum de leurs effets personnels, ces dernières vivent dans la crainte permanente de se les faire dérober ou de les perdre. La perte et le vol des papiers d’identité et documents administratifs sont très fréquents, et freinent considérablement l’accès aux droits. On estime ainsi que 40 % des personnes sans-abri n’ont accès à aucune aide sociale, ce qui est en partie expliqué par l’absence des documents nécessaires à l’obtention de ces aides.
Le problème de la conservation des documents affecte donc les personnes directement, puisqu’il ralentit considérablement l’insertion sociale, mais également les structures qui accompagnent les populations les plus fragiles, telles que les associations, collectivités, administrations… On estime que 20 à 30 % du temps d’un travailleur social est passé à refaire des documents qui ont été perdus.
Un outil solidaire co-géré
Le cloud3 solidaire, projet créé par l’association Reconnect, vise à permettre aux personnes en situation de précarité de conserver l’ensemble de leurs informations nécessaires dans les démarches d’accès aux droits, et de les partager si nécessaire avec des professionnels qui les accompagnent. Ainsi, une personne accompagnée dans une structure Relais Reconnect va pouvoir y créer un compte personnel et sécurisé, et y ajouter avec son référent social des documents importants. Ces documents seront par la suite accessibles depuis n’importe où, avec une simple connexion internet. L’outil propose aussi d’autres fonctionnalités, telles que la possibilité de stocker des contacts, des notes, ou encore un calendrier permettant de paramétrer des rappels de rendez-vous par SMS.
L’objectif est également de faciliter l’accompagnement des structures sociales, en permettant à un référent social d’avoir accès à certaines informations présentes sur le compte, toujours avec l’accord de son propriétaire.
Cet accès professionnel au cloud solidaire permet de rendre la technologie de cloud computing accessible à des personnes éloignées du numérique : près de 50 % des bénéficiaires aujourd’hui n’ont pas les moyens matériels ou les compétences numériques pour utiliser de façon autonome leur compte. En revanche, en ayant bien saisi l’utilité pour leurs démarches, ils ont choisi d’en déléguer la gestion au tiers de confiance qu’est le référent social.
Les structures sociales utilisatrices du service payent un abonnement annuel pour financer la maintenance et l’amélioration du cloud solidaire, afin de permettre une utilisation gratuite pour les bénéficiaires.
Lancé en septembre 2015, le projet a rencontré un franc succès auprès de ses premiers utilisateurs. La plateforme est aujourd’hui utilisée par les professionnels de 300 établissements de l’action sociale sur le territoire français : des associations telles que le Samu social de la Ville de Paris, Aurore, Emmaüs Solidarité, la Croix Rouge, mais aussi des acteurs publics tels que des CCAS4, services sociaux municipaux, et l’AP-HP5.
Le cloud solidaire permet à plus de 5 000 bénéficiaires de conserver leurs informations en sécurité.
Aujourd’hui, les enjeux du développement de l’association sont multiples. Nous souhaitons tout d’abord poursuivre le déploiement du service, afin qu’il puisse être proposé dans un maximum de structures sociales sur le territoire français. Par ailleurs, nous souhaitons poursuivre le développement d’innovations techniques pour améliorer la solution de façon continue. Aujourd’hui, nous travaillons sur la question de la validité juridique des documents stockés sur la plateforme, en expérimentant grâce à la technologie blockchain6 une certification des documents ajoutés sur les comptes.
L’innovation technique doit ainsi être mise au service de ceux qui en ont le plus besoin, pour construire un numérique facile, utile, et éthique.