L’auteur, maître de conférences à l’université de Paris VII, s’emploie à faire resurgir du passé une image plus vraie des mœurs et conduites du petit peuple de Londres au XIXème siècle - en tout cas moins simpliste que le reflet déformé qu’en donnent les censeurs bourgeois de l’époque.
Elle a pu y réussir en utilisant les archives, provisoirement entrouvertes, de l’Hôpital des Enfants trouvés par lesquelles bous parvient la voix de ce peuple confiné dans « Povertypolis », ghetto de la misère. Voix de ces familles qui s’entassent dans des taudis surpeuplés constitués souvent d’une seule pièce ou pire dans les « maisons communes » où les plus pauvres (vendeurs ambulants, travailleurs occasionnels et migrants) vivent dans une intimité forcée de tous les instants… Voix des mères célibataires qui postulent l’admission, provisoire ou définitive, dans cet hôpital londonien, d’un enfant bâtard qu’elles n’ont pas les moyens d’élever.
Les femmes sont en effet les principales victimes de la licence sexuelle plus ou moins liée à ces conditions de vie des classes populaires, que les observateurs victoriens ont cependant exagérée. La réforme de 1834 de la loi des pauvres (qui réglementait depuis le début du XVIIème siècle l’assistance accordée aux indigents) va, au nom de la lutte contre le vice, priver de secours à domicile les mères « fautives » dont les tentatives pour rechercher le père et lui imposer réparation sont dès lors de plus en plus vouées à l’échec. Il ne leur reste donc plus qu’à témoigner de leur « respectabilité » (elles doivent produire un certificat de référence « attestant de leur vertu, de leur sobriété et de leur honnêteté ») pour obtenir que l’Hôpital des Enfants trouvés prenne leur bébé en charge. Encore ne s’y résignent-elles qu’après avoir lutté pour trouver un moyen de travailler et de ne pas abandonner l’enfant (et seulement 1 sur 5 des enfants ainsi présentés est admis.)
Ce livre est rendu très vivant et émouvant par la succession des témoignages recueillis par l’auteur des archives de l’hôpital londonien. Elles révèlent le courage, la dignité, ainsi que le sens maternel de ces femmes ; le soutien qu’elles trouvent auprès de leurs familles et souvent même de leurs employeurs.
A la page 231 de son ouvrage, l’auteur peut à la lumière de ces témoignages faire parler ainsi ce peuple de la misère : « Nous acceptons la sexualité en dehors du mariage dès lors qu’elle s’accompagne d’une clause protégeant les femmes d’un abandon en cas de grossesse. Et puis, le concubinage n’exclut personne du groupe social… Il y a là comme une étape naturelle : on se met en ménage pendant la grossesse puisque les femmes ne peuvent plus travailler, en attendant que les choses aillent mieux ou que soit prise une décision définitive. Notre idéal est le mariage. C’est l’état naturel de l’âge adulte, l’union de deux forces et de deux affections, une alliance bénéfique pour affronter une existence âpre, aléatoire, amère, et assurer l’entretien de nos enfants. »
Les familles du Quart Monde d’aujourd’hui, nous le savons, partagent encore cet idéal. Et leurs « alliés » ne peuvent que se féliciter de ce souci de l’historien de rechercher, au-delà des idées reçues, l’authenticité d’une époque et d’un milieu ; et, en l’espèce, dans « L’amour sous Victoria », de réhabiliter un peu les plus pauvres