« Si vous passez un jour, à l’heure de midi, vers Mont-Saint-Martin ou Villerupt, près d’une des nombreuses cantines italiennes, votre odorat est désagréablement chatouillé par des odeurs d’abominables ratatouilles. Des vieilles sordides, à la peau fripée et aux cheveux rares, font mijoter des fritures étranges dans des poêles ébréchées. Et les bêtes mortes de maladie, à des lieues à la ronde, ne sont pas souvent enfouies, elles ont leur sépulture dans les estomacs des Italiens, qui les trouvent excellentes pour des ragoûts dignes de l’enfer. » (L’Étoile de l’Est du 24-7-19051)
Résorption des bidonvilles et des squats : un dispositif toulousain exemplaire
Les préjugés sur les pauvres et les migrants perdurent depuis de nombreuses générations. Les migrants espagnols, italiens, maghrébins et bien d’autres ont été suspectés de ne pas faire le nécessaire pour s’intégrer ou sortir de la misère qu’ils subissaient. Les préjugés sur les Roms ont aussi la vie dure. Nombreux sont les français qui les croient majoritairement nomades, ne souhaitant pas travailler ou même se plaisant à vivre dans des bidonvilles. C’est leur humanité même qui est niée.
Dès novembre 2012, la ville de Toulouse avait été la première ville en France à mettre en œuvre la circulaire interministérielle du 26 août 2012 relative à l’anticipation et à l’accompagnement des opérations d’évacuation des campements illicites. Cette circulaire propose aux préfets des lignes directrices pour l’accompagnement des personnes en situation régulière vers l’habitat, l’emploi et la scolarisation. Elle pointe notamment la nécessité de réaliser un diagnostic social des personnes comme point de départ.
En 2015, alors que plus de 1 500 personnes vivaient sur des terrains occupés illégalement, qu’environ 500 autres personnes vivaient dans des bâtiments « squattés » à Toulouse, la ville décidait de mettre en œuvre un ambitieux dispositif de résorption des bidonvilles fondé sur l’insertion professionnelle. Si l’objectif est de faciliter l’accès à l’emploi, le logement des personnes constitue un préalable indispensable. Ce dispositif, d’abord pensé pour les ressortissants européens précaires, roumains et bulgares, a été élargi en 2018 aux bénéficiaires du statut de réfugié. L’hébergement se fait dans des logements diffus mis à disposition par la ville et des bailleurs sociaux et lorsque cela est plus pertinent, dans un village d’insertion.
Accompagnement social et préparation des évacuations
Sur les terrains occupés, la gestion de l’accompagnement social et des évaluations au cours de l’occupation est le plus souvent prise en charge directement par la préfecture et la ville. En dehors de quelques incidents, l’accès à l’eau est assuré. En revanche, les incertitudes liées à la date de l’évacuation sont non seulement très anxiogènes mais elles compliquent aussi l’installation de sanitaires et empêchent les habitants de se projeter et se concentrer sur les démarches liées à la santé, à la scolarisation, à l’alphabétisation. Il y a des véritables enjeux humains à communiquer aux habitants des informations sur le déroulé et l’évolution de la procédure judiciaire.
Sur les bidonvilles et squats avec un grand nombre d’habitants ou une grande diversité des situations, la préfecture, la ville et le département ont reconnu ces dernières années la difficulté de mener des évaluations sociales et la nécessité de faire appel à des associations spécialisées afin de faciliter le lien avec le droit commun et permettre des orientations plus adaptées. Ainsi, en 2017 au squat « des Arènes » dans lequel vivaient près de 400 personnes de plusieurs dizaines de nationalités différentes et réparties dans sept bâtiments, l’association France Horizon Occitanie a été mandatée afin de réaliser l’accompagnement social et les évaluations nécessaires à une évacuation responsable.
Le directeur de l’association, Gaëtan Cognard, a souhaité apporter « une réponse, efficiente et bienveillante, à court terme, pour un bénéfice à long terme ». L’association a joué le rôle d’interface sociale de coordination entre une population marginalisée, et le système de droit commun, administratif, social dans lequel elle devait s’inscrire.
Le suivi social a été multiforme afin de couvrir l’ensemble des problématiques : la santé, le droit au séjour, l’insertion professionnelle, le logement et l’hébergement, la scolarisation, l’apprentissage de la langue française, la vie quotidienne et les aides d’urgence. Une présence régulière sur le terrain, l’instauration d’un climat de confiance, la mobilisation de personnes ressources vivant sur place et une répartition claire des rôles entre l’association et les interlocuteurs institutionnels a permis de rechercher des solutions adaptées qui n’ont été limitées que par le manque de moyens engagés par l’État afin de respecter les droits des personnes, notamment l’inconditionnalité de l’hébergement.
Évacuations et accueils
Entre 2015 et 2018, plus de 1 100 personnes ont été accueillies dans le dispositif de la ville. L’accueil se fait essentiellement lors d’évacuations de campements illégaux ou de squats à partir de listes établies une première fois avec un huissier puis lors d’un deuxième passage de travailleurs sociaux. Il n’y a pas d’évaluation de la « capacité à habiter ou à aller vers l’emploi ». Ce sont les personnes qui manifestent leur volonté d’aller vers l’insertion professionnelle et de respecter des engagements portant notamment sur la scolarisation des enfants et l’apprentissage du français. Les services sociaux cherchent des places dans des logements dans différents quartiers de la ville :
« Ce sont des bâtiments de la ville que l’on restaure, des appartements de fonction non utilisés dans les écoles… On trouve ce qui est utilisable dans le patrimoine de la ville et ce, dans l’ensemble des quartiers de Toulouse », explique Daniel Rougé, troisième adjoint au maire en charge de la Santé, des Politiques de solidarité et des Affaires sociales.
Les bailleurs sociaux mettent également à disposition certains appartements, notamment dans des bâtiments voués à terme à une réhabilitation ou une démolition.
Une fois relogées, les personnes sont accompagnées par deux associations, SOLIHA et France Horizon Occitanie qui sont mandatées et financées par la préfecture. Les passages des travailleurs sociaux sont réguliers. 600 personnes sont déjà sorties du dispositif, le plus souvent en accédant à un logement social. Moins d’un quart des sorties sont négatives et celles-ci sont dues le plus souvent à l’absence de démarches vers l’emploi ou à des problèmes de sur occupation des logements attribués.
Dans les bidonvilles, comme dans les squats ou à la rue, la diversité des habitants implique une approche pluridisciplinaire. Répondre aux besoins de chaque personne nécessite un panel varié de solutions d’habitat et d’accompagnement social et sanitaire. Ce dispositif mis en place par la ville étant fondé sur l’accès à l’emploi, il ne prétend pas correspondre aux besoins de l’ensemble des personnes. Il ne remplace pas les centres d’hébergement et de réinsertion sociale (CHRS), pensions de familles, appartements thérapeutiques, résidences sociales et de logements sociaux.
Au fil des années, des progrès ont été régulièrement réalisés. Les améliorations ne peuvent se faire qu’en s’appuyant sur une écoute attentive et une implication de l’ensemble des acteurs, y compris des personnes accueillies.
À Toulouse, la mise en place d’un comité de pilotage du dispositif permettant l’implication des acteurs institutionnels, des associations prestataires mais aussi d’associations telles que Médecins du Monde ou le Conseil Régional des Personnes Accueillies faciliterait probablement la prise en compte de certaines réalités et la reconnaissance de certains besoins.
Néanmoins, les services de la ville ont pris l’habitude d’établir plus de liens avec les acteurs présents dans le territoire : médecins de ville, alphabétisation, associations culturelles et de loisirs, club de prévention, etc.
La gestion des personnes absentes le jour de l’expulsion mais présentes sur les listes établies en amont reste une tâche complexe : faut-il garder des appartements vides pour anticiper un éventuel retour les jours suivants ou au contraire accueillir dans ceux-ci des personnes présentes le jour de l’expulsion mais absentes des listes ?
Les moyens mis en œuvre par l’ensemble des acteurs doivent être en adéquation avec les besoins. Assurer suffisamment d’accompagnement social et sanitaire, de présence d’interprètes et d’accès à l’alphabétisation permet d’augmenter le taux de sorties positives et réduire le temps d’hébergement. Un sous-dimensionnement est bien sûr très tentant pour les pouvoirs publics toujours à la recherche d’économies mais les conséquences de celui-ci amèneront finalement des surcoûts.
À reprendre par les autres métropoles
Daniel Rougé considère que :
« c’est un dispositif unique en France qui fonctionne surtout grâce au tissu associatif toulousain, qui est lié et cohérent ».
L’inclusion sociale et républicaine ne peut se faire que lorsque les pouvoirs publics proposent un accueil digne et adapté, fondé sur l’accès au logement et au travail. Ainsi les personnes accueillies sont confrontées, pour le pire et le meilleur, au mode de vie et aux valeurs de notre pays. Ils peuvent alors s’inclure dans la société ou au contraire décider que celle-ci ne leur correspond pas et avancer dans leur parcours en cherchant leur bonheur ailleurs.
Les collectivités publiques et l’État y trouvent également leur compte car les évacuations sans relogement ne règlent en rien les problèmes de troubles à l’ordre public et ne font que repousser le problème ailleurs et à plus tard.
Le dispositif toulousain, à la fois humaniste et pragmatique, dépasse les clivages idéologiques. Il est perfectible mais exemplaire et d’ailleurs mentionné comme tel dans l’instruction du 25 janvier 2018 envoyée aux préfets et signée par huit ministres, dont Jacques Mezard, alors ministre de la Cohésion des territoires. Cette instruction fixe :
« un nouveau cadre pour l’action des pouvoirs publics sur les campements illicites et les bidonvilles, avec un objectif clair de résorption de cette forme extrême de mal logement ».
Cet objectif ne pourra être atteint que si l’État respecte lui-même le droit au logement et à l’hébergement.
Compte tenu des enjeux et droits humains auxquels elle répond, et de sa pertinence sociale, sanitaire, culturelle et économique, sa mise en œuvre est urgente. Celle-ci se fera grâce à des citoyens, des associations et des élus qui sauront être force de propositions, lutter contre les préjugés et défendre les droits humains2.