À Bukavu, cet après-midi, le soleil brille. Au détour du chemin, on aperçoit au loin le lac Kivu et le Rwanda voisin. Dans une petite cour, sous du linge qui sèche, une soixantaine d’enfants est réunie avec quelques jeunes pleins d’entrain. Il y a des chants, des danses, des jeux et des rires. Tout à coup, tout le monde se tait et forme un cercle. David va lire l’histoire de Manuelito ! Il a quinze ans, et c’est la première fois qu’il le fait. « Manuelito est un enfant du courage du Honduras. Il vit dans un quartier très pauvre. Toujours pieds nus, il est méprisé et rejeté, sauf à la bibliothèque de rue où il aime regarder les livres, écouter les histoires, et où il a gagné des amis. Un jour, avec leur soutien, il remporte, pieds nus, le marathon organisé dans sa ville... » David est debout au milieu des enfants. Il raconte l’histoire en swahili. Il la mime, il questionne l’auditoire qui réagit avec fougue. Les applaudissements fusent.
À Bukavu, vers la fin des années 90, un groupe d’amis, des jeunes, s’est saisi du message de Tapori1. Un message qui disait : « On peut apprendre des enfants, ils voient le monde avec leur cœur, leurs confidences peuvent changer le cœur des grands ». Le pays était en guerre, une guerre qui a laissé derrière elle beaucoup de morts, de souffrances et aussi la grande pauvreté. Les enfants étaient là, avec leur soif d’avenir et d’amitié. Alors, ces jeunes, reliés à d’autres dans le monde à travers Tapori, ont inventé un chemin d’engagement. Avec les enfants d’abord, qui sont devenus les amis des sans-amis, entraînant aussi les adultes, comme le raconte Monsieur Émile : « Les enfants Tapori m’ont fait renaître. J’étais dans une grande misère. Ma maison laissait passer la pluie. J’étais méprisé. Je voyais déjà la mort. J’ai vu les enfants venir vers moi avec quelques planches, quelques clous qu’ils avaient trouvés de ci, de là. Grâce à la considération de ces enfants, mes voisins se sont rapprochés de moi. Après, j’ai ouvert les yeux et j’ai vu qu’il y en avait beaucoup d’autres qui souffraient comme moi. Et c’est ainsi que nous avons créé le groupe des « familles solidaires ». Nous y partageons nos réflexions, nous nous entraidons en cherchant coûte que coûte celui qui est encore plus écrasé par la misère que nous ».
Alors que nous célébrons cette année le trentième anniversaire de la Convention des droits de l’enfant, j’ai en tête ces mots de Grace, enfant Tapori devenue animatrice : « Pourquoi on peut apprendre des enfants ? Parce qu’ils regardent ce qu’il y a de positif dans l’autre et ne se fient pas à ce qui est négatif. Et s’ils trouvent quelque chose d’injuste, ils font tout pour que cela change. »